Suns veiled in mist (Kora)

La foret était sombre, les branches épaisses des arbres dissimulant les rayons lunaires qui ne transperçaient les nuages de feuillages que par endroit. Un silence relatif y régnait, seulement brisé par le chant des grillons et les courses effrénées des quelques mammifères nocturnes qui sortaient de leurs tanières pour partir en quête de nourriture. Au milieu des troncs couverts de mousse apparut un volute sombre, une ombre plus noire que la nuit s'étendant comme un pigment sur une toile humide, puis le bruit d'une chute résonna lourdement dans le mutisme nocturne.

Argella gémit douloureusement tout en se tournant, s'écartant de la diurne tandis que son épaule la lançait violemment. C'était en chutant de la tour, après que son aile fut transpercée qu'elle s'était maudite de ne pas avoir pensé au tamisage, souvent trop fière pour y avoir recours. Elle avait été stupide et elles avaient failli s'écraser bêtement sur le sol si l'adrénaline et l'instinct de survie de l'avait pas amené à user de sa magie pour s'échapper de Mairil. Elle eut une pensée pour leurs compagnons d'infortune et plus particulièrement pour Sylas dont le dernier regard lui revenait en mémoire. Un signe de tête qui l'incitait à fuir avant qu'il ne court lui même après son acolyte. Elle espérait qu'ils avaient eut plus de chance et qu'ils étaient sains et saufs. Elle tenta de se redresser mais la douleur était forte et, portant les doigts à la plaie qui, traversant de son aile jusqu'à son épaule, n'avait touché d'organe vital, elle sentit la chaleur poisseuse du sang sur ses doigts. Edvin allait la tuer. Irhyna allait tuer également. Et si son amant apprenait pour sa grossesse, il la tuerait une troisième fois pour être bien certain. Elle s'était mis dans de beaux draps, songea-t-elle avant de tourner la tête vers Kora cherchant si dans leur tamisage d'urgence, elle n'avait pas été blessée à son tour. « Hé ... Toujours vivante ? » finit-elle par dire d'une voix plus grave qui trahissait combien elle se contenait pour retenir l'expression de sa douleur.

Ses yeux fixèrent les feuilles au dessus de sa tête, les trop rares étoiles qu'elle pouvait en voir et elle soupira. Elle ne savait pas précisément où elles se trouvaient, mais c'était entre Mairil et Elysium, l'appréciation de la distance laissant à désirer. Il y avait plusieurs raisons qui avait poussé l'illyrienne à apparaitre au milieu de nul part. La première était l'urgence du tamisage qui ne lui avait pas laissé de grande marge de manoeuvre, de plus la blessure soudaine accaparant son attention, ses pensées avaient été trop parasitées pour qu'elle réfléchisse longuement à la situation. La seconde avait surgit au moment où elle avait réfléchit à son lieu d'arrivée : la tour cambriolée, les arrivées à Elysium seraient sans doute surveillées maintenant que l'alerte avait été donnée. Elle préférait nettement la seconde à la première, sa fierté était moins mise à mal. « Je vais avoir besoin d'un coup de main, je crois. » finit-elle par grincer entre ses dents, consciente qu'elle ne pourrait se relever toute seule mais qu'elles devaient déguerpir en vitesse avant que les gardiens de Mairil ne les trouve. Rentrer à Elysium à pied semblait moins risqué qu'en usant du tamisage, prohibé dans la cité, avec son aile blessée elle n'était pas certaine de pouvoir soulever son propre poids alors celui de deux personnes, autant ne pas y penser. Leur seule possibilité était donc de marcher en espérant qu'elle ne les ait pas tamisé trop loin de la ville, ou de trouver l'un des portails qui les y mèneraient. De là, elle se ferait discrète le temps de trouver un moyen de rentrer dans la Nuit. Le départ de la noblesse après le bal des astres était une occasion qu'elle ne pouvait manquer et, par chance, elle connaissait justement un certain baron qui pourrait la cacher dans son entourage. Dodelinant de la tête, Argella songea que le plan était bon. Le plan était le seul qu'elle avait et nécessitait que Kora l'aide à atteindre Elysium, si ce n'est de la cacher le temps qu'elle contacte Merrill.  Après ça, elle aurait tout le temps de faire soigner ses blessures et de préparer ce qu'elle dirait lorsqu'elle rentrerait au camp.

Tout s’est passé extrêmement vite. Argella a attrapé Kora, elles ont décollé du haut de la tour, l’illyrienne a pris de l’altitude avant d’être touchée à l’aile.  La Diurne n’a même pas pu savourer le sentiment de voler que déjà elles entamaient leur chute, s’attachant à sa comparse de toutes ses forces, jusqu’à en blanchir ses jointures. Elle se sentait tomber, s’imaginait déjà s’écraser au sol, priant l’Obscure une ultime fois en espérant périr sur le coup. Il était inenvisageable pour Kora de se faire capturer et enfermée à nouveau. Elle fermait les yeux et faisait déjà le deuil de sa vie, prête à l’abandonner et tous ceux qui l’ont accompagnée, le Soleil, Yseult, Sylas, pour retrouver l’amour de sa vie qui l’attend depuis plusieurs années en Enfer, là où elle le rejoindra bientôt.

Mais tout à coup, le monde se calme.. Elle sent comme un instant de flottement pendant le tamisage, magie qu’elle ne possède pas, et qui les font arriver au-dessus d’une forêt. Pour autant, Argella dégringole dans les arbres et seules les branches des cimes ralentissent leur chute vertigineuse, avant d’atterrir lourdement sur un tapis de mousse.
Kora se détache de la blonde et roule lourdement sur l’herbe en maugréant. Elle se repasse le fil des derniers évènements derrière ses paupières closes; l’instant où elle se pensait sauvée, celui où elle a cru mourir, et puis celui où elle se réveille là, dans une forêt paisible, comme sortie d’un mauvais rêve. Et il y a la blonde qui lui demande si tout va bien. Là, Kora s’emporte. ”Tu comptais attendre quoi pour te tamiser bordel ?! Qu’on te perce les ailes comme une passoire ?!” Pourquoi elle a pas été foutue de les tamiser tout de suite, plutôt que de prendre le risque de s’envoler ?! La cabaretière fulmine. ”Si tu veux savoir à quoi ressemblent des ailes charcuter j’peux t’faire de la très bonne pub.”

C’est en fixant le regard de la Nocturne qu’elle lui balance tout cela, puis ses pupilles dérivent vers la plaie ensanglantée. Elle a l’air suffisamment haute pour n’avoir touché aucun n’organe, mais elle espère pour l’ailée qu’aucun tendon n’aura été touché dans l’incident. La pauvre, c’est qu’elle a l’air d’en baver, en plus.
Kora se lève, ausculte brièvement son corps. Rien de cassé, rien de blessé. Un corps globalement en compote après leur chute, mais elle s’en sortira avec de beaux hématomes. Elle s’approche d’Argella, lui tend la main. ”Allez viens. Au moins on est saines et sauves. J’imagine que j’dois te remercier pour ça.” Elle pousse un long soupire, servant d’appui à la blessée qui se redresse en grimaçant. ”Ils t’ont pas loupée.” La colère est retombée et Kora se fait plus clémente, heureuse d’être en vie, finalement. Désolé Bod, faudra que t’attende encore un peu.
”On est où ? Et tu sais où est-ce qu’on va ?” Parce qu’Argella a sûrement choisi son lieu de tamisage… Elles ne doivent pas être trop loin d’une ville ou d’un portail, non ?

Elle grimaça. La colère de la diurne était compréhensible mais elle était bien trop fatiguée et tendue pour présenter de quelconque excuses : apprendre à tamiser lui aurait également épargné d'être dépendante de quelqu'un d'autre, songea l'illyrienne avec mauvaise humeur. Pour autant, la nocturne n'était pas suicidaire : elle était mal en point et il aurait été mal avisé de se mettre à dos la seule personne qui pouvaient, à des kilomètres à la ronde, lui venir en aide. Aussi la laissa-t-elle s'énerver, évacuant autant la frustration de leur départ raté, que la crainte que leur chute libre de plusieurs mètres qui avait suivie. « Le tamisage n'a jamais vraiment été un réflexe ... » finit-elle par admettre en grimaçant. Pourquoi disparaitre dans un nuage d'étoile et d'ombre lorsque l'on pouvait s'envoler ? Il n'y avait que lorsqu'elle quittait le camp pour Elysium et Elysium pour Skogen qu'elle disparaissait de la sorte, s'épargnant la foule près des portails qui permettait aux nocturnes de se rendre à la Capitale ou les ennuis sur survoler les terres printanières lui causeraient. Pour autant, elle savait que son réflexe n'avait pas été le bon : trop souvent forcée à cacher sa magie dans l'hiver pour ne pas révéler son identité véritable, elle avait réagit sous la pression, ne songeant pas une seule seconde au tamisage tandis qu'elle se jetait par la fenêtre. Pire manière de fuir un lieu de crime, se dit-elle avec cynisme. Si Edvin ne la tuait pas pour s'être bêtement mis en danger, il le ferait pour l'idiotie de ce choix là.

Elle aurait voulu avoir assez de force et d'égo pour refuser la main tendue mais Argella savait qu'elle n'était pas en capacité de lui offrir un regard mauvais et rancunier après les mots durs que l'hybride avait eut pour elle. Elle se contenta donc d'attraper cette main et de se laisser relever, non sans un soufflement de difficulté, retrouvant une certaine fermeté dans ses deux jambes tandis que le regard de sa compagne d'infortune la laissait imaginer les dégâts qu'elle ne pouvait pas voir. « Non, ils visent bien, j'ai l'impression d'avoir été une pintade dans une partie de chasse. J'avais oublié que c'était leur passe-temps. » grogna-t-elle avant de pester sur l'oisiveté des printaniers autant que, plus silencieusement, sur sa propre stupidité. C'est humiliant de s'être fait tiré de la sorte et plus encore par des prêtresses en robe vertes ne s'occupant que d'enfants abandonnés. Ou de garde printanier. Merde, continua-t-elle de se répéter, des printaniers quoi ! Oh oui les roses avaient des épines, mais les bosquets de jolies fleurs ne balançaient pas des projectiles pour toucher les oiseaux ! Elle ruminait encore sa rancoeur quand la question l'amena a pensé à autre chose qu'à la honte dont la diurne avait été témoin. Levant la tête vers le ciel, ou du moins en quête d'un bout de ciel, elle finit par hausser la seule épaule qui ne la faisait pas souffrir tandis qu'il était évident que la végétation était trop dense pour lui permettre d'y voir quoi que ce soit. Tant pis pour la localisation précise, se dit l'illyrienne. « Quelques part entre Mairil et Elysium. Je dirais plus proche d'Elysium que de la Tour mais je me suis dis que si le Palais des Mirages était déjà au courant, des apparitions soudaines et pleine de sang seraient plus que suspectes. » confessa Argella tout en s'interrogeant sur la manière dont elles rentreraient dans la cité. Avec un peu de chance, les gardes seraient trop occupé à célébrer la nouvelle cour régente ... « J'ai pas très envie d'me voir offrir des vacances à la Tour du Pendule. » grimaça-t-elle tandis que le souvenir de ses anciens compagnons de guilde, retenus dans la tour de l'ajah grise, lui provoquait des frissons désagréables. Considérant la position des faisceaux lumineux et, par déduction, celle de la lune, Argella désigna d'un signe de tête la direction à prendre, essayant d'enjamber la végétation luxuriante de la foret sans solliciter son épaule meurtrie. « Tu connais un peu les sécurités à l'entrée d'Elysium ? Si on doit se retamiser quelque part, il va me falloir un peu de temps. » et elle ignorait si sa blessure lui permettrait d'user de nouveau de sa magie. Mieux valait envisager l'option piétonne pour retrouver les portes de la Capitale.

Entre les grognements mécontents, la préoccupation ne manqua pas de la marquer : elles ne se connaissaient pas et pourtant il y avait une forme innée de camaraderie qui découlait de leur situation précaire. Avec une inspiration concentrée, Argella agita son aile gauche, la dépliant puis la repliant comme on secouait un bras engourdi. Le patagium noir se gonfla d'air dans le mouvement avant qu'elle ne la replie de nouveau pour faire subir la même chose à sa jumelle. L'aile droite se déplia, plus lentement, presque timide, arrachant une grimace à l'illyrienne. « Rien a signaler sur la première, mais la seconde ... Il faudrait que je vois ma lieutenant pour arranger ça. » se désola la blonde en songeant qu'Irhyna ne manquerait pas de lui abimer la seconde rien que pour lui faire entendre raison. Soudainement, elle se sentait aussi nue et fragile qu'une fae :on ne volait pas très loin avec une seule aile et il lui faudrait dissimuler l'appendice blessé pour ne pas laisser apparaitre sa faiblesse actuelle. Son père lui avait toujours dit qu'un illyrien sans aile était mort, cela expliquait peut être la désagréable sensation qui s'emparait d'elle. « Finalement, je crois que le tamisage va être plus nécessaire que je ne le pensais quand je l'ai appris. » ajouta Argella avec un sourire crispé. L'instant suivant, les ombres noires qui constituaient son identité disparaissaient, ne laissant de l'échange musclés de la tour, que la tache sombre sur l'épaule de la jeune femme. Elle était sans doute moins honteuse de cacher ses ailes qu'il s'agissait là d'une habitude, lorsqu'elle devait endosser la seconde identité qui lui collait au corps, mais si elle était jusque là parvenue à conserver ces deux vies séparés, elle se voyait assaillie d'une drôle de sensation.

Arrachée à cette brumeuse frontière qui séparait ses deux identités, elle revint dans l'instant présent, consciente que son vertige, loin d'être le ressort psychologique que la disparition de ses ailes aurait pu déclencher, n'était que le contrecoup physique du choc de la blessure. Les délires de la douleur, l'avertissement que son corps lui envoyait. Bientôt, elle verrait des éléphants roses et se découvrirait une passion pour les marguerites, songea l'illyrienne avec raison et cynisme, consciente qu'elles devaient sortir de ce bois rapidement. « Alors mon rôle est terminé, je m'en remets à toi. » confessa Argella. A présent, si elle pouvait se repérer sur une carte, elle demeurait en terres inconnues : peu habituée à Elysium, son savoir se limitait aux quelques rues et établissements qu'elle fréquentait plus par nécessité que par envie. Elle les avait fait fuir la tour, c'était à présent à Kora de les faire entrer dans la cité. « Au besoin ... Je peux nous dissimuler dans les ombres. » se sentit-elle obligée de préciser, comme pour rappeler que même une aile et un bras en moins, elle pouvait toujours être utile. Il était certain que, la lune étant particulièrement brillante ce soir, un nuage d'ombre attirerait l'attention si elles se voyaient forcées de traverser une zone sans arbre ou bâtiments pour créer les formes sombres ténébreuses mais si elles parvenaient à longer un mur, cela serait redoutable pour s'introduire dans la cité discrètement. Encore fallait-il qu'Elysium ne soit pas sans dessus dessous et que les quelques sources d'obscurité offerte ne se voient pas illuminé par des torches. « Un retour de service. » dit-elle après une seconde de réflexion. Elle ignorait tout des gens que Sylas avait convié à cette intrusion dans la Tour de la Coupe et de ce qu'ils savaient d'elle, de lui. Elle craignait de trop en dire mais elle n'était pas en position de se taire pour autant. Si Kora et elle avait un long chemin à faire jusqu'à Elysium, si elles devaient se faire confiance alors le silence ou le mensonge ne mèneraient à rien. Pour autant, elle ne pouvait se permettre de trop en dévoiler, pas tant qu'elle même ne savait pas les raisons qui avait conduit Kora à la Tour. Si elle était une camarade de Sylas ou une invitée extérieure comme elle. Trop en dire sur lui mettrait en lumière sa guilde, trop en dire sur elle la lierait au Stormvaengir, permettant de remonter à Merrill, à Edvin, à Irhyna ... C'était un juste milieu, un apprivoisement mutuel : plus en Kora lui en dirait, plus elle pourrait en dire à son tour. « Nous appartenons à des groupes aux intérêts parfois divergents mais pas incompatibles ... Ils sembleraient que nous sommes tombés d'accord sur le fait que l'entraide était le meilleurs moyens de parvenir à nos fins. Il m'a rendu de grands services alors quand il m'a demandé de venir, je ne pouvais pas refuser. » finit-elle par dire, vérité dans une brume d'approximation qui ne désignait nulle organisation, nul rassemblement. Ils auraient tout aussi bien pu faire parti d'un groupe de lecture ou d'une organisation terroriste. « Et toi ? J'imagine que tes capacités à faire entrer des trucs en douce à Elysium ont pas mal joué dans la balance ? » demanda-t-elle, songeant qu'elle ne savait que peu de chose du plan initial : si Sylas était malin, sans doute n'avait-il confié l'ensemble du plan à tous les participants, limitant la possibilité de trahison et l'intérêt de chacun dans ce qui allait venir. Si Kora était destinée à aider leur fuite, alors peut être était-elle tombée sur la meilleure personne pour s'introduire dans la cité-reine et se faire oublier.