third eye (eros)

C'est une saison sociale compliquée. A vrai dire, laquelle ne l'est pas ?
Lorsque sa famille était encore unie, lorsqu'elle aimait se pavaner au bras de Cesare en montrant sa ribambelle d'enfants, elle était fière. Elle aimait ces fêtes. Le menton haut, le sourire aux lèvres, elle aimait qu'on la complimente sur sa robe, sur la gentillesse de Luciana, ou la maturité de Juan.
Mais depuis que les Monteserre se sont étiolés, depuis le meurtre camouflé d'Aitor, depuis sa séparation avec Cesare... Rien n'a plus jamais été pareil. Elle a fuit les foules, les rumeurs, les regards insistants. La mère qui a perdu son enfant, la femme qui n'a pas tenu le coup et qui a préféré se séparer de son époux. La mère qui a perdu la tête et qu'on ne voit plus, qui a disparu des radars pendant de longues années.
Si elle a remis les pieds dans les saisons sociales depuis une dizaine d'années à peu près, celle de l'an 837 vu la plus compliquée d'entre toutes, en cause, la réapparition d'Aitor. Ce fils disparu qui n'a fait qu'accuser ses parents, accuser sa mère, qui a toujours tout fait pour le retrouver... Mais ça n'a jamais été assez. Elle n'y était jamais parvenue, jusqu'au jour où elle avait croisé son regard, et perdu le contrôle, il y a de ça quelques semaines.

C'est Salazar qui a su relever sa soeur jumelle en lui délivrant une vérité qu'elle avait toujours occulté jusque là; l'existence d'une religion parallèle, celle d'une autre Mère, pour qui elle joue un rôle capital. Cette nouvelle connaissance s'ouvrant devant elle lui a permis de garder la tête haute, de ne pas couler dans la peine de voir son fils disparaître une seconde fois. Siena a prend peu à peu conscience de son rôle dans la croyance des Premiers Faes, et il s'agit sans aucun doute de ce qui la fait tenir, en dépit du sort qui s'acharne sur son coeur malmené.

En ce soir de fin de saison sociale, Siena arrivait au Bois de l'Eté au bras de son premier fils, Juan. Elle avait tenu à participer à l'un des bals en sa compagnie pour partager des moments précieux avec lui. Leur quotidien à Mercadal ne leur permettant pas de jouir de moments mère-fils, elle l'avait invité à la fête organisée par une famille comtale d'Eär. Le banquet se déroule dans un jardin verdoyant au parfum de mille et une fleurs. Le soleil tout juste tombé, les lucioles se sont levées pour illuminer le bal et offrent au lieu un soupçon de magie chaleureuse.

Siena a quitté le bras de Juan pour le laisser saluer quelques amis. Elle s'approche d'un serveur et attrape une coupe de champagne, s'écartant de la foule pour s'égarer dans les dédales du jardin. Il y a un petit ruisseau où chantent des grenouilles, des buissons fleuris, et la danse inlassable des lucioles virevoltantes. Perdue dans ses pensées, elle se demande en quoi Luz, la Première Fae qu'elle représente, a influencé sa vie jusque là... Si Salazar en est persuadé, Siena est bien plus perplexe. Elle ne s'est jamais sentie transcendée par un courage sans faille ou une puissance indescriptible. Mais son frère est convaincu... Alors c'est qu'elle doit trouver la réponse, au plus profond d'elle-même.

@eros wintell

Il lui avait toujours semblé que quelque chose de magique caressait l’air de la saison social. Un peu comme-ci, tout était sur réel, baigné dans une essence de mythe et de légende. Encore une fois, il devait avouer qu’il n’était pas désappointé du tout par le spectacle qui se jouait sous son regard. Le jour s'était couché sur leur monde, comme un artiste tirant son ultime révérence. et la nuit qui doucement commençait son ascension, apportait avec elle se sentiment de quiétude et de mystère qu’Eros affectionnait tant. Il était presque dans son élément et les ombres qui doucement reprenaient leur place, lui offrait cette sensation de n’être jamais très loin de la maison.

Un sourire tendre, glissait sur ses lèvres alors que l’image de sa mère s’imposait à lui. Il regrettait de ne pas lui avoir proposé de l’accompagner. Les années avaient été difficiles pour eux depuis la mort du paternel et bien qu’ils avaient toujours adoré les soirées en société, rien ne semblait plus pareil sans lui. Comme si le rappel de l’existence de son père était suffisant pour le ramené a la raison, Eros balaya son veston d’une main distraite, attrapant une coupe de sa main gauche avant de se fondre dans la masse. Il maîtrisait l’art des sourires poli, des révérences courtoise, il avait appris à se faufiler discrètement dans la foule de convives, saluant sur son chemin de vague connaissances, et quelques fréquentations régulière de la Foi des premiers. Il s’arrêta un instant, discutant de tout et de rien, détournant un regard un instant… Avant de s’immobiliser net, comme s’il avait oublié même, comment respirer.

Siena. Comme si elle l’avait transcendé, Eros avait perdu sa langue dès le moment où son regard, c’était posé sur elle. Elle était trop loin pour le remarquer, trop perdue dans ses songes pour voir son regard sur elle, Eros se mordilla la lèvre, terminant sa conversation rapidement avant de porter son verre à ses lèvres.  Il y avait peu de mots pour décrire ô combien Siena était somptueuse dans cette robe qui semblait faite que pour elle, mais le Fae devait avouer, qu’il était entièrement subjugué par le magnétisme presque inconscient de la fae. Mais quoi de plus normal, pour la réincarnation de la déesse du courage…

Elle semblait perdue dans sa contemplation quand doucement, il s’approcha d’elle, faisant mine d’observé les alentours, sa coupe toujours bien en mains. Il était dangereux d’aller trop rapidement, mais quelque chose en lui grondait à l’idée de passer encore une fois à côté d’elle sans entendre le son de sa voix. C’était presque viscéral et la dernière fois qu’il avait eu un tel besoin… et bien l’histoire c’était plutôt mal terminé songea-t-il repensant au jeune fae qu’il avait abandonné froidement et qu’il évitait depuis.

- On dirait presque une œuvre d’art non ?» Souffla-t-il d’une voix douce, reportant son regard sur le paysage, se montrant d’une parfaite nonchalance. «Un peu plus et je vous aurais pris pour une étoile tombé du ciel.»

Il aurait voulu lui avouer que pâle était le décor face à sa glorieuse apparence, mais il garda plutôt le silence, se contentant d’une vague comparaison aux étoiles. Quelque chose de doux pour une femme qui visiblement avait vécu une période particulièrement difficile. Dire que Cesare avait laissé sa femme lui glisser entre les doigts. Eros ne comprendrait visiblement jamais ce fae. Il ne l’avait jamais rencontré, vu de loin quelques fois sans plus, mais c’était suffisant pour qu’il soit capable d’affirmé que les deux mâles ne s’aimeraient probablement pas.

L'esprit porté à la rêverie encouragée par le cadre enchanteur, Siena n'entend pas la silhouette s'approcher. Les bras croisés sur sa poitrine, l'une de ses mains garde sa coupe de champagne et son regard divague vers l'étang où virevoltent les lucioles. Les étoiles et la lune se reflètent à la surface de l'eau, un spectacle magique bien plus impressionnant que la fête qui bat son plein dans son dos. Elle entend les voix lointaines, la musique qui s'efface au profit du chant inlassable des grillons... Toutes ces choses immuables de la nature, qui traversent les siècles... Est-ce que Luz a vécu ces moments de doutes elle aussi ? Est-ce qu'en était une Première Fae, elle était forte, puissante, sans jamais faillir ?

La voix dans son dos fait frémir Siena qui se retourne. Elle croise les deux perles de saphir qui s'ancrent dans ses prunelles sombres. C'est un drôle de sentiment qui l'assaille; elle n'a jamais vu ce visage, pourtant elle a le sentiment de l'avoir toujours connu. Bon, ses traits ne lui sont pas totalement étrangers, car elle a sûrement déjà vu ce Fae à bien des soirées mondaines depuis le temps qu'elle les fréquente. Mais jamais elle ne lui avait adressé la parole jusque là. La preuve, la Dame en ignore jusqu'à sa famille. Un détail attire son attention, cette broche décorée d'une toile d'araignée suspendue à une rose. L'emblème de la famille printanière des Wintell. Les joues de Siena s'empourprent au compliment du Fae, et elle remercie la nuit d'être si sombre pour ne pas qu'il le perçoive, du moment où une luciole ne s'approche pas de trop près pour illuminer sa confusion. On lui a fait bien des compliments, mais elle ne sait pas pourquoi, les mots de ce jeune homme la touchent particulièrement. « Oui. C'est apaisant » répond-elle à mi-voix pour ne pas briser la beauté de l'instant, encore à moitié perdue dans ce rêve éveillé. Son regard s'était égaré dans la contemplation tandis que son esprit s'était évadé au loin, mais cette arrivée soudaine a eu de quoi le ramener sur le continent.

Le regard, lui, est encore sur son petit nuage. Alors que ce ne sont  plus les lucioles qu'il observe, mais le Wintell en face d'elle.  « Je ne brille pas autant qu'elles pourtant » concède finalement la Dame, bien consciente de sa lumière qui ne s'est pas encore révélée au monde. Obstruée par ce qu'on a toujours attendu d'elle, une bonne épouse, une bonne mère, une bonne Dame. Empêtrée dans ce quotidien qui semble la ravir autant que la pourrir, elle serait pourtant effrayée de le quitter. C'est tout ce qu'elle a toujours connu, après tout.
L'Automnale s'approche d'un pas. Une légère brise fait virevolter quelques mèches de cheveux. Elle ne parvient pas à détacher son regard du Fae. C'est qu'il a belle allure dans son costume trois pièces aux couleurs de sa famille, et son sourire est remarquable. « Excusez-moi... Est-ce qu'on se connaît ? ... » Les yeux qui deviennent deux fentes un instant, tandis qu'elle fouille sa mémoire. Siena n'est pas de celle qui se présente; après soixante années passées en tant que la femme du Seigneur de Mercadal, puis du Suprême de l'Automne, elle épouse une renommée aussi reconnue que celle de Cesare. Ses prunelles tombent sur la broche un instant puis remontent aux orbes hypnotisantes, signe qu'elle a constaté le détail qui le fait appartenir à une famille à ses yeux. « ... Monsieur Wintell ? » Supposition déposée, ponctuée par une gorgée de champagne pétillant.

@eros wintell

Il y avait quelque chose de si mélodieux et de si doux dans la voix de Siena, qu’Eros lui-même fut légèrement surpris. Elle avait murmuré tout en délicatesse, comme si le son produit par ses propres lèvres, détenait le pouvoir de fracturer la vie qui s’écoulait autour d’eux. Et pourtant, le monde ne vacilla pas, et durant une fraction de seconde, le Fae eu cette drôle d’impressions que le temps, c’était suspendu pour eux.  

Autour d’eux, les lucioles dansèrent encore, vibrant presque dans l’air ambiante, dans une valse d’une beauté presque saisissante. Envouté à demi, Eros inclina légèrement la tête, songeur avant de tourner son regard sur la Fae qui se tenait si près de lui. Les prunelles sombres de Siena s’accrochèrent aux siennes avec une tel facilité, qu’Eros esquissa par réflexe un sourire tendre. Elle ne brillait pas autant qu’elles ? Eros voulut rire, et pourtant ne le fit pas. La comparaison était faible. Dans l’immédiat, Siena semblait être comme une bougie qui brillait durant les nuits sombres de l’hiver, une flamme pure et douce. Un éclat tranquille et docile, qui remplissait une fonction, mais le Fae savait bien. Il suffisait d’une fraction de seconde pour qu’une toute petite flamme se transforme en véritable brasier. Peut-être n’était-elle seulement pas encore prête à embrasser totalement cette facette d’elle? Avec surprise contenue, Eros observa Siena s’avancer d’un pas, soutenant son regard.

« Excusez-moi... Est-ce qu'on se connaît ? ... »

Eros, arqua un sourcil, esquissant un sourire intrigué, une question muette se mourant sur ses lèvres. L’avait-elle déjà remarqué ? La familiarité qui dansait dans sa phrase, le laissait croire qu’elle cherchait peut-être réellement dans ses souvenirs. Et comme si elle l’analysait, il l’observerait glissé son regard jusqu’à la broche, très reconnaissable des Wintell. Une petite partie de lui se demandait ce qu’il serait arrivé, s’il avait caché la broche avant de l’aborder, l’aurait-elle percé à jour ?

« Malheureusement ma dame, je ne crois pas avoir eu la chance d’être proprement introduit » déclara-t-il doucement, sa bouche s’arquant de malice, alors que presque gracieusement, Eros s’inclinait devant elle, glissant sa main libre contre l’emblème familial, reprenant d’une voix toujours aussi douce «Vous avez l’œil. Eros de la famille Wintell»

Baissant les yeux vers sa coupe, il fit tourner distraitement le liquide, songeur, avant de finalement, porter la coupe à ses lèvres. Absorbant une infime quantité de champagne, avant de venir très délicatement, léché le bas de sa lèvre inférieure. Capturant le regard de Siena pour une énième fois, avant d’incliné la tête sur le côté et de chuchoté presque sur le ton de la confidence. «Je ne suis pas de cet avis… Mais peut-être que j’ai trop l’habitude des ombres… » Il fit une pause et caressa la nuit, d’un regard appréciateur avant de doucement reprendre sa phrase. «Que désormais les lumières m’apparaissent évidente.»

Le compliment glissa en douceur dans l’air alors que les lèvres d’Eros formaient une moue songeuse. Balayant son regard sur la noirceur autour d’eux, comme s’il était désireux de percer chacun de ses secrets. Au loin, il pouvait encore voir quelques silhouettes, des gens qui ne pouvaient pas eux les remarquer, une question fleurissais sur ses lèvres alors qu’il relevait son regard vers la Fae de l’automne.

«Vous aviez besoin de tranquillité ?»  puis jetant un nouveau regard vers l’endroit ou se tenait la réception, Eros essuya un léger sourire glissa sa flûte de champagne a ses lèvres « Parfois, j’ai l’impression que tout ça appartient a une autre réalité »

C'est étrange. Siena est comme sur un petit nuage. Une sensation qu'elle ne s'attendait pas à éprouver après les récents évènements. A vrai dire, elle ne comprend pas comment cela est possible. Elle était encore anxieuse à l'idée de se rendre à cette soirée, mais en arrivant au bras de son fils aîné, elle s'était sentie en sécurité. Elle avait salué quelques invités et s'était sentie en terrain connu et sûr. Ca ne l'avait pas empêché pour autant de s'éclipser, afin de profiter de la beauté des lieux. Depuis qu'elle a foulé les jardins de ses pas, elle sent comme une puissance divine veiller sur elle. Un sentiment comparable à la plénitude qu'elle éprouve lorsqu'elle se trouve aux côtés de Salazar, son frère jumeau. Pourtant, son reflet n'est pas présent ce soir. Mais alors d'où vient cette émotion, cette confiance, cette douceur qui flotte dans l'air ? Elle ne trouvera pas la réponse dans la soirée, mais ces questionnements la tourmenteront longuement. Car aussitôt le jardin quitté, elle retrouvera son fardeau.

« Ravie de vous rencontrer, Eros. Il fait bon mettre des prénoms aux visages que l'on croise. » Car ils sont nombreux, les inconnus, durant ces soirées de la saison sociale. Si Siena est souvent connue de tous, ce n'est pas le cas inversement. Siena est cordiale, amusée par le tempérament du Printanier expressif et qui sait comment user des beaux mots. Elle ne porte aucun jugement sur le Wintell, malgré la réputation qui précède sa famille. Elle veut croire que tout n'est pas écrit dans le marbre, et que le destin est propre à chacun. Peu importe ce qu'on dit de soit dans son dos.
Sous la main d'Eros, les ombres paraissent danser. Les lucioles s'agitent, portées par ces courants inopportuns, avant de retrouver leur valse lente et enchanteresse. Siena est intriguée par ce Printanier qui a hérité de la magie nocturne. Malgré leur échange, Eros se fait plus mystérieux après chaque parole échangée. Ses mots pourtant font sourire Siena, qui se laisse complimenter allègrement. « Les flammes sont souvent révélatrices parmi les ombres. » Manière de dire qu'elle est heureuse si elle a pu sortir Eros de ses ténèbres de par sa présence seule. De bien grands espoirs misés en cette personne que le Wintell connaît si peu... Mais un sentiment étrange habite la Dame. Pourquoi se sent-elle étrangement familière à ses côtés ?

« Je suis venue accompagnée de mon fils. Mais il a retrouvé des amis. Quant à moi, j'ai été happée par la beauté des lieux. » Elle jette un regard vers la réception, à quelques pas de là. « Nous en sommes si proches et pourtant, un monde nous sépare. » Loin de la musique, des festivités, des bavardages. Eros et Siena viennent de créer une petite bulle paisible. Douce. Elle s'y sent bien, en compagnie de cet homme dont elle ne connaît rien. Mais Siena pense que ce sentiment est issu de l'ambiance magique des lieux, et non pas de la présence réconfortante d'Eros... « N'avez-vous pas le sentiment que les réalités sont infinies ? Qu'il en existe autant qu'il y existe d'individus ? J'ai souvent l'impression que nous vivons égoïstement dans notre propre monde, et qu'il est rare de trouver des paires suffisamment similaires pour s'accorder. » Sa réalité était à l'opposé de Cesare. Elles ont fini par s'ouvrir, s'apprécier, s'assembler, avant de se dissocier à nouveau. Qu'il est difficile de comprendre les univers de chacun... Certains sont si lointains et incompréhensibles qu'ils en deviennent inatteignables.
Mais c'est après une nouvelle gorgée de champagne que Siena secoue la tête. « Excusez-moi Eros. Je crois que l'alcool me fait dire n'importe quoi. » Bon sang, pourquoi évoque-t-elle ce genre de sujet avec ce Fae dont elle ne connaît rien, alors qu'elle est d'habitude si méfiante ?


@eros wintell