Jours ordinaires (Cataleya)

Breena ouvrit les portes du temple sur un magnifique soleil d'automne et tandis qu'elle bloquait la fermeture de ces dernières avec le crochet qui leur était destiné, elle contempla le ciel, une main devant les yeux pour s'épargner les rayons chaud de l'astre matinal. Ses longues manches rouges et grises étaient remontées sur ses coudes tandis que débutait le nettoyage matinal auquel le temple s'adonnait quotidiennement. Alors que les dortoirs se vidait des jeunes prêtres et prêtresses de l'automne, elle dispensa ses ordres, attribuant les tâches afin que chacun ait son occupation pour le début de matinée, laissant le temple impeccable pour l'arrivée des premiers fidèle qui s'en viendraient se recueillir auprès de la Mère. Sa tâche, elle, était la même depuis la dizaine d'années qu'elle servait au temple, délaissant l'activité de mentaliste pour la lourde charge de Haute Prêtresse de l'Automne. Bien qu'elle conservait son anneau d'hématite et ses pouvoirs liés à l'ajah grise, c'était auprès de l'aulne que Breena restait, lié à l'arbre sacré de la Cour jusqu'à ce que la Mère la rappelle à elle. Ce fut non sans un soupire que Breena rentra au sein du temple, le traversant pour rejoindre la Cour Sacré où l'Aulne Vénérable se trouvait. Seule l'élite de la Cour avait le droit de venir prier en ces lieux : la très haute noblesse qui en faisait la demande préalable, le Suprême qui pouvait disposer du lieu lorsqu'il le désirait et la Haute Prêtresse chargée de prendre soin de l'arbre autant que de s'y recueillir. Par moment, étaient autorisé quelques prêtresses et novices qui en demandaient la permission ou qui venaient jurer elle ne savait quoi devant la Mère tout comme aux rares cérémonies liant à jamais des âmes soeurs. Le reste du temps, cette Cour était fermée, réservée à son usage seul et c'était donc à elle qu'il revenait de le nettoyer quotidiennement.

Elle achevait de ratisser les feuilles dorées qui s'étaient écrasées au sol lorsqu'une de ses protégées vint frapper contre la brique de l'encadrement de la porte, une main sur la grille restée ouverte.  « Une visite, Haute-Prêtresse. » annonça la soeur rouge avec un visage neutre. Considérant l'absence de sourire en coin, Breena comprit que ce n'était guère Arne qui lui rendait visite et l'un de ses sourcils se leva. « J'ignorai qu'un seigneur avait demandé à me voir ? » dit-elle, perdue dans l'agenda changeant qui se révélait à elle à cet instant. La soeur secoua la tête. « Rien de programmé, prêtresse, juste une personne qui a demandé à vous voir en personne. » ajouta la jeune fille un peu mal à l'aise. Breena considéra l'idée de renvoyer l'impoli intrus chez lui avant de se souvenir qu'elle demeurait au service du peuple bien que sa présence soit, plus souvent, requise par Cesare Monteserre ou par la noblesse de la Cour. Déposant son gâteau contre un mur, Breena retraversa le temple, ajustant sa robe, rabaissant ses manches pour retrouver l'air digne et humble que la Foi exigeait qu'elle ait. Dans un coin de la grande salle se trouvait une fae aux longs cheveux noirs dont l'air ne lui était pas inconnu bien qu'elle n'aurait pu dire d'où elle la connaissait. « Vous vouliez me voir ? » demanda-t-elle, une once de curiosité la parcourant tandis que quelques mèches rousses s'échappant de ses tresses témoignaient de l'activité durant laquelle elle avait été dérangée.   

Depuis le temps, depuis le temps, tu allais enfin lui révéler pourquoi, à chaque fois que vous vous étiez croisées, tu l'avais regardée, sans avoir pu réellement lui parler, et lui dire ce lien qui vous unissait. Ce lien pourrait être plus fort que le néant qui représentait jusqu'à présent, mais voilà, tu n'avais pas pu lui dire, pas encore mais le moment était donc enfin venu. De passage dans ta cours pour quelques jours, petite pause de la troupe de théâtre chacun chez soi, tu avais pris la décision de venir en début de journée, tu te disais que la Haute-Prêtresse ne serait pas trop occupée à ce moment de la journée, et que même si tu avais à attendre quelques minutes, ça ne serait pas dérangeant du tout. Tu avais pris ce lien de parenté depuis peu finalement, depuis que Breena était devenue la Haute-Prêtresse de la cour de l'Automne, et il faut bien avouer que cela te démange depuis ce moment là. Mais en voyageant, en n'étant pas forcément à la cour de l'automne, c'est difficile de trouver le bon timing. Mais ce matin, tu es certaine de pouvoir le trouver sans que votre soeur ainée ne puisse ruiner ton plan, pour annoncer à Breena qu'elle a une famille, qu'elle n'est pas seule, qu'elle peut avoir des personnes sur qui s'appuyer, des personnes partageant son sang. Tu sauras le dire comme il faut à la grande fae contrairement à ta soeur ainée qui lui en veut, Breena étant malheureusement le fruit d'une aventure sans lendemain, ou presque, c'est comme ça que tu l'as idéalisé dans ton esprit, un détail qu'elle n'a pas besoin de savoir évidemment, détail que tu ne lui donneras pas, parce que tu veux partir sur un terrain d'entente, parce que tu veux trouver cette soeur que tu n'as jamais eu en sa personne. Ainsi donc tu guettais de loin l'ouverture des portes du temple, t'assurant qu'elle était bien là, et qu'elle n'était pas en déplacement, comme cela pourrait arriver. Tu aurais pu venir la trouver à ce moment là, mais non, dans ton esprit ce n'était le meilleur moment, surtout qu'elle devait avoir encore quelques menus préparatifs à faire. Néanmoins, après quelques minutes, tu entrais dans le temple et tu demandais à la voir en personne, elle et toi, sans donner plus de détails. Cela ne regardait que vous deux, et personne d'autres. Si ensuite, elle désirait faire part de cette nouvelle à d'autres personnes, libre à elle d'agir de la sorte bien entendu. Quoiqu'il en soit, tu étais là dans un coin de la grande salle, l'attendant patiemment, et elle ne tarda pas à arriver. Tu lui souriais presque timidement, tu savais si bien jouer avec les traits de ton visage, mais là, ce n'était pas feint, c'était parfaitement authentique.

" Bonjour Haute-Prêtresse, j'espère que je ne vous dérange pas trop en ce début de matinée, mais oui, je désirais vous voir en personne. J'ose supposer que mon visage ne vous est pas complètement inconnu mais que vous ne sauriez le remettre dans son contexte, n'est ce pas ? "

Tu ne sais pas si ce sont les bons mots, mais ce sont les mots que tu utilises comme préambule auprès de celle qui est ta demi-soeur donc. Tu ne veux pas lui faire peur, ni trop la surprendre, tu prépares le terrain pour cette révélation importante, surtout qu'à priori, elle ne s'y attend pas.

  

Il n'y avait pas de manière poli, à sa connaissance du moins, pour demander à quelqu'un où on l'avait déjà vu. C'était sans doute l'un des conseils les plus précieux qu'elle eut reçu de l'Implacable avant de quitter l'habit gris pour le temple d'Arvandor : ne jamais froisser l'égo de la noblesse ou la piété du peuple en montrant qu'au fond les visages se perdaient dans la foule des anonymes ou des grands de ce monde qu'elle côtoyait au quotidien. Si elle aurait été bien peiné de reconnaitre une lointaine connaissance de ses jeunes années à Mairil, de son début d'apprentissage à Velaris, de ses premières mission à Hvitsen ou des quelques années à officier dans la Nuit, elle tentait d'avoir plus de mémoire en ce qui concernait les ressortissants de l'Automne. Malheureusement, certains, bien qu'ils la saluaient vivement, le regard emplis d'une admiration dévote ou d'un mépris affiché, ne lui disait tout simplement rien du tout. Combien de soldat croisés sur le chemin de la Maison des Bois ? Combien de pauvres gens reçus lors des journées de la charité ? Combien de nobles héritiers exaspérant sa piètre patience ? Combien d'homme se risquant à se faire brûler l'arrière train en s'approchant trop près de ses protégées. Non, Breena ne parvenait à remettre un nom sur chaque visage. Souvent elle oubliait les deux même. Mais la fae, elle, elle avait son nom, sa rencontre, sur le bout de la langue. « Nous nous sommes déjà croisé à la Cour du Suprême, non ? » tenta la prêtresse avec un sourire qui se voulait gêné : solution de facilité cependant, même si elle croisait beaucoup de monde lors de ses visites à la Maison des Bois, cela limitait drastiquement les possibilités : maisonnée, conseillers, fournisseurs ou simples artistes se produisant lors des banquets donnés par la Cour. C'était encore vaste, mais toujours plus réduit que la Cour dans son intégralité.  

Le regard de Breena glissa sur le côté où certains membres du temple s'étaient arrêté pour laisser leur curiosité face à la nouvelle arrivante prendre le dessus sur les ordres donnés précédemment. La septuagénaire leur lança un regard sévère et elle eut l'impression de voir l'une des nouvelles recrue sursauté tandis que tous se détournaient pour fuir les possibles humeurs de la Haute Prêtresse. « Peut être préférez vous un peu d'intimité pour votre requête ? » proposa la rousse, consciente que le manège recommencerait dès qu'elle aurait le dos tourné. Pivotant d'un quart de tour, elle fit signe du bras vers un couloir au fond de la grande salle du temple, attendant de voir si la jeune femme prendrait la décision, d'elle-même, de bouger ou si l'affaire n'était pas si importante et pouvait se régler dans le hall au vu et au su de tous. Le couloir menait à un cloître qui offrait une vue sur l'Aulne sacré et aboutissait aux appartements de la Haute Prêtresse, plus propice à une discussion loin des oreilles curieuses.  

Il n'y avait pas de bonnes ou de mauvaises façons de faire dans l'absolu. Mais il fallait mieux qu'elle apprenne cette nouvelle de ta bouche, plutôt que de la bouche d'une autre personne moins bien attentionnée que ce que tu pouvais être en toutes circonstances. Tu es quelqu'un d'assez tolérant Cataleya, et dans cette situation là, il fallait mieux agir avec discrétion et prudence. Ainsi à cette heure de la journée, il n'y avait pas trop de risques de faire trop de bruit par ici, surtout auprès de celle qui est "simplement" ta soeur. Bon d'accord, ce n'est pas aussi simple que ça, mais vous avez compris l'idée, n'est ce pas ? La Haute Prêtresse se hasarda à sortir une possibilité sur une de vos rencontres. Il faut avouer que depuis quelques mois, vous vous étiez croisées, de plus ou moins loin, deux fois, sans possibilité de réellement vous parler. Il en est ainsi parfois, c'est pour cela que tu étais venue ici, pour que cette fois-ci rien ne puisse déranger cette révélation que tu avais à lui faire de vive voix, et non à travers une lettre qui pourrait passer comme n'étant pas véridique, ni authentique. Tu souriais donc à sa question, tu es actrice, alors oui, peut être effectivement que vous vous étiez croisées une fois de cette façon, c'était fort possible même. Tu allais ouvrir la bouche lorsque d'autres personnes montrèrent le bout de leur nez, curieuse de savoir pourquoi tu étais là, se demandant qui pouvait venir voir la Haute Prêtresse à une heure aussi matinale que celle-ci. Il lui suffit d'un regard pour que les petits curieux s'en aillent et qu'elle te demande si tu voulais plus d'intimité pour ta requête. Pour toi ça irait, peut être que ce serait mieux pour elle en réalité. Il serait peut être mieux d'avoir une chaise à sa portée si jamais elle tombait des nues suite à la révélation que tu allais lui faire. Ainsi donc tu suivais la direction qu'elle te montrait pour avoir plus d'intimité, pour que celle qui était ta soeur puisse en savoir plus sur ses origines, une partie de ses origines qu'elle ne devait sans doute pas connaître. Est ce qu'elle avait envie de savoir ceci dans ce timing là ? Difficile à dire, mais à présent, tu n'allais pas faire machine arrière pour lui révéler ceci. Souriante, tu avançais légèrement au devant d'elle pour arriver là où elle voulait aller, pour être plus au calme, pour que personne d'autre ne tente de savoir ce qui était en train de se passer. Ainsi donc, pour le moment tu ne disais rien de plus, attendant d'arriver à destination pour lui révéler le fameux secret. Elle t'avait déjà vu, elle le savait, toi aussi, mais sans doute qu'elle ne se doutait de rien vis à vis de votre lien de filiation.   

Breena ignorait si c'était inhérent à son sang automnal, mais elle n'avait jamais été une personnalité particulièrement patiente. Aussi, le silence de la fae commençait doucement à faire frémir son sang : perdue entre curiosité et appréhension, elle invita l'inconnue à s'installer dans une loggia confortable qu'elle réservait d'ordinaire à de plus illustres visiteurs. La vue sur l'Aulne Sacré était une marque de respect et elle était persuadée que pour certains de ses invités, il s'agissait là d'une manière de se dédouaner devant la Mère, de leurs actes répréhensible avant de retourner au quotidien de leur existence. Comme si une pause pieuse, la vue d'un arbre, et quelques paroles prononcés sans même y croire changeaient quelque chose ... Néanmoins, l'automnale se pliait au protocole ayant rapidement comprit que pour avoir la paix, mieux valait offrir à ses nobles visiteurs ce qu'ils désiraient, aussi hypocrite cela eut-il pu être. Elle doutait, cependant, que sa visiteuse vienne chercher le repos de l'âme ou apaiser sa conscience mais son silence faisait naitre en elle une tension qui la mettait mal à l'aise. S'installant sur l'un des fauteuils, les jupes orangés s'étalant sur les cousins de tissus brun, elle posa sur la brune un regard inquisiteur. « Bien. Peut être pourriez-vous éclairer ma lanterne sur les raisons de votre présence et votre besoin de ma personne ? » finit-elle par dire avec nettement moins de douceur que ses invitations précédentes.

Il existait tout un tas de profils différent chez les personnes qui fréquentaient le temple. Il y avait ceux qui venait pour s'y faire voir, s'assurant d'être particulièrement bruyant ou bien habillé, offrant une mine de profond recueillement quand il ne tentaient pas de négocier d'être introduit dans des parts plus privé de l'édifice. Il y avait les véritables croyants, plus discrets, qui venaient à de multiples occasions, restant dans leurs coins et ignorant autant les soeurs que le reste des fidèles. Il y avait ceux qui venaient chercher conseils ou refuge, le regard souvent fuyant, l'attitude défensive trahissant le combat intérieur qui se jouait en eux. Il y en avait encore bien d'autre. Lorsqu'elle était devenue Haute-Prêtresse, Breena avait passé un moment à les observer, perchée sur un rebord en brique, invisible de ceux qui ne levaient pas ls yeux. A cette époque, sa vie venait de changer du tout au tout et cette nomination mettait fin à son existence nomade et elle s'ennuyait ferme. Elle luttait avec la même tentation, qui aujourd'hui encore, fourmillait le long du doigt qui portait la bague d'hématite. Cela serait si simple de se glisser dans l'esprit et d'en arracher les information qu'elle désirait, si facile ...

Le temps du trajet jusqu'à son bureau, pour ainsi dire te parut si long. Tu ne savais pas comment lui annoncer cela, tu ne savais pas comment tourner les choses pour que les mots puissent sortir d'une manière qui puisse lui convenir. Pourtant, sur les planches, tu es si à l'aise, tu sais tout jouer, et tu t'en amuses presque trop, mais là, c'était différent, un cadre inédit pour toi ou presque. Ta famille, c'était avant tout ta troupe, mais Breena en faisait partie, et elle ne le savait pas encore. Tu voyais néanmoins qu'elle attendait quelques choses de toi, et qu'elle le voulait plus que rapidement, parce que sans doute avait-elle encore bien des affaires à régler, ou préparer. Alors à sa question, tu lui souris légèrement. Tu ne voulais pas l'importuner plus que de raisons parce que tu sentais qu'elle n'avait pas ton temps, qu'elle n'avait pas de temps à perdre avec toi tout simplement. Le cadre était pourtant propice à l'apaisement, mais elle ne semblait pas avoir envie de le faciliter, mais elle était assise, au moins, elle ne se ferait pas mal en tombant des nues suite à ta prochaine révélation.

" J'ai une révélation à vous faire à propos de vos origines. C'est difficile à formuler correctement, j'en ai bien peur, mais nous avons un parent en commun, nous avons le même père. Et nous avons également une soeur en commun, enfin, une demi-soeur pour vous donc. "

Et tu n'entres pas plus dans les détails pour le moment, tu la laisses digérer ces premières informations qui sont déjà bien corsées. Mais comment le dire d'une autre façon ? Comment le dire sans que ça ne soit trop difficile pour elle ? Tu venais de lui révéler qu'elle avait donc deux demi-soeurs, que vous aviez le même père donc. Tu ne lui racontais pas encore la jalousie de votre aînée. Tu ne sais pas à quel point cette jalousie s'est développée ces dernières années, vous vous croisez trois ou quatre fois l'an, au vue de ton parcours sur les routes, mais il est sans doute mieux que ce soit toi, qui lui révèle les choses, votre aînée étant moins chaleureuse avec Breena assurément, même si, peut être, éventuellement, les choses auraient pu bien se passer. Tu en doutes au vue de vos caractères bien différents alors, de passage par ici, tu as jugé bon de venir importuner ta demi-soeur pour lui annoncer cette nouvelle là.
  

Il était des questions auxquelles nul n'avait de réponse. Au fil des ans, Breena avait comprit que son passé entrait dans cette catégorie de choses que les soeurs vertes qui l'avaient élevée ne pourraient jamais lui donner. Qu'elles eurent ou non des informations sur sa naissance, l'automnale avait rapidement saisi que derrière le sourire bienveillant des nourricières, il y avait plus de secrets que leur ordre voulait bien le dire. Pour autant, l'orphelinat de Mairil était tout ce qu'elle avait toujours connu et lorsque s'était présenté l'opportunité de le quitter, seul deux choix s'offrait à elle. Le premier, qu'elle avait saisi, était de donner sa vie pour rembourser la dette qu'elle avait envers l'ajah verte : rejoignant le Crépuscule, elle accéderait à une existence où elle pourrait côtoyer les plus grands et prendre sa revanche sur une vie si mal entamée. Le second l'envoyait dans les terres de la Cour que l'émergence avait désigné comme sa cour d'origine : l'Automne. Elle y trouverait sans doute un emploi et rebâtirait tant bien que mal une existence dans cette cour dont elle ignorait tout. Dans les deux choix qui lui était proposé, aucun n'impliquait de nom : elle ne savait pas si elle tenait de son père ou de sa mère, ignorait s'ils étaient morts, si elle leur avait été retiré ou s'ils l'avaient sciemment abandonné. C'était un sujet avec lequel elle avait finit par faire la paix, acceptant en embrassant la voie de la foi, qu'elle renonçait sans doute à la liberté de chercher d'où elle venait.

Cela expliqua sans doute le froncement de sourcil de plus en plus prononcé de la prêtresse aux mots que la muette, visiblement pas si muette que cela, lui dispensa. Il y eut un silence, long et pesant, tandis que Breena se répétait les paroles de l'inconnue pour être certaine d'avoir bien compris de quoi il en retournait. Un parent commun. Un père. Demi-soeurs. Il eut un battement de cil, puis un autre tandis que, paralysée, Breena ignorait si elle devait rire de la blague qu'une de ses ouailles n'aurait pas manqué de lui faire ou s'insurger de l'affront d'un mensonge si cruel. Pour autant, aucun des enfants de l'Automne n'avait prêté une attention particulière à cette étrange visiteuse et elle n'imaginait personne, à sa connaissance, d'assez tordu pour lui jouer pareil tour. Azalée savait que le sujet était sensible, Arne ne la torturerait pas avec de tels sujets et elle voyait mal la noblesse automnale se soucier assez d'elle pour envisager perdre du temps en pareille sottises. Ce qui poussa donc le doute à une nouvelle extrémité : et s'il y avait une once de réalité dans le discours de l'étrangère ? « Excusez moi mais ... » Elle se sentait perdue, partager entre l'envie de cracher sa colère et l'inquétude de la part de vérité qui pouvait se cacher dans cet aveu et qu'elle ne pouvait pas prendre le risque de laisser filer. « Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? A ma connaissance, nous ne nous sommes jamais vu et vous venez m'entretenir d'une soit disant vérité invérifiable. » dit-elle avec un calme qui la surprit. Car si la fae disait vrai, alors peut être tenait-elle un bout de piste sur le plus grand mystère de son existence, peut être pouvait-elle envisager, un jour, découvrir d'où elle venait.

Est ce qu'elle devait en savoir plus sur ses origines ? A ton sens, oui, elle devait en savoir plus, et il serait mieux, quoiqu'il arrive, que ce soit toi qui lui révèle tout cela. Pourquoi ? Tu connais suffisamment ta soeur pour savoir que si elle avait été là, à ta place auprès de Breena, qu'elle aurait été plus cinglante, plus difficile avec elle, qu'elle ne l'aurait pas ménagée du tout. Mais est ce que l'on peut ménager une personne avec ce genre d'informations ? Difficile, surtout que finalement, tu lui disais les choses franchement, sans passer par quatre chemins, parce qu'il n'y avait pas à tourner autour du pot pendant 107 ans. Elle trouvait déjà ta présence ici étrange, bizarre, et tu ne voulais pas ajouter de trop à son possible malaise, même si en l'occurrence, une alternative allait se poser à elle : te croire ou ne pas te croire. Après tout, elle avait toutes les raisons du monde de ne pas te croire, de penser que tu étais en train de lui raconter des salades. Tu n'avais pas de preuves écrites de ce que tu lui avançais, mais tu la ferais raisonner, juste ce qu'il faut, pour qu'elle comprenne des choses à ton sujet, et à son sujet par extension. Le silence qui suit tes révélations est lourd, pesant, comme si une chape de plomb venait de descendre sur vos épaules respectifs. Si l'illusion était là, la réalité du propos reflétait votre réalité. Breena n'était pas ici par hasard, elle n'était pas "revenue" à l'Automne en un claquement de doigts, c'était pour ainsi dire l'Automne qui était venue à elle, puisqu'elle en était originaire, tout du moins à moitié, son père, votre père était de l'Automne. Tu pourrais surenchérir sur tes propres propos, mais tu la laisses digérer l'information, tu la laisses l'analyser, tu la laisses la recevoir en pleine face même si le silence doit rester dans la pièce pour de longues minutes encore, cela n'a pas grande importance dans le fond. Et finalement, après un temps certain de réflexion, elle te pose la question. Elle ne veut pas y croire, tu peux le lire dans ses prunelles, elle doute de la véracité de tout cela, mais elle ne te connais pas, elle ne sait pas ce que peuvent valoir tes paroles, surtout qu'elles sont troublantes, venant peut être faire voler en éclats ses certitudes, ou rouvrant tout simplement une plaie qu'elle pensait sans doute cicatrisée par l'ignorance.

" Il n'y a malheureusement aucune bonne formulation pour ce genre de vérité, j'en ai bien peur, mais réfléchissez encore un instant s'il vous plait. Vous n'êtes pas revenue ici à l'Automne par hasard, notre père était un soldat de l'Automne. Vous ne connaissez pas vos origines, n'est ce pas ? Depuis plus de 70 ans, c'est une quête irrésolue, mais je peux vous aider si vous le désirez, après tout, nous avons la moitié de notre sang qui est semblable, parce que l'Automne coule dans nos veines. "

Tu lui souris légèrement, aucunement tu ne veux la mettre d'avantage mal à l'aise, aucunement tu ne veux ajouter des braises sur sa tête car sans doute qu'à l'intérieur de celle-ci, c'est en train de chauffer grandement. Peut être qu'elle voudrait connaître son nom de famille originelle, peut être que tu pourrais le lui donner, mais avant cela, tu veux qu'elle puisse accepter tout ce que tu auras à lui dire encore, parce que tu n'as révélée qu'une petite partie de tout ce que tu as à lui dire.

  

Que savait-elle réellement de son existence ? L'obscurité qui entourait ses origines l'avaient souvent maintenue éveillé le soir lorsque, perdue dans les bras d'Arne, elle énumérait mentalement la liste de ce qui les maintenaient à distance l'un de l'autre. En tête de liste, la noblesse de l'hivernal qui s'opposait au vide qui entourait son passé. Elle s'était maintes fois  demandé si sa vie aurait été différente entourée de parents, d'une fratrie, si elle avait eut un nom. Une vie sans secret, une vie où elle pourrait comprendre ce qu'avoir une famille signifiait, où elle aurait fait le choix d'entrée au Crépuscule par vocation et non par survivance, où elle aurait un point de repère, tout simplement. Les quelques mots de la fae suffisait à la blesser, ravivant l'espoir depuis bien longtemps enterrés, les rêves de la fillette dont le regard se perdait dans les champs qui entouraient Mairil. Le regard de la prêtresse se fit plus dur : au fil des ans, elle avait développé l'imparable certitude que la meilleure des défenses demeurait l'attaque, expliquant le caractère enflammé, parfois agressif, peu convenable pour une prêtresse. « Il est assez évident que j'ai une parenté automnale je vous l'accorde ... » finit-elle par dire, désignant d'un geste de la main le temple dans son ensemble. Seule les automnales pouvaient prétendre à prendre la tête du temple d'Arvandor. Elle soupçonnait l'Implacable de ne pas être étrangère à sa nomination : elle qui ne connaissait réellement ses compatriotes était passée de l'anonyme soeur grise à la Haute-Prêtresse de l'Automne sans n'avoir jamais témoigné la moindre ambition à ce sujet. Caressant du bout du pouce la bague de silex qui entourait son majeur, elle songea avec ironie que certaines devaient le regretter à présent : imprévisible, indocile, Breena était une étincelle intarissable sur un lit de feuilles mortes, une implosion à retardement qui menaçait d'éclater d'un instant à l'autre.  « Comprenez cependant ma surprise face à votre annonce : nous ne nous sommes jamais vu, j'ignore tout de qui vous êtes ou de comment vous êtes entré en possession de telles informations. » rappela-t-elle non sans froideur, énumérant des faits et des question qu'elle espérait voir répondues prestement. Qui était cette étrangère pleine de vérité toute faites ? Comment avait-elle acquis la certitude de ce qu'elle avançait ? Pourquoi venir l'en informer ? Pourquoi maintenant ? 

Elle eut un soupire. Elle ne parvenait à trouver de raison justifiant d'un quelconque mensonge : elle n'était ni riche, ni célèbre, rien qui ne pourrait attirer l'attention et l'avarice de quelques personnes mal intentionnées. Mais elle ne parvenait à trouver de raison qui justifierait de la venue de cette femme et l'inconnu lui faisait toujours envisager le pire. « Je ne prétends pas que ma personne soit assez importante attirer nombre de famille à mentir pour obtenir un lien de parenté avec moi mais je me trouve prise au dépourvu. » confessa la prêtresse qui n'appréciait que moyennement le sentiment qu'elle expérimentait actuellement. Braquant ses yeux vert d'eau sur l'automnale, la prêtresse attendait des réponses avant de décider si elle la laissait repartir en un seul morceau.