[FB] Force majeure | Adrielle

force majeure

sous les traits de Masha Mogween:

Un craquement de branche et la voilà qui se réveille en sursaut. Qui se redresse et qui ouvre grand les yeux, le souffle court et le corps tendu comme un arc. Elle est stressée, Masha, et c’est toute son attitude qui transpire la peur. Pour ne pas dire la panique. Voilà plusieurs jours qu’elle s’est enfuie du laboratoire où elle était retenue captive depuis plusieurs années. Qu’elle erre dans les forêts féeriques de l’Aube sans aucun repère et sans aucun objectif si ce n’est celui de survivre. Elle s’est cachée. S’est terrée dans le trou d’un tronc d’arbre. Et pendant plusieurs jours, elle n’a pas osé en sortir. Elle a bu l’eau d’une flaque d’eau, et c’est tout. Parce qu’elle se sent toujours autant en danger, et que par-dessus tout elle ne veut pas qu’on la retrouve. Ne souhaite pas retourner là-bas. Dans ce cauchemar aux reflets de l'effroyable réalité. Pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence, elle ne va pas pouvoir rester dans son tronc d’arbre toute sa vie. La privation de nourriture a beau avoir été une habitude, il n’en reste pas moins qu’elle a des limites. Limites qui semblent avoir été franchies alors qu’elle se redresse un peu trop rapidement et qu’elle manque de chavirer alors que la tête lui tourne et que sa vue se brouille.

Il faut qu’elle bouge. Il faut qu’elle se sauve. N’importe où mais le plus loin possible du laboratoire. Masha était enfant quand elle est arrivée à l’Aube, elle connait donc mal son territoire. Mais si elle part toujours tout droit, elle finira bien par trouver un village, n’est-ce pas ? Elle se décide donc à bouger. Et elle court. Court pendant ce qui lui semble être une éternité. Elle s’arrête en chemin pour manger quelques baies. Boit à plusieurs flaques d’eau. Et c’est éreintée et à deux doigts de défaillir qu’elle finit par atteindre un rivage. Elle y passe la nuit, le roulement des vagues la berçant. Et au petit matin elle reprend sa route. Elle longe la mer pendant de longues heures. Jusqu’à apercevoir les abords d’une ville. Ce qui l’intéresse surtout, c’est le port ; et surtout le bateau qui y est à quai. Parce qu’elle le reconnait. Aussi étonnant que ça puisse paraitre, il vient de l’Eté. Et Masha voit en ce miracle un signe de la providence. Qu’elle va pouvoir s’enfuir définitivement de l’Aube. Et mieux, retourner chez elle. Mais est-ce bien de ça dont elle a envie ?

Elle ne se pose pas plus de questions. Passe plusieurs heures dans le port à rôder autour du navire pour l’analyser. Les allers et venues pour les chargements sont nombreux et réguliers. Au final, ça arrange Masha, qui attrape une bâche laissée à portée et qui s'enveloppe dedans. Elle cale un petit paquet sous un de ses bras, et fait mine de se mêler aux autres marins. Par chance, personne ne l'interpelle. Elle gagne donc les cales et, comme dans son plan, se cache entre deux tonneaux. Le navire a fait le plein de victuailles, elle pourra donc survivre quelques temps là-dessous. Y’a plus qu’à attendre maintenant qu’il lève les voiles et qu’il l’amène vers sa prochaine destination. Qu’importe où qu’il aille, tant que c’est loin de l’Aube.

Des pas qui descendent l’escalier la font retenir son souffle. Pourvu qu’elle n’ait pas été repérée. Se recroquevillant encore plus sur elle, elle tente de se faire la plus petite possible. Mais les pas se rapprochent dangereusement, lui faisant craindre le pire. Et malheureusement pour elle, c’est bien l’inévitable qui se produit, alors qu’elle frémit et qu’elle rouvre les yeux en sentant la dureté et la froideur de la pointe d’une lame tout contre son corps. « Pitié, qu’elle souffle alors, osant à peine redresser son regard pour croiser celui de l’autre. Il faut que je quitte cet endroit, laissez-moi partir avec vous. Je ferais tout ce que vous voudrez. Pitié. » Les larmes qui coulent le long de ses joues, laissant des trainées éclaircies sur sa peau. Faut dire qu’elle fait peine à voir, Masha. Qu’elle est dans un sale état, avec la crasse qui parsème la moindre parcelle de son corps, l’odeur nauséabonde qui en découle, ou encore ses cheveux hirsutes qui semblent ne pas avoir été coiffés depuis une éternité. Le prix de plusieurs années de captivité et de longues séances de torture qui forcément laissent des traces.

Force majeure

Ils ne passent sur les terres de l’aube qu’une fois l’an. Un passage annuel à la Fontaine de Jouvence pour ceux et celles qui veulent s’y abreuver. Le Typhon ne s’attarde jamais bien longtemps sur ces rivages, mais Adrielle en profite habituellement pour caler quelques chargements intéressants, se rendant elle-même vers le port riverain à l’extérieur de la capitale pour conclure ses contrats avant de regagner la plage. Elle ne demande jamais à qui que ce soit de l’accompagner jusqu’à Mirhglin. Trop de membres de son équipage gardent des réminiscences sombres du temps qu’ils ont passé sur ces terres maudites. Contrairement à elle, ils ne possèdent pas le nom des Ethelil pour les protéger des dangers qui se tapissent dans l’ombre.

Chaque fois qu’elle pose le regard sur la forêt de l’aurore, Adrielle ne peut que froncer les sourcils en songeant qu’il est incroyable que le plus bel endroit d’Evanor soit aussi le plus sinistre pour une bonne partie de la population d’Evanor. C’est presque difficile de croire toutes les histoires d’horreur soufflées par les illyriens qu’elle a rencontrés en apercevant les hautes herbes turquoise qui se balancent au gré du vent ou en entendant le bruissement des feuilles aux tons valsant entre le rosé et le violet dans les arbres de la canopée. Pourtant, elle a entendu ces récits de la bouche de la majorité des ailés issus de l’est. Ceux qui n’étaient pas eux-mêmes des victimes en comptaient dans leur entourage. La corsaire en a vu les cicatrices…

C’est à ça qu’elle songe en poussant sa pirogue sur les flots tranquilles de la rivière, apercevant le port et le Typhon au loin. La perche s’enfonce dans les eaux claires silencieusement, se posant sur le sable humide au fond avec aise alors qu’elle sifflote une chanson qui lui trotte dans la tête. Peu familière avec la faune de cette région, elle sait que le silence peut être risqué en nature. Le sifflement avertit les créatures de son passage, leur permettant de détaler si elles craignent les faes. Bientôt, elle pourra souffler un peu. Ses hommes doivent revenir le lendemain matin. De son côté, le contrat a été conclu avec un marchand fortuné de Mirhglin qui lui a indiqué que le bateau qui transporte habituellement leur marchandise vers Elysium tarde à réapparaître, qu’il a probablement été emporté dans les profondeurs lors des dernières tempêtes. La mention d’un naufrage aurait sans doute horrifié la plupart des gens, mais Adrielle avait écouté son discours sans broncher, réglant les derniers détails rapidement avant de quitter la capitale. « C’est l’avantage de faire affaire avec les navires estivaux, avait-elle déclaré avec un sourire en coin. Les tempêtes ne coulent pas nos navires. » L’homme avait secoué la tête avec un brin de frustration avant de convenir que ses employée feraient porter les caisses vers le porte sur des barges d’ici le lendemain matin.

Avec une dernière poussée, l’hybride à la peau sombre pousse la pirogue vers le sable de la plage, posant les pieds dans le port avant de tirer l’embarcation hors de l’eau. Elle trace son chemin avec aise entre les habitations brinquebalantes qui se tiennent sur le sable, grimpant vers les docks pour trouver l’endroit où son navire est amarré. Jamais elle n’est vraiment en sécurité lorsqu’elle foule le territoire de cette cour, mais la capitaine a appris à prétendre. Lorsqu’elle met les pieds sur le bateau, elle croise Alya et la salue d’un signe de la tête en se dirigeant vers la porte qui la mènera à la cale. L’hybride s’élance vers elle en lui indiquant que certains matelots ont aperçu une silhouette étrangère se glisser dans les entrailles du navire. Adrielle est tentée de laisser les choses couler, mais quelque chose lui dit qu’elle doit vérifier. Aussi, elle ne tarde pas à entrer dans l’ombre de la coque, dévalant l’escalier bruyamment pour trouver les recoins ténébreux où quelqu’un a pu se terrer parmi la marchandise. Elle ne peut pas se permettre de prendre de risques. Après tout, cette personne s’est permis de s’infiltrer dans son navire. Peut-être cherche-t-elle refuse, mais peut-être cherche-t-elle autre chose…

Elle ne tarde pas à apercevoir une silhouette derrière un baril. Sans une seconde d’hésitation, Adrielle lui relève le menton à l’aide de sa lame. La vision du visage ruisselant de larmes d’une femme fait disparaître tout de suite la courbe de sa lippe, mais elle ne peut pas se permettre de rengainer tout de suite. Ses mots sont prononcés dans un souffle, les sanglots perçant dans les inflexions de sa voix. Pitié. Les sourcils d’Adrielle se froncent. « Pas de mouvement brusque. Je ne te ferai pas de mal si tu n’as pas de mauvaises intentions. Sa voix est douce, mais ferme. Dis-moi qui tu es et pourquoi t’as mis les pieds sur mon navire. »

octobre 821 avec @Louve Savelli ∙ code par alcara

force majeure

tw: idées suicidaires | @Adrielle Ethelil | oct. 821

sous les traits de Masha Mogween:

Y’a son souffle qui se coupe. Ses joues qui irradient d’un rouge flamboyant. Elle est confuse, Masha. Presque à l’agonie. Ses pires craintes qui se révèlent réalité, alors qu’elle est à présent découverte. Elle pensait avoir été discrète, mais il faut croire qu’elle s’est trompée. Peut-être aurait-elle pu prendre l’apparence d’un des marins. Si seulement elle avait eu un peu plus d’énergie pour ça… Au lieu de ça, la voilà qui fait déjà face au problème. Trop tôt. Ils n’ont même pas encore quitté le port. Dommage. Masha ne comptait pas sur le fait de rester cachée éternellement, mais si sa présence était découverte en pleine mer au moins la perspective de la faire redescendre aurait pu lui faire gagner quelques précieux jours, tout en l’emmenant loin de la Cour de l’Aube. Mais ce n’est pas le cas. Et Masha, rien qu’en imaginant la possibilité d’être balancée à nouveau sur le port, tremble d’effroi. Elle préfèrerait s’enfoncer cette lame en pleine jugulaire plutôt que de redescendre de ce navire. Plutôt mourir que d’avoir à y retourner. Elle a déjà tenté de s’enfuir une fois, et elle en a perdu une aile. Quel serait le prix à payer, cette fois, si elle était à présent découverte ? Masha n’ose pas y penser. Encore moins l’imaginer. Ses cauchemars parlent pour elle, reflets de l’imagination détraquée dont ses geôliers ont pu faire preuve. Non, jamais elle ne pourra retourner là-bas. Sa décision est prise, elle ne quittera pas ce navire. Ou pas vivante, en tout cas. Elle a déjà bien trop souffert, et si la liberté ne peut s’offrir à elle, alors c’est la mort qu’elle accueillera à bras ouverts. Elle l’a redoutée, pendant bien des années, avant de finalement l’accepter. Ce n’est pas une solution qu’elle envisage, mais plutôt son dernier espoir. Tant que ses souffrances prennent fin… C’est la seule chose qui importe vraiment.

Alors que ses orbes osent soutenir ceux qui l’affrontent, Masha reste sans voix. C’est elle. Elle ne l’a jamais vu d’aussi près, mais impossible, pour elle, d’oublier son visage. Adrielle. Elle avait reconnu son navire sur les quais, mais ne l’avait pas vu elle. Elle avait craint qu’elle n’en soit plus le capitaine. Ou qu’elle ait à faire à un de ses marins. Au final, elle se sent soulagée que ce soit elle qui vienne à sa rencontre. Elle qui la menace. Ça a quelque chose d’impressionnant, de devoir lui faire face. Mais en même temps… Ça lui ferait presque plaisir. Des sentiments aussi ambivalents que la gamine n’arrive pas à gérer, se contentant, dans un premier temps, d’ouvrir la bouche sans qu’aucun son ne s’en échappe. Elle finit par la refermer, confuse, son regard n’arrivant à se décrocher de celui de la capitaine. Etait-elle en train de rêver ? « Je n’ai pas de mauvaises intentions, qu’elle répète, dans un premier temps, de la même voix cassée et éreintée. Elle n’est plus si paniquée que ça, trouvant en Adrielle une figure réconfortante. Je m’appelle Masha. Masha Mogween. Vous ne savez pas qui je suis, mais moi, je sais qui vous êtes. Elle marque une pause, le temps d’avaler difficilement sa salive. Y’a un éclat admiratif qui nait dans le creux de ses yeux. J’ai grandi à Miriel, avant d’être envoyée de force à la Cour de l’Aube quand mes pouvoirs ont émergé. Elle marque un nouvel arrêt, sentant sa gorge se nouer rien qu’en y repensant. La période la plus sombre de sa vie, qu’elle espérait être à présent derrière elle une bonne fois pour toute. Ne me faites pas débarquer, pitié. Prenez-moi dans votre équipage, je ferai n’importe quoi. Je travaillerai sans relâche, et ne mangerai presque rien. Je ferai tout, TOUT ce que vous voudrez. Sa voix qui se brise alors qu’un nouveau sanglot traverse son corps, le faisant trembler comme une brindille. Il ne faut pas que je retourne là-bas. Je ne veux pas retourner là-bas. Emmenez-moi où vous voulez, ça m’est égal. Mais emmenez-moi avec vous, je vous en supplie. » Elle se laisse tomber en avant, ignorant la lame qui n’est qu’à quelques centimètres de sa peau, pour glisser sur le sol et faire en sorte que ses mains touchent le bout des bottes d’Adrielle. Un signe de soumission. D’imploration. De dernier espoir.