You're in my veins

L'attente était insoutenable. Malgré tout le secret qu'il avait tenté de mettre autour de son départ, malgré les silences douloureux qui s'étaient installés entre eux, Argella savait. Elle ne pouvait que taire le peu dont elle était au courant, le peu qu'elle avait pu arracher à Merrill usant autant des yeux doux que des menaces de mort lente et douloureuse qu'elle ne manquerait pas de lui faire subir s'il ne lui donnait pas de quoi ronger son frein. Oui, Argella savait. Et tout comme pour leur départ pour l'Aube, quelques mois auparavant, elle se faisait un sang d'encre. La différence était qu'elle ne s'était pas réfugié au sommet de la montagne pour vider les stock de liqueur du camp, qu'Irhyna n'avait pas eu à venir l'y chercher pour lui arracher un semblant de vérité sur ce qui la tracassait. Non. Elle ne pouvait se le permettre. Alors elle restait au sein du clan, tentant d'agir comme si de rien n'était, frémissant à chaque entrée dans les frontières du clan, attendant, désespérant d'avoir des nouvelles.

Les journées étaient longues, mais les nuits l'étaient plus encore. S'ils n'avaient rien officialisé, Argella se réveillait souvent au milieu de la nuit, le cherchant dans le lit, ne rencontrant que le le froid de son absence, que le vide qui résonnait dans son être. Alors vint l'indéniable constat, la vérité aussi brute et violente qu'un coup de lance en plein ventre. Edvin lui manquait. Ils avaient beau passer leur temps à se chamailler, ils finissaient toujours par régler leurs différents entre les draps de l'un ou de l'autre et si elle se refusait toujours à apparaitre comme sa compagne ou quoi que ce soit qui eut symbolisé une forme d'appartenance, c'était dans ses bras qu'elle passait la plupart de ses nuits. Rien d'officiel, mais les femmes dont le regard s'attardait trop sur l'hivernal finissaient immanquablement à terre lors d'un entrainement car quoi qu'elle refusait de l'admettre, Argella était jalouse. Il n'en avait peut être pas conscience mais Edvin était à elle et à aucun autre et elle ne manquait jamais une occasion de le faire comprendre à ses hypothétiques rivales. Mais Edvin n'était pas là et bien qu'elle tentait de donner le change, elle s'en sentait profondément affectée.

Elle regardait, hautaine, son adversaire toussoter sur le sol, essuyant d'une main colérique, le sang qui perlait sur sa propre lèvre fendue. A mesure que les jours passaient, la tension de l'illyrienne se ressentait dans ses entrainements. A tel point qu'une part de ses opposants habituels préféraient couper court aux combats que de risquer de sévères blessure. Mue par ses émotions contradictoires et violentes, Argella ne se retenait pas et elle avait été sérieusement réprimandée par sa lieutenant lorsqu'Irhyna avait du réparer une mâchoire brisée moins d'une semaine auparavant. Mais les coups étaient la seule chose qui l'empêchait de penser. Et penser la ramenait toujours au silence d'Edvin, au silence de Merrill et au msytère de leur traque. Son adversaire se releva, se mettant en garde avant de décider de courir vers elle, lui assénant un coup dans la cuisse qui ne fit qu'exacerber sa mauvaise humeur face à sa propre réaction, trop lente pour esquiver. Elle manqua de tomber, se rattrapant des deux mains sur le sol caillouteux de la lice avec assez d'élan pour balancer sa jambe contre le menton de l'hybride qui lui était opposé, le renvoyant manger le sable aussi rapidement qu'il s'en était levé. Il crachait encore des petits grains lorsqu'Irhyna apparut dans son champ de vision, la détournant de son combat, et lui adressa un hochement de tête.

Son coeur manqua un battement et elle se hâta vers la barrière, non sans gratifier la victime de sa colère passagère d'une tape sur l'épaule. Ses jambes épuisées la tinrent jusqu'aux portes du camp, courant entre les tentes, esquivant les quelques personnes sur son passage jusqu'à ce qu'enfin, il lui apparaisse. « Edvin ... » souffla-t-elle. Il était vivant. Couvert de sang, visiblement épuisé et sans doute blessé, mais vivant.

Le corps sans vie d'Aveline reposait à ses côtés, c'était presque dans ses bras que la guerrière avait rendu son dernier souffle, son sang imprégnant ses vêtements. Voilà des mois de traque qui s'achevaient enfin, après tant d'efforts et de travail, Edvin touchait son objectif du bout des doigts : ne restait qu'à prendre la place qui lui était due. Après un tel combat cependant, l'illyrien se sentait vidé de son énergie et s'effondra dans la neige, rougie par le liquide carmin. Le ciel voilé de nuages continuait de déverser sa rage : la tempête s'était calmée mais restait là. S'il ne subissait pas les affres du froid, le vent fouettait sa peau, la rendant piquante. Il était épuisé, bien que cette fois-ci, blessé légèrement, une simple entaille au bras et la satisfaction du travail effectué. Dans ce maelstrom de nuages et de flocons, il entrevoyait déjà le visage inquiet d'Argella qui l'attendait impatiemment au camp. Ce serait mentir que de dire qu'il n'avait pas songé à elle durant ce combat. Lorsqu'il avait cru mourir, son odeur s'était muée, sa voix courroucée, ses mains parcourant son échine demandeuse. En réalité, elle n'avait pas quitté ses pensées, l'obsédant comme jamais - et ces jours loin de la jeune femme avait éveillé une nouvelle sensation : le manque. Semblable aux drogués n'ayant pas reçu leur dose quotidienne, il se languissait de rassasier ce besoin irrationnel de l'avoir auprès de lui. Et pourtant, la Mère sait à quel ils pouvaient s'insulter, se battre quand ils étaient dans la même pièce. Quand deux caractères aussi semblables s'aimaient, cela engendrait forcément des tensions.

Par la Mère, que sa chaleur lui manquait, que son rictus lui manquait, aussi insupportable que charmant. Car elle était la seule qui trouvait grâce à ses yeux, la seule qui avait accaparé ses pensées et son âme, lui, le renfrogné Edvin Lovendal, aimait. Son amour était jaloux, violent, brutal, possessif - et tant d'autres vices, mais il existait. Malgré toute sa volonté pour l'ignorer, il l'avait accepté, avec plus ou moins de réussite. S'il restait assez réservé sur ce qu'ils partageaient - parce que ça n'appartenait qu'à eux seuls, il était prêt à l'assumer. Si cela ne lui plaisait guère d'être aussi dépendant d'une personne, Argella l'avait changé, lui ouvrant l'esprit et le coeur à d'autres sentiments que l'amertume ou la colère. Elle avait adoucit le loup solitaire.

L'homme tira sa force dans la volonté de la revoir - qui allait presque au-delà du bonheur d'avoir tué son ancienne Eole, et se leva enfin, resté allongé bien trop de temps. Ils ne devaient pas rester sur la scène de crime - même s'il doutait que qui que ce soit ait l'envie de s'aventurer dans cet endroit isolé de tout. L'ailé se tamisa au camp de la nuit de l'argentée, devant la porte. Et cette fois-ci, ce n'était pas la queue entre les jambes qu'il revenait mais auréolé de gloire. Victorieux d'une longue et insidieuse bataille. Son retour attirait quelques curieux, tandis qu'il marchait en direction de la tente de la cheffe, s'arrêtant lorsqu'il entendit sa voix et découvrit sa silhouette. Son visage inquiet laissait deviner qu'elle s'était rongé les sangs durant son absence. "Argella." Dit-il dans un sourire franc, rare et dont elle seule avait le secret. Ce sourire ne trompait pas quant à la réussite de la traque. Il signifiait ce succès mais aussi sa joie de la retrouver. Bien qu'il manquait d'envie de la toucher, de la prendre dans ses bras, il demeurait à bonne distance, avant que tous deux ne prennent le chemin de la tente de l'ailée. A peine avaient-ils passé les pans de celle-ci, à l'abris des regards, qu'il attrapait sa main, la faisant tournoyer jusqu'à lui pour l'embrasser furtivement, et chuchota contre ses lèvres, mains sur les joues laiteuses de la jeune femme. "On a réussi, Aveline n'est plus. Je suis désolé de ne pas t'avoir donné plus de nouvelles, mais ça aurait pu compromettre la mission." Reprit-il plus bas, soulagé et fier - loin de l'arrogance insupportable qu'on lui connaissait autrefois. Il s'écarta, retirant sa veste de cuir, en grimaçant légèrement - quelques courbatures rendant ses mouvements douloureux. "Je dois prendre un bain." maugréa-t-il.

La guilde avait toujours été plus que brumeuse dans son esprit. Elle avait rejoint les Stormvaengir plus par conviction que quelque chose était possible, séduite par l'argumentaire de Merrill, que par esprit de revanche. Que ce fut son statut ou ses valeurs, Argella s'était naturellement placé dans le cercle que dirigeait son ami, ignorant presque tout des autres groupe qui composait la guilde à l'exception des trop rares informations qu'elle avait d'Irhyna, de Shirat ou, plus rarement encore, d'Edvin. Ce n'était que l'opposition franche de son éole avec l'une de ses comparses qui avaient arraché à Merrill un nom, Aveline, qu'elle avait finit par comprendre être l'éole du cercle des assassins. Du reste, Irhyna aurait pu être à la tête du cercle Sud, Argella n'en aurait rien sut. L'anonymat, le secret, était ce qui préservait la pérennité du groupe et elle avait plus d'une fois râler à l'idée que Merrill se mettait en danger en révélant son appartenance, et peut être même son rang dans l'organisation, à d'autre que les membres de l'Oeil ou ses propres zéphyrs. Tout comme pour sa protégée, il avait fallut un moment pour qu'Argella saisisse qu'ils appartenaient tous à la même famille, qu'ils avaient tous un même objectif. Alors, seulement, ils s'étaient ouverts à parler de la guilde, à parler de ce qu'ils pouvaient y faire, conservant des réserves que le secret leur imposait mais partageant un même fardeau.

C'était peut être parce qu'elle en savait trop que l'angoisse ne l'avait pas quitté. Si Aveline était restée incontestée dans un cercle si prompt à se déchirer, ce n'était pas pour rien et bien qu'on lui ait dit qu'elle avait soudainement disparue, qu'elle était sans doute épuisée d'une cavale qui la dissimulait autant des fae que de ceux qui avaient été, un temps, ses alliés, le souvenir de la première venue d'Edvin au camp suffisait à mettre l'illyrienne dans tous ses états. L'idée qu'il ne revienne pas, l'idée qu'elle fut réellement plus forte, la tenait éveillé jusque tard dans la nuit, la déconcentrait dans ses entrainements, l'empêchait d'adhérer au personnage qu'elle se devait d'être hors des murs du camp. Nuit et jour il la hantait. Au début, elle s'était contenté d'en rire, remarquant avec une certaine auto-dérision l'effet de son absence sur elle, usant de métaphore ridicule comme si cela diminuait l'impact de sa personne dans sa vie. Mais à mesure que passait les jours, elle n'y trouvait plus rien de drôle et l'humour noir avait laissé place à l'anxiété, à la colère, à l'obscurité. Le voir déclencha tant d'émotion dans son coeur qu'elle se demanda si elle n'allait pas mourir sur le coup : le soulagement soudain, la joie, l'inquiétude, la colère, l'espoir. Tout se mélangeait dans un chaos qui la secouait, hérissant les poils de ses bras tandis que leur habituel retenue publique menaçait de disparaitre. Ce n'était pas juste, ce qu'il faisait naitre en elle. Pas juste qu'il puisse la saluer comme si elle n'était que la cheffe du camp, passer à côté d'elle comme s'il ne ressentait pas la puissante attraction qui les liait, comme si tout n'était que dans sa tête et qu'elle était la seule à en souffrir autant qu'à le désirer.  

Mais si Argella demeurait un bloc de marbre devant le reste des siens, elle s'accrocha à la nuque de l'illyrien dès que les pans de la tente retombèrent, leur offrant l'intimité brulante dont leurs retrouvailles avaient besoin. Si elle n'avait jamais été particulièrement démonstrative dans les quelques relations qu'elle avait pu avoir, elle offrait un visage bien différent lorsque, loin des regards, il n'y avait qu'eux. Elle se laissa sourire tandis qu'elle savourait la force de ses bras autour d'elle, la chaleur de son corps contre le siens. « Alors c'est fini ? » lui demanda-t-elle, craignant qu'il lui avoue un nouveau départ, qu'il mette fin à a ce qu'ils avaient maintenant qu'il pouvait envisager un avenir dont il était le seul maître. Car il aurait fallut être sot pour penser que la fin de la traque signifiait le retour à la normalité. Quelque part, elle était certaine que certaines choses changeraient et elle redoutait d'être l'un des éléments dont il voudrait se débarrasser. « J'imagine qu'un Oeil aura bientôt lieu ... Ce qui veut dire que chaque éole convoquera son cercle. » marmonna-t-elle plus pour elle même que pour lui. Il lui faudrait faire un tour à Velaris, ou à Ondiane selon ce que Merrill lui ordonnerait. Ce n'était pas plus mal, songea Argella, elle avait à lui parler elle aussi : son contact des Marchands de Sable lui ayant parler d'une opération à laquelle elle ne pouvait pas échappé, pas alors qu'ils formaient un lien entre les deux guildes clandestine. Un léger ricanement s'échappa de ses lèvres tandis que ses mains se perdaient entre les couches de vêtements de l'illyrien. « Sans aucun doute mais je dois avouer que cela ne me déplait pas là tout de suite. » chuchota-t-elle, un sourire au coin des lèvres. Alors, elle se hissa à son niveau, glissant contre lui pour murmurer à son oreille. « Te voir revenir victorieux comme cela me donner des idées peu avouables. » Cela venait sans doute de ces vieux réflexes primaires qui habitaient les ailés, ceux qui justifiaient la violence de leurs combats, la rudesse de leurs modes de vie : l'instinct. Elle appréciait déjà de le voir mettre ses adversaires à terre lors des entrainements, mais cette victoire là était d'un tout autre niveau et, couplé à l'attente et l'inquiétude des derniers jours, s'en voyait d'autant plus décuplée. « Je connais un coin sympa dans les montagnes, loin des regards et des curieux ... » dit-elle d'un ton joueur tandis que son regard lui assurait que s'il était sage et aussi affamé qu'elle, il se pourrait bien qu'elle ait, elle aussi, besoin d'un bain.

Quelques mois plus tôt, jamais Edvin n'aurait songé revenir dans le camp de son âme-soeur victorieux. Quelques mois plus tôt, il n'aurait pu envisagé une telle réussite, lui qui avait tout perdu, du moins c'était ce qu'il pensait. En réalité, ce qui le liait à Argella l'avait maintenu en vie, l'empêchant de sombrer dans la solitude mortuaire : l'argentée l'avait probablement sauvé d'une longue agonie. Bien évidemment, sa fierté lui interdisait de le dire de vive voix mais le sourire qu'il lui offrit voulait tout dire, étant assez rare pour être remarqué. Dans les moments terribles de son existence, le visage de la jeune femme s'était toujours imposée à lui : indicible manque, elle faisait irrémédiablement battre son coeur si froid. Coeur qu'il pensait hermétique jusqu'à ce qu'elle ne vienne tout chambouler avec ses manières aussi rustres que les siennes. Avec son amabilité habituelle aussi. Qu'elle est belle songea-t-il alors qu'elle s'approchait de sa personne, ses cheveux longs volant au gré du vent, laissant échapper l'odeur de son doux parfum : un mélange d'acide et de douceur. A l'image de ce lien qui existait entre eux et qu'Edvin avait cessé de combattre. Il n'hésitait plus à se laisser happer par les émotions que sa vision déclenchait. Il en avait assez de résister et de se battre, il ne pouvait rien contre les volontés de son coeur.

Son sourire ne le quittait pas, il était heureux d'avoir réussi à tuer celle qui lui faisait de l'ombre, mais surtout de la retrouver après tant de jours d'absence. A ne plus sentir la chaleur de ses étreintes. Cependant, il contenait ses gestes en public, ne souhaitant pas mettre à mal la cheffe qu'elle était. L'ailé se faisait violence. D'un commun accord, ils avaient consenti à laisser la tendresse pour leurs appartements privés. Pourtant, le brun menaçait de craquer en cet instant, réfrénant ses pulsions tant bien que mal. La Storgaard le mettait dans tous ses états, éveillant des bas instincts dont il ne pensait pas être pourvu autre que pour les assassinats. Un besoin insatiable, un désir impulsif et jaloux.

Dès lors qu'ils furent loin des regards curieux, il extériorisa ses émotions, ses lèvres vinrent trouver les siennes tandis qu'il pressait son corps contre le sien, s'imprégnant de sa chaleur qui l'avait tant fantasmé. Les mains serrant la taille gracile de l'illyrienne, un soupir de plaisir, l'homme appréciait cette proximité nouvelle qui lui avait cruellement manqué. Son corps semblait retrouver un tant soit peu de chaleur, de vie. Le sourire de son âme-soeur fit écho au sien tandis qu'il hochait la tête. C'était terminé. Pour cette mission du moins. La fin d'Aveline impliquait des changements, surtout pour lui. L'Oeil prochain aurait une autre saveur, car il ne serait plus à la même place, et ça, Argella s'en doutait certainement. "J'imagine que ça sera le mois prochain." Dit-il pensif, avant de frémir en sentant les mains de son amante parcourir les couches de ses vêtements sales. Entre l'odeur de la transpiration et du sang, il y avait de quoi être écoeuré, mais pas eux, ils étaient des illyriens, des guerriers qui étaient baignés dans cette violence constante. Elle faisait partie de leur ADN.

Inutile de dire que l'ailé se gargarisait de revenir victorieux et savoir qu'elle n'en n'était pas insensible lui extirpa un sourire satisfait. "C'est sûr que ça change de la dernière fois..." Chuchota-t-il à son tour, se remémorant avec amertume son arrivée, dans un état critique. "Tu n'auras pas à me rafistoler cette fois, pas trop déçue ?" Amusé, sa main vint trouver la sienne, leurs doigts se nouant, il observait ces derniers, avant d'ancrer son regard dans le sien. Comment résister à une telle invitation ? "Allons-y, on a du temps à rattraper." Il l'invitait à se tamiser là où ils ne seraient pas dérangés, là où ils pourraient être eux-mêmes.

L'oeil. C'était la réunion des éoles, une rencontre plus secrète que celles des cercles eux mêmes où aucun zéphyr n'était autorisé à se rendre. Oh ils pouvaient accompagner leur leader, mais ils demeuraient toujours loin des échanges, préservant l'identité, et l'anonymat, pour la sécurité de la guilde. Si Oeil il y avait, cela signifiait que Merrill pourrait la faire appeler avant, ou après, la réunion afin de s'entretenir discrètement avec elle et soudain lui vint la prise de conscience. Il ne le confirmerait sans doute jamais, mis en venant à bout d'Aveline, dont Argella avait connaissance du statut d'Eole Ouest, Edvin devenait le favori pour lui succéder à la tête du cercle. Peut être qu'entre ses bras se trouvait le nouveau leader des assassins des Stormvaengir, elle n'en serait jamais totalement sure, mais cela la troubla un instant. Il semblait loin de l'illyrien malmené qu'elle avait ramassé aux portes du camps, un an plus tôt mais s'ils avaient appartenu à la même organisation, au même niveau dans des cercles différents, les choses étaient amené à changer. « J'espère que cela ne complique rien ? » finit-elle par dire en s'écartant légèrement, le regard fixé sur l'une des tâches de sang qui avait atterrie sur son épaule. Elle aurait été honteuse d'avouer craindre que leur liaison ne fut que le résultat d'un ascendant qu'elle avait sur lui, en tant que cheffe de clan : quoi qu'à ses yeux, il était aussi consentant qu'elle, elle redoutait que le changement éventuel de statut d'Edvin au sein de la guilde ne provoque d'autres changements plus personnels. En tant qu'éole, il pourrait prendre d'autre amantes au sein de son cercle, il pourrait quitter Hewn pour une meilleure situation, il pourrait ... Son coeur se serra. Elle ne voulait pas y penser, elle ne voulait pas songer à la faiblesse qu'il avait fait naître : comment d'une simple attirance, elle en arrivait à se questionner sur ce que désirait réellement son âme soeur ? Elle toussota, préférant dissimuler la complexité initiale des sentiments derrière leur loyauté commune envers la guilde. « Je ne compte pas te demander ce qui se trame dans le cercle ouest mais ... J'espère que tu comprends que je ne te dirais rien du nord. » dit-elle avec autant de détachement qu'elle le pouvait, n'envisageant nullement de changer de brise pour rejoindre le cercle de son amant. Elle n'avait pas la mentalité d'un zephyr de l'ouest après tout.

Elle ricana tandis qu'il mentionnait son absence de blessure grave comme s'il s'agissait d'un miracle. « Que de bonnes nouvelles ... » commenta l'illyrienne avec un soupçon de moquerie quoi qu'en son fort intérieur, elle aurait sans douter achever Aveline des Cendres elle même s'il était revenu en morceau. Considérant l'empressement de l'hivernal comme un signe d'assentiment, elle lui adressa un dernier sourire avant que leurs silhouettes ne disparaissent dans un nuage d'ombres étoilées.


Elle avait conscience de l'air frais de la montagne : ils n'étaient pas loin des monts enneigés d'Hewn après tout, l'air était toujours plus frais en altitude mais les membres du camps étaient habitués à cette température moins clémentes. Malgré tout, elle sentait sa peau se couvrir d'une chaire de poule, réaction logique entre la chaleur de la source où elle se voyait partiellement immergée et la fraicheur de l'air ambiant. Argella avait conscience de ses boucles platines encore humides se plaquant contre la peau nue de son dos tandis que, caressant l'une des cicatrices d'Edvin, elle reposait contre son torse. Les tas de vêtements, éparpillés de ça, de là, témoignaient de l'empressement qu'ils avaient eut à célébrer le retour de l'illyrien. Ses ailes frissonnaient encore des caresses de l'hivernal sur la membrane sensible lorsque, à bout de force et trainant dans l'eau, Argella les avait fait disparaitre par praticité, ne laissant que deux marques rougeâtres sur la peau pâle de l'illyrienne. « Par moment j'en viens à espérer que la réalité ne nous rattrape jamais ... » soupira-t-elle contre l'épaule d'Edvin, appréciant le calme de leur refuge presque autant que l'intensité de l'étreinte qui les avait conduit à l'épuisement. A cet instant, il n'y avait plus de responsabilité, plus de devoir, plus d'attente. Il n'y avait qu'eux, loin de tous les petits secrets qu'ils gardaient aux yeux du camps, de leur discrétion forcée, de ce qui les opposaient. Fichu emplumé avait pesté Argella lorsqu'elle avait constaté combien les instants avec lui lui semblaient plus délectables que ceux passés avec les autres hommes qui avaient partagé sa couche. Et plus ils se chamaillaient, plus les réconciliations sur l'oreiller en devenaient délicieuses au point qu'elle en finissait par lui chercher des noises rien que pour le plaisir de les voir finir leurs petites joutes de manière plus satisfaisante. A court d'excuse pour l'ennuyer, il lui avait fallut se rendre à l'évidence : ils gagneraient tous les deux beaucoup de temps et d'énergie à oublier la partie où ils se criaient dessus pour directement passer aux réjouissances. Et des mois plus tard, elle se retrouvait là, contre lui, dans une tendresse qu'elle n'aurait jamais pensé possible entre eux, encore endolorie par la vigueur de l'hivernal et loin d'envisager rentrer au camp. « Etait-ce difficile ? » finit-elle par demander, relevant le visage vers lui pour observer les orbes claires de son âme soeur, tandis que la question qui lui brulait les lèvres lui échappait. Etait-ce difficile de tuer une ancienne amie ? Etait-ce difficile de partir sans être certain de revenir ? Etait-ce difficile d'imaginer un avenir différent de ce qu'il avait réussi à recréer ici ?