Nothing else matters | Assya

Nothing else matters

Il a longuement hésité. A contemplé, encore et encore, le vulgaire petit carton d’invitation. Comme s’il était piégé. Empoisonné. À double-tranchant. Il l’a soupesé à de nombreuses reprises, lisant son maigre contenu jusqu’à, au final, le connaitre par cœur. Un orchestre symphonique. Organisé par la Suprême de l’Été, au sein du Palais des Mirages. Où toute la noblesse est conviée. Toute. Jamais Hase ne s’est formalisé de ces petits cartons. Il les recevait, par paquets des fois –surtout au moment des Saisons Sociales– et machinalement, il les balançait au feu. Sans même les lire. Parce que ça ne l’intéressait pas. Parce que ce n’était pas important. Qu’un ramassis de futilités. De fioritures. De politique cachée sous une couche de faux-semblants. Hase abhorre tout ce qui touche à la politique. N’en a jamais eu cure. Il a toujours laissé ça aux grands soins de sa sœur ainée et héritière du titre. Grand bien lui fasse. Car lui n’a jamais eu d’autres attraits que la science, et plus particulièrement la médecine.

Un soupir qui s’échappe d’entre ses lippes. Qu’est-ce qu’il aimerait revenir en arrière. Dans ces années où il n’y avait que la médecine qui comptait. Où il était libre de faire ce qu’il voulait. D’aller où bon lui semblait. D’agir sans avoir à toujours réfléchir. Car à présent, les choses ont changé. D’une manière aussi drastique que radicale. Ayako est morte. Et le titre, contre toute attente, lui est finalement retombé sur les épaules. Ayako n’était pas prête pour être Dame –et encore moins Suprême– ; mais lui l’était encore moins. Alors durant ces deux dernières années, il s’est focalisé sur les responsabilités qui lui incombaient. Il a croulé sous l’apprentissage de la politique. De la stratégie. De la gestion du Quartier Médical. De tout ce qu’on lui avait toujours épargné de s’occuper. Longtemps, il a eu la tête sous l’eau. Ne quittant ses livres de comptes et autres problèmes que pour s’échapper, l’espace de quelques heures, à Elysium. Le temps de redevenir un médecin. Le temps d’un battement de cils avant que finalement ses responsabilités ne le rattrapent et qu’il doive revêtir à nouveau la cape de plomb de Seigneur. Et par la Mère, qu’est-ce qu’il déteste ça…

Mais il faut qu’il fasse avec. Qu’il assume. À la place de son père. À la place d’Ayako. Parce qu’il n’y a plus que lui. Et que si lui aussi, il se défile, alors qu’adviendra-t-il du titre de Seigneur du Quartier Médical ? Il ne sera pas perdu, bien évidemment, et malgré le fait qu’il respecte beaucoup ses cousins, Hase ne se voit clairement pas le leur céder. Ou pas de son plein gré, en tout cas. Pas sans lutter et tout faire pour le préserver. Parce que son père ne l’aurait jamais permis. Et sa sœur non plus. Il faut qu’Hase tienne le cap. Coûte que coûte. Il n’a pas le choix. Une question d’orgueil mal placé. De fierté et d’estime de soi. Il veut que ses ancêtres soient fiers de lui ; c’est aussi simple que ça.

Alors il soupèse une nouvelle fois le carton d’invitation. Il n’y serait jamais allé, avant. Mais à présent, il pressent qu’il n’a pas vraiment le choix. Il a encore trop de choses à prouver. Trop d’éléments à faire changer, pour pouvoir refuser sans avoir à en assumer les conséquences de leur Grande Suprême. Il faut qu’il y aille. Alors il réajuste le foulard qui cache son cou avec élégance et finit de boutonner sa chemise. Le veston qu’il enfile ensuite est épousseté. Dénué de plis et d’imperfections. Il est prêt.

Il pénètre une heure plus tard dans les Jardins du Palais des Mirages, perdant plusieurs minutes dans ses contemplations. Le Dôme de Verre n’est qu’à quelques mètres, et on peut déjà entendre une douce mélopée qui s’en dégage. Le ciel est clair. Le temps clément. C’est une belle journée pour que la noblesse se réunisse. La sécurité a été renforcée depuis le tragique événement de Starfall, la Suprême Ethelil n’ayant pas lésiné pour asseoir un climat de confiance et de décontraction. Au détour de sa contemplation d’un massif fleuri dont il peine à retrouver le nom, il tombe nez à nez avec Assya Ozerov. Son cœur manque un battement, comme à chaque fois qu’il croise son regard. Il ne s’attendait pas à la voir en ces lieux. Pas depuis Starfall. Il a cru comprendre qu’elle avait de nombreuses préoccupations et qu’elle ne quittait que trop rarement Velaris et sa Maison du Vent. Mais visiblement, soit il s'était trompé, soit elle avait finalement réussi à se dégager un peu de temps. « Votre Suprématie, qu’il finit par bredouiller, le rouge irradiant ses joues. Il a toujours été d’une maladresse légendaire avec elle, passant probablement pour soit un nigaud, soit un grand timide. Mais il valait mieux que ça soit ça, plutôt que la vérité. Je– Les mots deviennent fuyants, sa bouche pâteuse. Il s’emmêle les pinceaux, ouvre la bouche pour, finalement, la refermer. Vous êtes resplendissante. » C’est tout ce qu’il a trouvé à dire. Et c’est ridiculement niaiseux. À la seconde même où les mots finissent par passer la barrière de ses lèvres, il le regrette. Mais c’est trop tard, alors… Il s’incline respectueusement, reculant de deux pas pour lui dégager le passage. Au cas où elle préfère s’éclipser et pénétrer dans le Dôme de Verre. Pourvu qu’elle le fasse.

Nothing else matters

tw: Ø | @Liao Hase | mai 838 outfit

Dire qu’à une époque, elle adorait les mondanités. Ces derniers temps, elle n’y voit que des cendres. Des obligations, c’est tout ce que cela représente à ses yeux désormais. Faire des courbettes, prétendre que tout va bien, qu’elle gère parfaitement la situation. Quand il n’en est rien. Sinon, l’une des siennes, Myrra n’aurait jamais été assassinée, sous ses yeux qui plus est, au cours d’un événement qu’elle a organisé. A sa mémoire, pour l’occasion, Assya porte une robe aux couleurs ténébreuses du deuil. Un rappel que malgré les mois écoulés elle n’en oublie pas les drames qui touchent sa cour.

Elle arpente le Palais des Mirages, avec sa nonchalance habituelle, telle la Suprême sûre d’elle qu’elle doit représenter aux yeux de tous. Elle connaît bien les lieux, forcée d’y vivre une année au cours de son mandat et c’est un grand soulagement à ses yeux de voir les couleurs de l’été en remplacement de la Nuit. Cet endroit éveille des souvenirs qu’elle pensait enfouie, dont elle a sous-estimé la portée de ses sentiments pour un hybride, elle essaie tant bien que mal d’y faire abstraction, mais ses souvenirs l’obsèdent.

Devant les portes de la salle de réception, Assya se pare de tout son courage pour affronter tout le gratin d’Evanor. D’ici quelques heures elle pourra retourner dans ses quartiers et maudir tout ce beau monde des nombreuses insultes formulées sous couvert de mots savamment choisis pour paraître compatissants. C’est tout un art, dans lequel elle excelle tout autant qu’eux, toutefois, elle n’a plus tellement la patience d’y jouer.

Les choses se passent tel qu’elle l’avait imaginé. Une fois qu’elle eut présenté ses respects à Niniel, Assya se mélange au gratin et se lance dans des conversations d’une banalité affligeante et s’ennuie ferme. Jusqu’à ce qu’un beau Fae se présente à elle avec deux coupes remplies de vins et l’invite à aller se distraire à l’extérieur, l’occasion est belle de s’éclipser un peu de cette soirée alors elle accepte.

Elle n’avait pas prévu qu’il finirait par partir dans un monologue, ou plutôt un plaidoyer, sur toutes les bonnes raisons d’un mariage entre eux. Depuis quand dure cette mascarade ? A ce moment-là, elle prie pour que quelqu’un vienne la tirer de ce guêpier, ou même qu’une bête sauvage sortie de nulle part emporte l’inopportun dans son estomac. Ainsi elle n’aura même pas besoin d’éconduire le noble qui ne s’intéresse qu’au pouvoir qu’elle représente. Comme eux tous, ils sont légion à croire qu’elle recherche à se marier et à tenter des négociations, qu’elle repousse.

D’un heureux hasard, un homme surgit de nulle part et, selon toute vraisemblance, semble bien surpris de la croiser. Tandis qu’il bafouille, Assya ne pipe mot, saisie d’un soudain tournis, elle observe l’invité surprise, avec cette impression étrange de le connaître déjà. Quasi certaine de l’avoir déjà aperçu, sans doute à l’aube étant donné ses traits, la tête penchée sur le côté, elle fouille dans sa mémoire pour retrouver l’origine de cette sensation.

“Messire…” Son regard tombe enfin sur ce qu’elle cherche, un emblème, logé à son annulaire, qu’elle aperçoit lorsqu’il s’incline, la main sur le cœur et s’écarte de leur chemin. “...Liao.” Elle ne s’attendait pas à ce que le ton de sa voix soit si sec, ou exprime tant son dégoût. L’homme doit être nul autre que le frère de la Suprême assassinée, Seigneur d’une cour qu’elle exècre, qu’elle tient responsable de beaucoup de malheurs et responsable d’une maladie dévastatrice. Mais elle possède si peu de preuves…

A cet instant, elle se trouve face à un choix cornélien, choisir entre la peste ou le choléra c’est tout comme. “Messire Liao, vous tombez bien, je dois m’entretenir avec vous…” Fait-elle avec un empressement non feint, déjà elle s’éloigne du Grand Fae qui l’accompagnait et le congédie prestement en lui promettant de répondre rapidement à sa demande. Une réponse qui sera négative bien évidemment, elle n’a jamais envisagé un mariage avec une cour étrangère à la sienne. Soulagée, elle observe le seigneur s’éloigner avec regrets, avant de se retourner vers l’Aubéen pour l’observer de la tête au pied. “Vous ne pouviez pas mieux tomber, vous me délivrez d’un sacré specimen.” Soupire-t-elle.

“Vous sortez donc enfin de l’ombre de votre demeure ?” Assya n’est pas sans connaître chaque détail des arbres généalogique des cours d’Evanor, son père a tenu qu’elle apprenne tout ce qu’il y a à savoir sur la noblesse. Lorsque Ayako a été retrouvée assassinée, comme tout noble elle a adressé ses condoléances à celui qui lui a survécu et remplacé, son frère. Dont elle n’a pas aperçu le minoi lorsqu’elle s’est présentée à la cour de l’Aube l’année passée, ni même lors des bals qui clôturaient les saisons sociales. Il a l’air si mal à l’aise qu’elle ne peut s’empêcher de l’observer dans le moindre détail.

“Vous êtes aussi à l’aise qu’un poisson hors de l’eau. Détendez-vous, ces vautours remarquent tout. S’ils vous classent dans la catégorie des incompétentes vous n’obtiendrez rien d’eux.” Elle se veut plus amicale, le ton presque complice. Comme tous seigneurs qui se respectent, ils veulent tous obtenir quelque chose des autres.

Nothing else matters

tw: Ø | @Assya Ozerov | mai 838

Elle l’observe. Le dévisage. Silencieuse. Hésitante. Elle est accompagnée. D’un Fae qu’il ne reconnait pas. En soit, rien d’étonnant, étant donné son arrivée tardive sur le marché de la noblesse. Hase s’est concentré, ces deux dernières années, à comprendre l’Aube. Pour mieux la gérer. L’améliorer. Il n’a pas eu le temps de se formaliser quant à la composition des autres Cours. Chaque chose en son temps, et une chose à la fois. Il passe son regard du Fae à Assya quand cette dernière, après un silence, finit par le saluer. Liao. L’identité qu’elle crache, sur un ton qui le fait frissonner. Il sent son cœur qui se serre dans sa poitrine. Sa fierté qui en prend un coup. Ce dégout qui perce dans sa voix le touche bien plus qu’il ne l’aurait pensé. Hase est habitué à ce genre d’attitudes. À cette froideur en provenance de la noblesse des autres Cours. Le Fléau a causé des dégâts irréparables et décimé une majeure partie de la population. La noblesse, bien évidemment, n’a pas été épargnée. Et forcément, après la tristesse et le deuil, c’est la colère qui est apparue. Il fallait un coupable. Et l’Aube paraissait parfaite pour ce rôle. N’étaient-ils pas les meilleurs scientifiques, chercheurs et soigneurs de tout Evanor ? Hase, comme à l’accoutumée, accuse donc le coup. Il est habitué. Mais de l’entendre de la bouche d’Assya… Disons que ça résonne plus fort. Plus durement. Et ça brise quelque chose en lui. Il n’en laisse néanmoins rien paraitre, sa fierté lui interdisant de laisser transparaitre un quelconque signe de faiblesse. Qu’ils pensent l’Aube responsable si ça leur chante, ils n’ont aucune preuve. Un vacillement, un tremblement, et ça pourrait leur mettre la puce à l’oreille, et mettre plus d’eau dans leur moulin qu’ils n’en ont déjà.

Après un tel accueil, Hase s’attend à être congédié. Il dégage d’ailleurs la voie, préférant cette alternative à l’autre. Néanmoins, le comportement d’Assya change. S’adaptant. Elle doit s’entretenir avec lui. Et cette perspective le glace. Déjà parce qu’il va se retrouver seul à seul avec elle plus que nécessaire alors qu’il s’est justement évertué à éviter tout contact avec elle depuis toujours ; et aussi parce qu’après ses présentations des plus déplaisantes, il n’a tout simplement pas spécialement envie de la côtoyer. Pour une première impression, disons qu’elle repassera. Mais soit. Ce n’est pas comme si, de toute façon, elle lui laissait le choix. Alors Hase s’incline une nouvelle fois, un sourire factice sur les lèvres. « Je vous suis. » Elle ouvre la marche, et passe à ses côtés. Hase pivote juste après elle, la suivant où bon lui semble. Il est mal à l’aise, forcément, mais il accuse le coup et fait de son mieux pour garder la tête haute et l’esprit clair. Il ne doit pas commettre de maladresses. Encore moins d’impairs. Au-delà de se tenir en face de son âme-sœur, il est aussi et surtout en face de la Suprême de la Nuit. Une Cour qui se veut dans une parfaite opposition à la sienne, et avec qui il doit donc marcher sur des œufs.

Une fois à l’écart, elle parait plus sereine. Décontractée. Elle se permet un aveu en lui confessant la réelle nature de cette entrevue. Le sourire d’Hase s’élargit, sans qu’aucun mot, cependant ne s’échappe d’entre ses lèvres. Ainsi donc, il n’était qu’une vulgaire diversion pour s’extraire d’une conversation déplaisante avec le fameux Fae de tout à l’heure. Fort bien. Il s’apprête à en profiter pour prendre une nouvelle fois congé quand, finalement, Assya reprend la parole. Son discours est déstabilisant. Potentiellement à double-tranchant. Hase ne sait pas comment prendre la remarque. S’il doit en déduire que c’est une bonne chose, ou si, au contraire, c’est plutôt une critique. Qu’il serait bien mieux dans sa demeure, loin d’eux. Loin d’elle. Elle se permet, la minute d’après, de lui donner un conseil. Qu’il se détente. Il se retient de rire jaune. Comme si, en sa présence, c’était possible. Hase fait de son mieux pour paraitre à l’aise, mais il faut croire qu’il échoue lamentablement. « Vous avez raison, qu’il lui concède, n'ajoutant rien de plus. » Il aimerait se justifier en lui avouant qu’il n’y a qu’avec elle qu’il est aussi maladroit et que d’ordinaire il laisse une meilleure impression. Mais ce serait lui mettre la puce à l’oreille et la lancer sur une voie qu’il se refuse à aborder. « Ces deux dernières années ont été particulièrement compliquées, qu’il souffle d’une voix neutre. Il évoque un simple constat, ne cherchant pas à ce qu’on s’apitoie sur son sort. Mais pour vous aussi, il me semble. » Entre la rupture de ses fiançailles qui ont fait grand bruit –réussissant même à arriver jusqu’à ses oreilles, pour dire–, son mandat l’année dernière en tant que Cour régente, ou encore la tragédie du début de l’année… L’Ozerov n’a pas été non plus des plus présentes ces derniers temps. Il se décide, néanmoins, à rentrer dans son jeu, prenant ce même ton de confidences. « Que voulait le sacré spécimen ? Que je ne commette pas le même impair que mon prédécesseur… » Quand bien même les présentations ont été désastreuses, il aimerait bien, si c’est encore possible, lui laisser une meilleure impression.