Flesh and Bone (Merrill)

Le temps guérit toutes les blessures paraît-il. Encore une fantasy inventée par les hommes, des créatures fragiles qui vivent peu de temps, qui ne savent ce que représente l’espace d’une vie pour les faes, pour les illyriens. Il semble à Esmeraldian que le concept même d’âmes soeur rend le paramètre incompréhensible pour ces humains et leur théorie caduque.
Ceci à l’esprit, il lui paraît évident que son ami le plus précieux ne saurait s’être remis en quelques mois. Perdre l’être que l’on aime le plus, dans de telles circonstances, Dian ne peut même pas le concevoir. S’est pourtant acharnée à être utile, ce soir-là, à être présente malgré les obstacles. Puis elle s’était retirée pour lui laisser l’espace dont il aurait besoin, n’osant qu’un bref passage à ces funérailles déchirantes. Une ombre derrière l’ailé, discrète et à l’abri des regards des autres invités. Contact pudique pour lui signifier qu’il pourra toujours se reposer sur elle, sans le lui dire par peur de blesser sa fierté, incapable de le formuler de toute manière.

Erreur qu’elle vient réparer ce soir. C’est juste evant de retrouver une amie encore plus ancienne à la capitale, qu’Esmée avait réalisé qu’il était l’heure. Merrill devait avancer, et Esmée serait là pour l’y aider. Puisque les paroles sont importantes, que les actes le sont encore davantage.
La soldate en elle a craint de se montrer invasive, mais la femme maintient aujourd’hui qu’elle n’a fait que ronger son frein en attendant qu’il soit temps. Inquiète, déboussolée, impuissante. Esmeraldian a redouté de constater cet été qui serait le sien : détruit, anéanti, le sourire absent. La vue de ses pleurs durant la Nuit des étoiles, aussi bien que pendant l’enterrement lui avaient été difficilement supportable. Qu’en est-il aujourd’hui ? Elle devait savoir, ne résistera pas plus longtemps sans le revoir. C’est après avoir retrouvé Suni que l’ex-caporale avait emprunté le chemin d’Ondiane, n’y tenant plus.

Tout ceci l’a conduit ici et maintenant. Elle s'était mise à escalader sans trop y penser, n'étant pas censée d'ordinaire se trouver dans ce genre de demeure. Hormis celle de son enfance à Silivren, elle n'avait jamais eu sa place dans pareille richesse autrement que pour les Chevaucheurs. Et c’est effarant à voir, comme cette guilde l'avait conditionné à s'introduire là où on ne l'a pas invité, si la raison de s’y rendre est juste. Ici certaine de la pureté de ses intentions, Esmée n’a pas réfléchit, se trouvant un peu stupide de gravir l’épais mur de pierre de la façace nord. Opération facilitée par ses bras nus, mais compliquée par ce long pantalon pendant sur ses chevilles. Si la fae avait été moitié moins habile, elle serait tombée depuis longtemps, ripant par endroit sur la roche. L’épingle de sa cape finit même par sauter, et, déjà haut sur l’édifice, l’aurorale ne prend pas la peine de la rattraper. Le vêtement s’échoue de toute façon dans les buissons, où personne ne la remarquera. Le jour a commencé à décliner, baignant de sa lumière rose la façade ouest et projetant de longues ombres bleues. Juste assez clair pour y voir nettement, juste assez sombre pour être invisible.

Merrill -du moins elle l’espère- ne lui en voudra pas, n’est d’ailleurs peut-être même pas là. Mais qu’est-ce qui me prend de débarquer comme ça ? s’interroge Esmée tout à coup. Elle aurait pu envoyer un vif argent, elle le sait, mais elle reconnaît sans peine qu’elle est à court  de mots, taiseuse qu’elle est. S’apprête presque à rebrousser chemin une fois face à son reflet dans le verre de la vitre du balcon entrouverte. Mais elle serre les dents : elle sait pertinemment pourquoi elle n’a pas averti Merrill : pour ne pas qu’il fuie. Pour qu’elle puisse le voir.
Esmée est d’ailleurs servie, en apercevant de fait sa silhouette reconnaissable entre toutes, la pâleur de ses ailes traînantes et magnifique. La brune se frictionne les bras avant de lisser machinalement son haut du plat de la main. Il fait assez doux pour découvrir ses bras, mais pas assez pour se passer de cape, s’imagine-t-elle. Noir porté intégralement, le blanc qui orne son haut traditionnel n'est là que pour honorer le deuil de son ami. Pourtant elle regrette ses choix, elle se sent trop mise à nu malgré elle. Preuve en est qu'elle a froid, après avoir transpiré. Mais elle réalise alors qu'il faisait bon à l'extérieur, que c’est la demeure qui est glacée, en réalité. Entre les voilages et les rideaux doucement balancés par le courant d’air, la Vanserra s’avance doucement sans oser pénétrer dans son espace. Deux petits coups portés sur le battant de la fenêtre pour l’avertir de sa présence, ne pas l’effrayer : Pardonnes-moi, sourit-elle doucement, humblement. Je n’étais pas sûre que tu m’ouvrirais. Comme pour se justifier, en rangeant ses mèches folles derrières ses oreilles pointues. Et ces mots paraissent si loins alors, de ce qu’on est censé dire à un endeuillé.

Allons, elle rougit en se détournant, surprise de le trouver prêt à aller se coucher. Elle tombe mal, mais aurait pu plus mal tomber. Pas que ce soit la première fois qu’elle découvre la plastique masculine, celle de Merrill lui est inconnue et c’est mieux comme ça. Toujours aussi mal à l’aise devant la nudité d’autrui, la voilà qui se frotte la nuque, embarrassée qu’elle est. La divergente poursuit tout de même sa phrase, espérant ne rien en montrer : Comme si tu te souciais vraiment des manières, toi ! Avant d’être baron, il est et restera Merrill. Un peu abîmé aujourd’hui, sans doute, mais en substance, il est le même.

Dans le même temps, elle réalise qu’il n’y a personne dans cette grande demeure. Où sont-ils, tous ? Les a-t-il chassés ? Dans ce cas vient-elle troubler sa solitude ? Mais les prochains mots de l’ailé lui prouvent le contraire. La fae relève ses yeux d’ambre vers lui quand il rouvre la bouche, se détend. Il ne lui en veut pas d’avoir débarqué, il est même content qu’elle soit venue. Il y a comme un court moment de flottement où elle l’observe sans trop savoir quoi dire, prise de court malgré elle. Tu as toujours accepté la mienne, même si je ne suis pas le meilleur des compagnons de route. Nouveau sourire pour la Vanserra, qui détaille ce visage pas aperçu depuis des mois. Il ne pleure plus, et même si ses expressions sont entachées par sa peine, même s’il parait un peu éteint, il prend le temps de l’embarrasser comme il en a l’habitude. Un sourire plus sincère se peint sur les lèvres nues de la Chevaucheuse en faisant ce constat, avant de se laisser surprendre par sa question.

Je… Ce n’est pas important. Mon cheval avait besoin de se dépenser. Il n’est rien d’autre qu’elle soit venue retrouver ici, mais qu’il ne compte pas sur elle pour le lui dévoiler explicitement.
C’était pour assister aux funérailles de Myrra qu’elle avait pour la première fois visité Ondiane, et la campagne Nocturne avait encore davantage plut à l’aurorale. Peut-être qu’elle aurait pu finir par y revenir, juste pour la beauté et la quiétude de l’endroit. Esmée observe cette vue alentour, les fenêtres sont transpercées des rayons qui précèdent le crépuscule. La Nuit ne cesse jamais de m’étonner. La plupart du temps cela dit, c’est son ami ici présent qui lui en fait découvrir les plus belles facettes. Consciemment ou non.
Je me suis dit que je viendrais bien y prendre des vacances, ment-elle de moitié. La voilà qui évolue doucement dans la pièce, sans savoir que ces portes fermées cachent l’étendue des dégâts du cœur de l’Odegaard. Son regard se pose sur la décoration minimaliste, indice que cet endroit servait certainement de chambre d’ami auparavant. Ses doigts frôlent un meuble, un rideau, examine sans voir, cet endroit dans lequel il tâche d’évoluer, l’illyrien. Je t’emmènerai à l’Aube un jour, depuis le temps qu’on débat sur qui a les plus beaux levers de soleil, hein ? Conversation remontant à leur périple en plein Hiver, dans cette grotte où Esmée avait failli terminer en glaçon. Elle parle pour masquer toutes ses inquiétudes d’amie préoccupée, pour camoufler cette analyse visuelle qui lui permet d’en apprendre un peu. Qui lui permet d’éviter momentanément son regard, qu’elle redoute un peu d’affronter. Elle s’empresserait de jauger s’il a perdu du poids, s’il dort assez, et risquerait d’y laisser peser un soupçon de pitié, malgré elle. Jamais elle ne lui infligerait ça. Tu allais dormir ? demande-t-elle finalement en désignant le lit du menton.
Au loin, deux tourterelles chantent, brisant ce silence qu’Esmée peine à combler ensuite. Finissant par s’asseoir sur le bras d’un fauteuil, l’aubéenne relève finalement le nez vers le nocturne.

Je ne suis pas venue m’imposer. Chasse-moi dès que tu en auras assez, tu sais que je ne le prendrais pas pour moi. Esmée préfère parler sans détour, avec une franchise qui lui paraît dans l’instant indispensable. Ces vacances qu’il semble offrir la mettent un peu mal à l’aise après qu’elle ait tant prétendue être détachée. Esmée préfère rectifier le tir, de peur de paraître opportuniste. Même si ça le fait sourire, même si elle dit ces mots avec un ton léger en retour.

Haussement d’épaule simple et discret comme toute réponse à cette mise en garde sur l’état général de son foyer. Un foyer qui en a perdu la substance, la chaleur. Mais un décor sur lequel la brune préfère poser les yeux, plutôt que sur cet ami ombragé par la perte de son âme-sœur. Plutôt que sur les changements irréversibles que ce drame a engendré sur son être au complet. Elle ignore sciemment ses traits tirés et ses phalanges abîmées, le laisse être le Merrill d’avant. Pour son bien à lui, et à elle.
L’Aube mentionnée, l’invitation n’est pas refusée au contraire : Alors c’est arrangé, qu’elle sourit doucement. Elle lui fera voir ce petit pays qui a été le sien, tout ce qu’il faudra pour que l’illyrien s’évade de cette drôle de routine dans laquelle il a l’air installé. Qui le pousse à rester trop longtemps les yeux ouverts.

Tu sais le sommeil n’est pas toujours une bonne chose. La voilà qui regarde par la fenêtre encore une fois, comme plongée dans des souvenirs plus lointains. Elle sait qu’une amie devrait lui dire que “ça lui ferait du bien, de dormir”, mais elle n’a jamais été du genre à mentir pour le préserver. Parfois on rêve, ce qui est à double tranchant, pense-t-elle. Bien sûr il y a les cauchemars. Leurs griffes acérées et leurs ombres infinies. Mais il n’y a rien de pire que les rêves. Si paisibles sont les songes, si agréables et plaisants, qu’ils rendent encore plus difficiles les réveils. Ils font miroiter au dormeur tout ce qu’il n’a pas, tout ce qu’il aimerait avoir. Et ouvrir les yeux sans l’autre, réaliser qu’il n’est plus là ou le dur poids de la réalité, pourrait rendre fou n’importe qui.

La fae rêve de la guerre. De ceux qu’elle a perdu, des victimes du Fléau qui la poursuivent. Mais c’est en revoyant Izak lui sourire gauchement qu’elle souffre le plus, une fois debout. Mais rien de comparable avec ce que vit Merrill. Les sentiments de l’aubéenne ont fanés, et le pêcheur est vivant quelque part, contrairement à sa Myrra : qui était l’amour de sa vie. Les mots sont inutiles dans ce genre de cas. Elle préfère esquiver les conversations difficiles avec son ami, comme il a l’air de s’y appliquer en retour :

Volontiers, acquiesce l’archère en le suivant. Juste pour masquer cette envie de rester dans cette chambre qui apportait étrangement, à Esmeraldian. Sans qu’elle sache dire pourquoi. Mais elle sait qu’à sa place, elle se froisserait si on cherchait à investir sa chambre et à rester ainsi dans son intimité. Je sais que ça va paraître bizarre, ajoute-t-elle une fois dans le salon. Mais je prendrais bien un verre. L’aubéenne se doute que l’ailé n’a pas de saké dans ses placards, mais n’importe quoi d’un peu fort fera l’affaire.

Esmée s’acharne à cacher qu’il fait encore plus froid dans la pièce principale, à deux doigts d’aller chercher sa cape dans les buissons. Mais l’alcool la réchauffera. Voir que Merrill va “bien” l’apaise déjà. Malgré le fait qu’il soit en train de feindre de moitié. Malgré le silence pesant de cette bâtisse, sa solitude. Et tout à coup, l’aurorale s’en veut affreusement. Ce vide lui donne le vertige, cette tristesse en sous-texte comme boulet qu'il traîne.

La fae s’installe dans un des fauteuils du séjour, attend qu’il la serve en passant ses paumes sur le tissu de son long pantalon, comme pour se débarrasser de leur moiteur. Esmée se râcle la gorge : En fait je suis venue sur un coup de tête. Révélation qu’il lui semble importante de faire. Sans doute pas au meilleur moment, mais la fae sent qu’elle doit dire quelque chose. Je ne savais pas comment t’écrire ou... Elle soupire :
Pardonnes moi.
L’ambre de ses yeux reste rivé sur le sol. J’ai préféré… attendre. Je pensais qu’il te faudrait de l’espace, du temps. Elle relève les yeux vers la silhouette ailée : Mais je crois que c’était une erreur. Ses iris pétillent d’inquiétude en affrontant finalement la tourmaline illyrienne. Il est si difficile pour la fae de parler de ses sentiments, de livrer ses doutes et d’exprimer ce qu’elle ressent. Cette culpabilité qui monte dans sa gorge lui briserait presque la voix, mais elle s’accroche pour ne pas paraître faible. Pour que Merrill trouve en elle de quoi être fort en retour. Est-ce que je t’en ai trop laissé…?
 

En vérité, il semble à Esmeraldian que les différences entre l’ailé et elle n’ont jamais censé de se démontrer, de chercher à creuser un fossé entre eux. Ce soir-là, lors de cette nuit de célébration des étoiles, elle avait d’ailleurs crû qu’elles avaient réussi. Leurs opppositions créant une distance que la fae avait senti en croissant son regard. Là, en bas dans la foule, Esmée avait levé les yeux vers le baron et n’y avait vu qu’un prestige, et un bonheur qui lui étaient interdits. Et ce geste furtif de la tête qu’il lui avait adressé aurait pu signifier une cassure au sein de leur amitié particulière. Leurs routes auraient pu lentement mais sûrement se séparer.
Mais les évènements, le destin en ont décidé autrement. Un drame survenu, qui a malgré lui altéré le cours des choses. Esmée aurait accepté de se retirer en silence s’il n’avait plus voulu de sa compagnie, mais s’était surprise à bien trop tenir à son amitié. Elle a sû combien leur lien comptait pour elle à la seconde où son hurlement avait déchiré la Nuit, lui pourfendant le cœur, la poussant à s’élancer à sa recherche sans réfléchir. En l’apercevant, mortifié, les yeux gorgés d’eau en tenant le corps de son aimée dans ses bras, la Chevaucheuse a compris qu’elle aurait tout donné pour lui éviter une telle tragédie. Qu’elle pourrait mourir pour le protéger d’un second assaut de l’assassin invisible de Myrra.

C’est une vérité déconcertante, mais qui n’en demeure pas moins toujours d’actualité. Et cette dévotion totalement nouvelle l’a un peu effrayée, Dian. Sans vouloir la renier, pour autant l’aubéenne avait utilisé le temps post funérailles pour le laisser respirer, mais aussi pour lui permettre à elle, de digérer et d’accepter que les choses seraient -d’une certaine façon- bien différentes désormais. Et ce, sans bien savoir comment. Esmée savait qu’elle devait l’assimiler, c’est tout. Puis toutes ses responsabilités avaient accaparées son temps. Ses doutes et ses angoisses quand à sa place près de son ami s’étaient accumulés. La fae avait terriblement tardé, en définitive. Et elle le réalise en s’excusant platement.

Mal à l’aise en cet instant, non à cause de l’endeuillé, mais du fait de ses propres erreurs. Elle a fauté, et en soufre davantage après qu’il lui ait servi à boire, après qu’il ses oit affairé à attiser les flammes dans l’âtre : Merrill s’est toujours soucié d’elle, à sa façon. Comment avait-elle pu le laisser seul ici aussi longtemps ? Entre ces murs glacés, avec ces nuits sans sommeil et ce comptoir d’alcool presque vidé ? Et le couperet tombe à nouveau quand les mots sonnent dans la bouche de l’illyrien :“Oui. Je crois que tu m’as manqué”, répond-t-il à cette absence qu’elle aimposé en s’imaginant que ce serait pour le mieux. L’ambre s’embrume, tâche de ne pas s’écouler quand il lui tend finalement l’odorant hydromel. Il ne la blâme pas, préfère acter qu’être venu à lui aujourd’hui pardonne tout le reste, mais Esmée ne l’entend pas de cette façon.

J’aurais dû savoir comment tu réagirais toi. J’aurais du deviner. Je suis désolée. J’ai admis que tu n’aurais pas besoin de moi. référence à ce passage un peu étrange avant le chaos de Starfall, lui au balcon et elle dans la foule, qu’elle n’osera pas évoquer à voix haute. A son tour, elle lève son verre à sa bouche pour y tremper les lèvres. Le miel est doux, cet alcool lui parait réconfortant, et elle ne toussote pas après l’avoir ingurgité. Les yeux baissés, elle ignore sans le savoir le trouble qui habite l’illyrien perdu dans ses souvenirs à l'Été. La chaleur du feu réchauffe ses épaules et ses bras et Esmée s’empresse de le corriger alors qu’il s’excuse à mi-mot pour l’accueil réservé :
N-... -Non je… C’est ma faute ! Elle gratte sa tempe du bout de son index, gênée. J’ai… fait tomber ma cape dans les buissons en escaladant. C’est si absurde qu’en le regardant elle finit par pouffer. Cette boule nerveuse qui comprimait sa poitrine se délasse pour lui permettre de respirer, l’empêchant de retenir ce gloussement bref. C’est ridicule, je sais. Erreur de débutante. C’est d’elle qu’elle se moque, piètre espionne, piètre mercenaire s’offusque de sa propre bêtise.
Décontractée, désaltérée, réchauffée, elle laisse planer un court silence en souriant doucement à son ami. D’un de ces étirement timide au coin des lèvres qu’elle ne réserve qu’à lui, sans le savoir. Nouvelle gorgée avant d’agiter doucement son verre pour en remuer le liquide. L’ambre observe patiemment la tourmaline : Tu sais, même si t’avais été te terrer dans une caverne au creux de l’Hiver, je serais venue. L’alcool lui délie la langue, donnant raison à Merrill quand à ces éléments qui règlent aisément les problèmes.

Quelque chose a changé. Elle admet sans mal ce qu’elle est prête à faire pour lui, l’amie qu’elle veut être désormais que le nocturne se retrouve largement dépossédé. Des portes condamnées sur lesquelles elle ferme les yeux, aussi bien que sur ces cernes violacées et ces bouteilles vides qu’elle choisit d’ignorer. L’aubéenne préfère se dire qu’elle le débarrassera de chacun de ses démons avec le temps, mal assurée mais volontaire.

Est-ce que tu as réfléchi à ce que tu vas faire maintenant ? En vérité, la question veut tout et ne rien dire. Esmée y ajoute mentalement toutes ses extensions de pensées sans les verbaliser à haute voix. Par peur de le brusquer, ou bien de le presser.“Vas-tu redevenir mercenaire ? Vas-tu rester tout seul dans ce manoir ? Vas-tu rester à la Nuit ?" Elle l’a tant connu en tant que nomade vivant au travers de ses contrats, qu’elle ne s’est pas encore accoutumée à cette vie qu’il menait avant la mort de son épouse. Un baron dans son domaine. Tout cela lui paraît un peu irréel et lointain. Mais les changements prennent du sens dans un couple. Après tout, Esmée a bien vécu des semaines sans vouloir quitter le bateau aménagé de son baleinier. Mais maintenant ? Merrill a certainement perdu le goût de l’aventure, mais demeure-t-il décidé à s’emmurer dans cette vie confortable ?
Son ami -du moins c’est comment elle le voit- a toujours été un homme d’action et d’imprévus. Et s’il reste sans risques, sans dangers, Esmeraldian craint de le voir s’effriter. Elle craint de le perdre complètement.

Déglutition étouffée et surprise, elle bat des cils avec des yeux ronds rien qu’une seconde. Imperceptible instant qui traduit toute sa décontenance, avant de retrouver sa mine plus neutre. Elle rougit, gênée de découvrir sa vision un peu parfaite à son encontre. Se débat d’un haussement d'épaule en prétendant ne pas être affectée par le compliment. Pff…! Je crois plutôt que ça te plaît de me penser inflexible. Aurais-tu oublié que j’ai été obligée de me c-... de compter sur toi dès le second jour, pour ne pas finir en glaçon ? Elle hausse un sourcil, fait preuve d’humilité. Elle est infaillible la plupart du temps : Sauf en sa compagnie chaotique. Et c’est toujours ce qui l’a le plus agacé, et ce qui lui a le plus plu dans leur relation. Mais soit, je veux bien partager ta marche, l’illyrien. Esmée arbore un air faussement prétentieux. Le rire de Merrill est une récompense qui vaut toutes les chutes ridicules de cape au monde. De plus, elle se fiche de perdre un peu de prestige à ses yeux, tant que son estime pour elle reste intacte.


Merci de ta… sollicitude, sourire entendu. La fae retient tout de même qu’il y a des chances pour que son ami décide un jour de s’enfuir quelque part loin du monde. Et en vérité, elle aurait bien du mal à lui en vouloir. C’est aussi ce qu’elle fait quand elle a besoin de réfléchir et de faire le point. La différence ici, c’est que Merrill dit qu’il pensera à elle en le faisant, et ça lui fait réellement plaisir. Le voilà qui se lève, et l’archère suit malgré elle chacun de ses mouvements à la dérobée. La pause qu’il marque en réfléchissant à cette suite sur laquelle elle l’interroge, permet à Esmée de détailler la manière dont le feu souligne ses traits soucieux. La chaleur de l’âtre lui permet de se détendre, et elle se penche en avant, appuyant ses coudes repliés sur ses genoux. Ses doigts se croisent alors que ses mains pendent dans le vide, tenant toujours l’hydromel vidé de moitié. L’ambre ne faiblit pas quand la tourmaline brillante le confronte à nouveau.

Arrêtes. Rien de tout ça n’est ta faute. Son regard est plus dur que son ton tranchant : elle ne lui permet pas de s’en blâmer. Ce drame n’a qu’un seul responsable, et c’est celui qui a porté le coup. Ôter la vie n’a jamais le moindre motif valable. Et c’est une mercenaire qui le dit. L’aurorale suit le mouvement abattu de ses ailes claires, qui trahissent ses émotions. L’atmosphère qui s’était allégée reprend plus de poids. L’air est plus doux cependant alors que la voix d’Esmée s’adoucit à l’unisson, comme pour faire face à cette détresse entre les lignes de l’ailé.

De quoi as-tu envie ? Dans un monde où tu ne te préoccupes pas des autres, mais uniquement de toi : que souhaiterais-tu faire ? Elle l’observe avec patience mais intérêt avant de se lever pour faire le tour de son fauteuil avec lenteur et s’accouder à son dossier, comme en réfléchissant à voix haute. Recommencer à zéro peut paraître terrifiant. Elle parle en connaissance de cause. Que ce soit après avoir eu la mémoire effacée, ou après avoir quitté l’Aube. Toutes ces étapes ont marqué un tournant sans précédent dans son histoire, page complètement blanche dans ces deux cas. Mais… ça peut aussi être exaltant. L’archère croise brièvement le regard de l’ailé avant de détourner les yeux : Elle ne voudrait pas donner la mauvaise impression quand à ce qu’elle souhaite réellement dire. Il est difficile de trouver les mots sans craindre de pouvoir le blesser ou le vexer.

Bien sûr, je n’ai pas eu la chance de connaître un amour si grand. Et encore moins l’infortune de le perdre. Ses cils s'abaissent alors que l’ambre contemple les flammes, pense à celui qu’elle croyait être son âme sœur et qui s’est détourné d’elle pour toujours. Si aucune de ses histoires n’a fonctionné, c’est parce qu’elle les a précipité vers une fin abrupte à chaque fois : puisque ces relations-là sont incompatibles avec son type de vie. Son baleinier n’aura plus affaire à elle, mais au moins il ne sera jamais blessé si elle devait succomber. Être espionne et mercenaire, c’est s’attendre à ne pas rentrer à la maison, et donc vivre une vie solitaire pour n’inquiéter personne. Et ça lui convient comme ça. Esmée a embrassé sa cause et prêté serment avant toute autre chose. Divergente qui ne peut de toute façon ni créer de famille, ni se marier, elle a choisi de laisser sa place à d’autres. L’aurorale est heureuse que son ami ait pu au moins rencontrer sa moitié, malgré le gâchis qui s’en est suivi. Malgré la tristesse et la résignation qui se lit partout dans ses gestes quand il avoue ne pas savoir ce qu’il adviendra de lui.

Merrill Odegaard, il n'y a jamais eu le moindre doute à ce sujet : Tu peux être absolument tout ce que tu veux. Et elle le pense, en reprenant ses pas lents, s’arrêtant finalement à un petit mètre de lui. Ce héros en dérive qu’il croit ne plus incarner, elle le perçoit toujours. Dans la ligne de ses ailes basses et le contour de sa mâchoire trop souvent serrée. Leurs silhouettes découpées par la lumière du feu. Esmée relève le menton, non par fierté mais pour démontrer qu’elle a les épaules pour la promesse qui suivra : Je te soutiendrais. Peu importe tes choix, peu importe tes ambitions. Même s’il m’en coûte, même si tu ne devrais pas, je te soutiendrais, répète la fae le regard rivé au sien. L’ambre chargé de toute la force de sa volonté, la voix claire et articulée.