(Argella) Smoke and mirrors

Argella avait caché sa chevelure d’argent sous une capuche sombre. Elle aurait pu demander à Irhyna d’en changer la couleur, de lui offrir des mèches sombres qui l’aurait définitivement rendu anonyme dans la foule des personnes arpentant les rues. Mais Argella était fière. Sans doute trop pour son propre bien. C’était cette fierté qui l’avait poussé à boire à la Fontaine malgré les réticences que son peuple avait envers les artefacts fae. C’était cette fierté qui l’a poussait à jouer éternellement avec le feu que ce soit avec Edvin ou avec les Nygard. Avançant dans les rues de la cité des étoiles, Argella se surprit à penser qu’il s’agissait sans doute du quartier d’Elysium dans lequel elle se sentait le plus à l’aise : à l’image de la Cour dont elle était originaire, c’était un quartier vivant, porté sur les festivités naissant au coucher du soleil et se poursuivant jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Cela faisait bien longtemps qu’Argella ne se mêlait plus aux faes nocturnes : dans sa jeunesse, et dans l’espoir d’embêter son père, elle avait eut cette facilité à descendre vers Hewn ou à voler vers Velaris pour partager un verre, une danse et plus si affinité avec quelques personnes qu’elle avait bien pu rencontrer et qu’elle était certaine de ne plus jamais revoir. Après le décès de son père, elle s’était concentré sur le clan, sur les responsabilités qu’elle avait arraché à la sueur de son front et dont seules les apparitions de Stiorra venait perturbé la rigueur quotidienne. Stiorra … Si elle avait cru que ce serait facile, elle s’était bien trompée. La vie d’une fae hivernale n’avait rien d’aussi oisif qu’elle l’aurait pensé et entre les réactions naturelles de son corps face au froid et à l’envie parfois soudaine de remettre l’un de ces vieux noble à sa place, elle se sentait vidée de son énergie dès qu’elle retrouvait la normalité de son quotidien. Parfois, elle se demandait comment les choses pouvaient continuer ainsi à la Cour de l’Hiver, comment les femmes pouvaient-elles accepter d’être ainsi traitée sans oser montrer à cette noblesse vieillissante que leur temps, et leur mode de pensée, étaient révolus.

C’était à cause de Stiorra qu’elle avait quitté Hewn, cheminant entre les bâtisses du quartier nocturne de la capitale afin d’y retrouver son rendez-vous. Car on avait rien sans rien en ce bas monde et ses visites à Elysium savaient le lui rappeler. Elle considéra l’entrée du bar avec un air septique : elle avait peut être donné le rendez-vous mais c’était lui qui avait choisit le lieu, comme toujours.

Bien qu’elle comprenait que c’était au milieu de la foret que la feuille se cachait le mieux, Argella se demandait souvent si les lieux de rendez-vous que le jeune marchand de sable lui donnait n’avait pas pour but premier de l’exaspérer. Elle s’étonnait souvent d’ailleurs qu’il ne lui donne pas l’adresse d’un bordel ou autre hôtel de passe dans le simple but de lui rappeler qu’en ces rues, il avait l’avantage. Loin de ses montagnes, et en sa qualité de débiteuse, Argella n’avait d’autre choix que d’entrer, un soupire pendu aux lèvres, imaginant le jour où elle lui ferait grimper sa montagne pour lui demander un service. Jour qui n’était pas prêt d’arriver si elle continuait d’avoir besoin du soutient de l’organisation comme c’était le cas depuis qu’il lui avait fourni de quoi se faire passer pour Stiorra. Elle passa les rideaux, se débarrassant de sa cape avec une fluidité déconcertante qui lui donnait l’impression d’être une habituée. L’homme de main était là, comme toujours depuis qu’il avait commencé à se joindre aux rendez-vous et tandis qu’elle laissait sa cape aux mains d’une hôtesse, elle lui adressa un signe de tête avant de se laisser guider vers le salon où elle était attendu. «J’en viendrais presque à croire qu’il s’agit d’une invitation à s’amuser. » fit remarquer Argella avec un demi-sourire. Malgré leur petit jeu de pouvoir, elle était contente de le voir. Rares étaient ceux qui connaissaient son secret et plus rares encore étaient ceux avec qui elle acceptait d’en parler. Irhyna, Merrill, Edvin et bien sur Sylas faisaient parti de ce cercle très restreint de personne. « Cela faisait longtemps … » fit-elle remarquer. Ils n’avaient de raison de se voir en dehors des affaires qu’ils avaient en commun : cela aurait bien trop attiré l’attention et c’était une chose dont ni les Sandmen, ni les Stormvaengir n’avaient besoin en ce moment.

Elle ne savait pas s'il l'agaçait ou s'il l'amusait mais qu'importe cela n'avait d'importance : dans ce monde, ils étaient les points de contact de deux organisations de l'ombre, deux guildes désireuses de bouleverser l'ordre établi. Pour Argella, c'était la place des ailés, trop souvent relégués aux basses besognes, à peine considérés par certains, pour Sylas et bien ... Elle ne savait pas réellement mais elle imaginait quelque chose de semblable à son niveau. Un autre type de combat contre un autre type d'injustice. C'était aussi ce qu'elle appréciait dans leurs échanges : ils ne se mêlaient pas des affaires de l'autre : nulle justification à apporter, nulle explication à donner, c'était un échange de service et de faveur, une relation où ils prenaient des risques, une relation dont l'équilibre était fragile, mais une relation nécéssaire. Sans les Marchands de Sable, sa vie en tant que Stiorra serait infiniment plus compliquée, cela valait bien le risque, considérait-elle. « C'est vrai ... Ne nous rencontrons pas dans une bibliothèque, on risquerait de nous prendre pour des gens intelligents. » grommela l'illyrienne à demi-amusée malgré son apparente mauvaise humeur. Voir Sylas c'était aussi sortir de ses rencontres habituelles : elle ne supportait plus les hivernaux, quand aux ailés de son camp, elle imposait bien trop d'autorité de part son statut pour qu'ils se permettent de jouer ainsi avec elle. Il y avait bien Irhyna ... Mais leur camaraderie était une variable qui n'existait pas entre elle et le printanier. En dehors de ces rendez-vous, ils n'étaient personnes et c'était tout ce qui lui importait.

Un gloussement s'échappa au nom de son alter. Stiorra était bien loin de sa vraie personnalité, une douce et docile petite fae qui n'attendait que les ordres de son père. Une fragile petite chose qui était courtisé par la dernière personne qu'Argella aurait pensé voir à ses pieds, trimballé de fête en fête comme un joyaux que l'on voulait montrer au plus grand nombre. C'était avilissant, c'était épuisant et cela lui donnait des envies de meurtre. Stiorra était une fae a peine sortie de l'enfance quand Argella était déjà une illyrienne d'un certain âge : leurs différences étaient parfois compliqué à gérer mais cela le serait plus si elle n'avait pas obtenu un petit coup de pouce pour se plonger dans son rôle. « Fort bien. Grâce à vos services, je dois l'avouer. Sans les renseignements que vous m'avez fournis, je crois que je me serai faite avoir par les cousins de cette pauvre fille. » dit-elle avec une lassitude qui la terrifiait par moment. L'hivernale aurait sans doute était mal à l'aise, peut être même blessée de ce que sa famille lui faisait subir. La nocturne, elle, les trouvait bien trop crédule ou ridicule dans leurs arguments braquant un souvenir d'enfance qui lui avait échappé ou un gout différent de celle qui avait vraiment été. Comme si une jeune fille ne pouvait pas changer de préférence, ou oublier certaines choses. Tout était bon pour remettre en question sa présence car ce n'était pas l'hypothèse qu'elle ne soit pas Stiorra qui les dérangeaient ... C'était l'idée que, comme chez les Asgeir, la succession passe par cette jeune fille qu'ils avaient tous sous-estimé, que l'affection du vieux baron pour sa fille perdue et retrouvée ne devance les prétentions de son plus jeune fils ou de son neveu au titre de baron. Ce titre, Argella s'en moquait bien et le leur laissait volontiers. Merrill n'aurait sans doute pas été d'accord mais l'illyrienne doutait que la baronnie de Stiorra change quoi que ce soit aux plans qu'ils avaient. Cela dit, cela changerait indubitablement sa vie et elle n'était pas prête à faire une croix sur Argella. « Pour le reste ... Et bien je dois reconnaitre que je sais très bien choisir mes amis. Mais je vous remercie du compliment. » Oh oui, elle savait fort bien s'entourer. Les Sandmen lui fournissaient ce dont elle avait besoin pour se faire passer pour une hivernale, Dash' s'arrangeait pour la vêtir comme telle sans que sa nature de nocturne se révèle face au froid de la Cour, et Irhyna faisait apparaitre des oreilles pointues et disparaitre les traces de ses ailes dissimulées. Stiorra n'était pas qu'elle. Stiorra était une équipe. « J'imagine que vous n'avez donc rien de miraculeux à ce propos ... Quel dommage.  » Elle lança un pavé dans la marre, cherchant à savoir s'il avait quelque chose pour elle avant qu'elle n'envisage ce dont elle même avait besoin. Parfois, leurs rendez-vous ne servaient qu'à s'assurer que l'autre était toujours là, présent à l'appel, engagé dans leur étrange marché. Ce soir était l'un de ces soirs, un soir où elle venait s'assurer qu'elle avait raison de donner un peu de confiance à un étranger pour atteindre son but.

Un rictus légèrement moqueur déforma les traits de son visage tandis qu'elle peinait à imaginer qu'il puisse réellement se faire du soucis pour le double jeu qui était sien. Ils ne se connaissaient pas plus que cela et les taquineries qu'ils n'avaient de cesse de partager ne faisaient pas réellement d'eux des amis. « Un vrai sentimental, n'est-ce pas ? » dit-elle avec un certain cynisme dans la voix. Plus que sa sécurité, la consistance de son rôle, sa capacité à ne pas griller sa couverture, assurait du bon travail des Sandmen autant que de ses propres talents. Sans ces informations, il ne servait à rien de se faire passer pour une autre et elle devait reconnaitre que la bande de Sylas l'avait tiré de quelques traquenards orchestrés par les cousins de l'hivernale. Elle toussota tandis qu'elle revoyait k'instant où ce couple de barons de Skogen l'avait interpellé dans la rue. Un concours de circonstance qui l'avait mené à fractionner son identité, à se perdre entre celle qu'elle était réellement et le personnage dont elle empruntait les traits pour le bien de la guilde. Argella allumait des feux à l'intérieur de la petite noblesse de l'Hiver, il ne restait plus à Merrill qu'à en souffler les cendres pour faire tomber la Cour si tel était son désir. Du moins c'était le plan, la réalité était plus nuancé. « Le baron est trop heureux de croire son unique fille encore en vie. Avoir la quasi-certitude que ce n'est pas le cas me ferait avoir de la peine pour lui. » dit-elle d'un ton aussi détaché que possible. Ces derniers temps, l'illyrienne avait conscience de la mince frontière qui séparait Argella de Stiorra et de combien l'affection du baron pour cette fille disparue et retrouvée venait opposé à sa vision de la famille un fonctionnement bien différent. La nocturne avait toujours eut des relations plus que conflictuelles avec son propre père et les grandes démonstrations d'affection n'était pas le fort des illyriens. Ainsi, en comparaison, même la froideur pudique de l'Hiver lui paraissait incroyablement tendre. Aurait-elle été différente si elle avait été aussi aimé que Stiorra par sa propre famille ? Elle ne le saurait jamais mais elle ne pouvait nier que l'attention qu'elle obtenait de la part du vieux baron, désormais veuf et amputé de son fils aîné, lui donnait parfois envie de demeurer Stiorra.

Pendant une demi-seconde, ses sourcils d'argent se froncèrent sous l'effet de la question. En temps normal, il n'aurait pas été autant que la famille s'installe dans le modeste manoir qu'ils avaient dans le Bois de l'Hiver mais Argella ignorait si ce serait le cas cette année. Si le baron semblait particulièrement apprécier le climat clément et les stimulation que la vie mondaine avait sur sa santé s'étiolant depuis le Fléau, tous les regards étaient braqué sur Bynjolf. L'Hiver tout entier semblait retenir son souffle dans l'attente de nouvelles d'Einar Asgeir et même elle se prêtait au jeu, s'étonnant de voir l'hivernal s'accrocher ainsi à la vie. « A cette heure, c'est difficile à dire : la santé du vieux suprême est tout ce qui importe à la noblesse hivernale. Halfdan Nygård est membre de l'entourage de Fenrys Helvar et bien qu'il ne soit que le neveu du baron, ce dernier craint trop qu'il éclipse son jeune héritier pour le laisser tout seul dans les frontières du domaine. » expliqua-t-elle d'une voix neutre. Halfan était un opportuniste ambitieux : considérant que le titre avait été honteusement volé à son père, lequel bien qu'handicapé par sa cécité demeurait l'ainé du duo gémellaire, il n'avait de cesse de faire des efforts pour ramener ce qu'il croyait être la succession légitime. Pour autant que le personnage lui parut profondément antipathique, Argella devait reconnaitre qu'il avait de l'aplomb et une détermination à toute épreuve. Le Fléau lui avait ravi son plus grand rival et le combat politique qui l'opposait désormais au dernier fils vivant du baron semblait bien inégal. Nul doute que si ce dernier disparaissait maintenant, Ingvar aurait bien du mal à s'imposer à la tête de la famille et puisqu'Halfdan avait l'amitié du seigneur de Skogen, si conflit il y avait, elle ne serait pas étonné que Fenrys prenne son parti. Après tout, Halfdan était plus âgé, mieux implanté dans la cour que ne l'était Ingvar, catapulté héritier depuis quelques années seulement. « Cependant, la "bien-aimée" fille du baron pourrait possiblement le convaincre de se rendre à Elysium si cela s'avérait nécessaire ... » ajouta-t-elle avec un sourire en coin. Si elle doutait qu'Hjalmar remette sa succession en question au profit de sa fille, il était évident que ce dernier voulait rattraper les années perdues et l'écoutait avec beaucoup d'attention. Peut être était-ce cette soudaine place de choix que lui enviait les cousins de Stiorra, craignant qu'elle ne favorise ses intérêts ou ceux d'Ingvar au détriment des leurs.

Elle devait croire en Merrill. Elle devait croire en la capacité de Merrill à comprendre le message qu'elle lui avait fait passer, en sa capacité à la trouver. Argella avait finit par fausser compagnie à Kora, incapable de lui imposer davantage sa présence et le risque qu'elle se fasse prendre. Séparées elles avaient plus de chance de se fondre dans la masse, dans les badauds qui découvraient les conséquences de la terrible nuit qui, sous couvert de fête, avait caché leurs sombres ambitions. Elles se reverraient plus tard, l'illyrienne en était certaine, mais pour l'heure, elle voulait surtout s'assurer d'être capable de rentrer chez elle, de retrouver son camp, ses amis, sa famille. Jamais son aile n'avait été aussi douloureuse et sans Irhyna pour la soigner, Argella ne pouvait que grimacer, priant pour que le bandage de fortune qui maintenait son épaule tienne encore un peu. Instinctivement, elle porta la main à son ventre. Par la Mère, elle regrettait de s'être embarquée dans une telle histoire, d'avoir pris le risque de se faire prendre avant même d'avoir pu parler à Edvin. Cela l'amenait à se demander ce qui l'avait poussé à accepter, en dehors de ce pseudo service qu'elle se devait de rendre aux Sandmen pour leur précieuse aide. Au final, ce n'était pas qu'un retour de faveur, elle avait finit par apprécier Sylas, au fil de leurs rencontres toujours plus farfelus, dans cette relation pleine d'ambiguïté entre un rapport strictement professionnelle et une certaine forme de tendresse amicale qui s'était créée au fil du temps. Sans doute n'aurait-elle pas accepté pour un autre, avait-elle finit par conclure, perdue dans ses pensées tandis qu'elle se trainait, la diurne à ses côtés, jusqu'à Elysium. Pas dans son état en tout cas.  

Sa tête était douloureuse et elle sentait un tiraillement dans ses yeux. Il fallait qu'elle trouve un endroit où se réfugier le temps que Merrill vienne la chercher et ne parvienne à l'exfiltrer jusqu'à Hewn. Personne ne s'interrogerait sur les allers et venues d'un baron qui ne pouvait être impliqué, bien visible au bal de la veille. Elle se le répétait tandis que la peur, et la douleur, menaçait de l'amener à la bêtise que serait le fait d'appeler Edvin à l'aide. Tout comme Irhyna, tout comme Shirat, ils étaient trop visibles, trop importants dans le clan, trop reclus dans leurs montagnes qu'un mouvement finirait, inévitablement par attirer l'attention. Ils devaient faire comme si de rien n'était et pour cela, ils ne devaient pas savoir. Pas encore.

Lui vint alors le souvenir du lieu de rendez-vous, l'endroit où ils devaient se retrouver plus tard, une fois leur larcin évaporé en pleine nature, lorsqu'ils pourraient calmement discuter de la suite. Se trainant jusqu'à l'entrepôt, Argella se glissa dans l'obscurité, sa vision nocturne quelque peu mise à mal par ses blessures et son coeurs battant à tout rompre. Il manqua d'imploser lorsqu'elle ressentit une présence. Elle avança doucement, tentant d'éviter de faire criser ses bottes contre le sol, d'être aussi invisible que les ombres dansantes dans l'entrepôt, sa main se glissant sur la dague qui se trouvait toujours à sa ceinture. Mais loin d'être un comité d'accueil prêt à l'envoyer aux soeurs grises, elle ne trouva qu'un printanier trop familier. « Sylas ? » souffla-t-elle, incrédule tandis que son esprit mit quelques instant à comprendre l'état de l'hybride. Il sembla ne pas l'entendre. Ou peut être que si, elle ignorait si sa voix avait porté assez loin de sa propre personne pour l'atteindre mais, quelques instants plus tard, il relevait la tête vers elle. Ses yeux rougis, gonflés par l'émotion, sa voix rauque ... Elle n'osa penser à ce qui pouvait justifier l'absence de son attitude si prompte à la taquinerie, à l'assurance dont il témoignait d'ordinaire. Elle se souvint du regard, le dernier qu'ils avaient échangé tandis que, se jetant par la fenêtre avec Kora, elle l'avait laissé courir après Owen dont l'urgence n'avait fait qu'exacerber la ténacité. Où était Owen ? Pourquoi n'était-il pas avec cet ami dont elle avait découvert l'existence et qui semblait si proche qu'ils auraient pu être frère ? Elle avait peur de comprendre, elle avait peur de savoir. Elle s'accroupit tant bien que mal, non sans une nouvelle grimace, à ses côtés. « Et bien ... "Les autres" de ma connaissance étaient la diurne et moi. Elle allait bien quand je l'ai laissé mais pour le reste du groupe, je ne sais pas. Je ne les ai pas revu depuis mon tamisage. » confessa-t-elle tandis que l'hypothétique disparition d'un membre de la troupe la troublait plus qu'elle ne l'aurait pensé, la menant à s'interroger sur les autres membres du groupe. Elle ne les connaissait pas plus que cela mais, fut-ce les hormones ou l'union dans l'adversité, elle se sentait étrangement concernée par leur sort. Elle tut cependant ses propres blessures, il était bien assez malmené comme cela, lui afficher la preuve de son infirmité soudaine ne l'aiderait pas. « Sylas, comment as-tu quitté la Tour ? » lui demanda-t-elle après un silence. Elle ne voulait pas évoquer directement l'absence de son acolyte, craignant de l'abimer plus qu'il ne l'était déjà, mais elle voulait s'assurer qu'il allait bien, qu'il n'était pas un service supplémentaire qu'elle devrait demander à Merrill de lui rendre.

Elle n'avait pas souvenir de l'avoir vu un jour dans un tel état : d'ordinaire, le Sylas qu'elle rencontrait était assuré, presque provoquant. Si elle pestait des lieux de rendez-vous toujours plus douteux où ils se rencontraient, elle reconnaissait l'humour insolent de son contact. Et actuellement, il n'avait rien du solaire Marchand de Sable qu'elle connaissait, aux prises d'une tristesse incommensurable. Dépourvu de sa malice habituelle, il lui apparaissait incroyablement jeune, la faiblesse de son être trahie par son enveloppe charnelle, s'accrochant plus qu'il ne s'appuyait sur cette caisse. Comme ils devaient avoir l'air beau l'un comme l'autre, d'ordinaire si fringuants et à présent pansant leurs plaies dans un état de faiblesse que même l'égo ne pouvait dissimuler. Pour elle, l'aventure commune s'était achevée lorsqu'elle s'était jetée avec Kora par la fenêtre de la Tour et que, touchée par les défenseurs de la tour, elle avait été forcée au tamisage. Sylas était le premier qu'elle revoyait depuis sa fuite, depuis qu'elle avait laissé sa partenaire d'infortune après leur retour mouvementé à Elysium. Elle se demandait si les autres avaient été aussi malchanceux qu'eux, si d'autres pertes étaient à déplorer parmi leur petit groupe d'intrus. Si elle ne les connaissait pas, pour la plupart, avant ce rendez-vous au pied de Mairil, elle devait reconnaitre que, fut-ce une certaine compassion envers le printanier ou ses hormones en pagailles, elle se sentait particulièrement touchée par le récit que lui fit le jeune hybride de sa fuite. « Sylas ... » souffla-t-elle, songeant à la peine que perdre Irhyna lui causerait. Pour des gens comme eux, orphelins ou abandonnés, la famille du coeur prenait le pas sur les liens du sang : elle ne doutait que Sylas eut partagé avec Owen une grande complicité, peut être même plus. Elle ne connaissait pas le passé de son acolyte, cela appartenait à un jardin privé qu'elle ne se serait permise de farfouiller, aussi il lui était difficile d'apprécier la relation véritable entre les deux hommes mais elle l'imaginait semblable à ce qui la liait à sa lieutenant ou même à Aada : une proximité si forte qu'elle dépassait la simple amitié. « Je suis désolée pour Owen, vous aviez l'air très proche. » finit-elle par dire quoi que cela eut sonné plat. Que pourrait-on lui dire si Irhyna disparaissait pour apaiser sa pleine ? Sans doute rien, songea-t-elle avec amertume.

Pour autant, à la tristesse de Sylas se mêlait une culpabilité qu'elle peinait à comprendre. Certes il était l'instigateur de leur aventure à Mairil, mais tous les gens présents étaient, de ce qu'elle en avait compris, volontaire et plus ou moins habitué à une forme de danger. Le blâme que le printanier s'infligeait à lui même n'était en aucun cas un reproche dans l'esprit de l'illyrienne. « Ce n'est ni la première fois, ni la dernière ... » tenta-t-elle en haussant les épaules, grimaçant lorsque sa blessure se rappela à son bon souvenir. Elle avait connu des situations bien plus périlleuses et était assez jeune pour en connaitre d'autre, surtout au sein d'une organisation comme les Stormvaengir, surtout avec Edvin comme compagnon. Ce qui était arrivé à la Tour était malheureux mais n'en demeurait, pour Argella du moins, qu'un risque inhérent aux choix qu'ils avaient fait. Et pourtant ... Une main se posa sur son ventre. Et pourtant elle culpabilisait elle même de s'être jetée ainsi dans une telle entreprise dans son état. L'inquiétude, les blessures, la perte de sang ... Et si elle avait mis en danger cet enfant qu'Irhyna lui avait dit qu'elle portait ? Ce ne serait en aucun cas la faute de Sylas, souffla une voix dans sa tête, seulement celle de son tempérament fier, seulement celle de son égo titillé en plein coeur de se voir, enfin, au coeur de quelque chose. Elle s'était promis, lors de son périple nocturne à travers les forets du printemps, que si elle en réchappait, elle le dirait à Edvin. Il ne la lâcherait sans doute plus une fois qu'il serait au courant, mais elle voulait prendre cela comme un signe divin : si elle en réchappait, elle ferait les choses bien et arrêterait les cachoteries avec celui qui partageait sa vie. Cette résolution l'avait tenu en alerte jusqu'au retour à Elysium, jusqu'à trouver Sylas et, elle l'espérait, jusqu'à ce que Merrill la trouve. Gageant que le printanier ne se serait pas réfugié ici si ce n'était pas sur, elle songea que sa seule lutte, désormais, était contre le sommeil, induit par la perte de sang, qui ne manquerait pas de sonner un tour tragique dans son aventure. Elle devait rester éveillée et finalement, songea-t-elle avec humour, ce serait peut être Sylas qui la sauverait en continuant de lui parler. « Mais cette fois je ne me suis pas ratée. Je vais me faire sacrément engueulée lorsque je vais rentrer. » dit-elle, la voix tressautant d'un rire douloureux. Quoi qu'elle ignorait la réaction de son éole lorsqu'il recevrait son message, elle savait qu'Edvin serait furieux : elle avait disparu sans lui donner la moindre explication, lui laissant la protection du camp et rentrerait dans un sale état. Quand à Irhyna ... Si elle ne mourrait pas de ses blessures, elle serait sans doute assassinée par sa lieutenant dès qu'elle passerait les portes du camps. Perspective peu réjouissante finalement, se dit l'illyrienne avec un sourire en coin. Son regard remonta vers le marchand de sable : si sa propre route était désormais tracée, elle se ferait soigner au camps et y resterait discrète jusqu'aux prochaines retrouvailles du groupe, elle se demandait ce qui attendait le jeune hybride maintenant qu'il avait perdu son ami, maintenant que le Printemps, et probablement Elysium, était à la recherche des intrus de la tour. « Que vas-tu faire maintenant ? Le Printemps est en alerte, tu pense rester sur Elysium ? » S'il cherchait un refuge temporaire, peut être lui proposerait-elle Hewn : il n'avait certes pas d'aile mais ses oreilles rondes suffisaient à prouver son statut et le clan n'aurait rien à redire de ses décisions si elle lui accordait l'asile.