(Rosalie) Sous le bleu d'un ciel

Atlas a vécu longtemps à Elysium. La capitale était rapidement devenue pour lui une cité de passion et de beauté. Ses bas quartiers, loin de tout ce qu’il avait pu vivre entre les murs du Bois des quatre saisons. Il a visité Cordof, où la famille de son père réside, plus souvent qu’il ne puisse se le rappeler. Il est familier avec la géographie de la Cour du Printemps — le contraire aurait été scandaleux considérant les nombreux diplômes qu’il a acquis dans les universités qu’il a fréquentées —, mas il n’a jamais mis les pieds à Cairlond avant aujourd’hui. Il n’est pas familier non plus avec la famille qui y siège et qui règne sur la Cour du Printemps.

Il sait qu’Ambroise Valois est le Suprême du Printemps. Il sait que le fils bâtard de ce dernier a repris le flambeau de leurs affaires familiales. Son cousin Achille a recommandé ses services au jeune Seigneur de Cairlond pour la réalisation d’une fresque dans la salle de bal de son manoir. Devait-il se présenter comme le Seigneur de Dunmere ou comme un simple artiste ? La question avait résonné dans son esprit au moins cent froid depuis qu’il avait répondu aux missives de Lysandre Valois. Pourtant, sa rencontre avec lui en matinée s’est bien déroulée.

Depuis son arrivée, bien des heures auparavant, Atlas a observé l’espace dans la salle qu’il peindrait avant de marcher sur les terres autour du manoir, en quête d’inspiration. C’est en s’allongeant sous les arbres fruitiers, les yeux plissés pour observer le ciel entre les rayons du soleil que l’inspiration l’a enfin frappé. Le Romanov a partagé avec sa mère une fascination marquée pour le ciel et les astres. Le ciel nocturne est un thème récurrent des œuvres qu’il a réalisées, mais détonnerait étrangement dans la demeure des Valois. C’est la lumière, la verdure et le soleil qui devrait s’y épanouir, avait-il songé.

Les échafauds érigés, Atlas s’est mis au travail après avoir ouvert toutes les grandes fenêtres de la salle pour profiter de l’air frais. L’après-midi était bien entamé alors. Depuis, il a recouvert la voûte de la pièce de tons de bleu clair. Aussi beaux que ceux que le ciel avait arboré plus tôt ce jour-là. Peu à peu, il y trace des nuages, y façonne la lumière angélique du soleil. Il a décidé d’honorer la spécialité des Valois. Sur la voûte de leur salle de bain se dessinerait un ciel printanier sillonné de branches d’arbres à travers lesquelles s’immiscerait la lueur du jour. Entre ces branches, il peindrait les plus beaux fruits qui poussaient dans les vergers qu’il avait arpentés un peu plus tôt.

S’il a travaillé un bon moment dans le silence, l’une des blondes jeunes femmes de la famille s’est glissée dans la salle après la nuit tombée. Circé Valois l’a interrogé sur ses méthodes, l’a questionné sur la difficulté d’exercer ce métier sans pouvoirs utiliser ses pouvoirs pour façonner des couleurs. Atlas répond à ses questions poliment, mais le bavardage incessant de la demoiselle a fini par faire naître un froncement entre ses sourcils.

« On vous a apporté un repas ? demande-t-elle, soudainement frappée par la réalisation du temps qui s’est écoulé depuis l’arrivée de l’artiste. C’est là l’un des plus grands défauts d’Atlas. Lorsqu’il se plonge dans son art, il oublie souvent le monde autour de lui, jusqu’à s’oublier lui-même. Il n’a même pas encore entendu le grondement sourd de son estomac…

« Les domestiques ne doivent pas avoir réalisé que je suis toujours là, répond le peindre avec un sourire désolé. Ne vous embarrassez pas pour moi. Je devrais sans doute remballer mes affaires et revenir demain. »

Circé proteste pourtant, et quitte la pièce en lui promettant de ramener de quoi le rassasier. Atlas soupire avec lassitude lorsqu’elle quitte la pièce et se rallonge sur le dos avec un bout de tissu à la main, qu’il utilise pour estomper les couleurs qu’il applique sur le plafond, en faisant des nuages réalistes.

Lysandre avait commandé une fresque pour la salle de bal. J’aurais pu être vexée qu’il ne me demande pas, mais ce n’était pas ma spécialité, de une, de deux j’avais beaucoup de travail, aussi bien pour mes bijoux que pour les toiles que j’avais promises à Dana. Alors je ne sortais pas beaucoup de mon atelier, profitant de la beauté des jardins de temps à autre. Mais si je vendais aussi bien mes toiles que mes bijoux, peut-être pourrais-je ouvrir un atelier à moi en ville et non plus qu’une simple pièce à Cairlond ? Peut-être même à Elysium ? Il faudrait que j’en parle à Lysandre également. Peut-être qu’à Elysium cela serait mieux pour les Valois ? J’avais encore un peu de temps, tant que ma collection n’était pas terminée ni vendue. J’avais en réalité presque terminé la plus grosse partie des bijoux. Je travaillais après tout du levé au couché du soleil, voir très tard dans la nuit à la lumière de chandelles. Cela donnait également d’autres idées après tout ! Pour les quelques toiles que je peignais en plus de celles que j’avais déjà, et que Dana avait validée, elles séchaient ou étaient encore dans ma tête.

On frappa à ma porte. Un atelier serait sans doute bien pour éviter une Circé qui avait tendance à venir m’embêter dès qu’elle le pouvait. Si bien que j’avais fait poser des verrous supplémentaires pour qu’elle arrête de venir comme dans un moulin. Néanmoins, je crois que je n’avais rien avalé depuis au moins ce matin et que je prendrais bien quelques choses à manger. Avec un soupir, je repris ma canne pour me lever et ouvrir à ma porte, Circé gloussa en prenant mon bras.

« L’artiste j’en ferais mon quatre heures ! Tu verrais ça !
- Circé… tu es intenable… Laisse le tranquille, il a du travail, il n’a pas demandé à subir une Circé qui veut coucher avec lui.
- Ma chère sœur tu n’es pas drôle !
- Je suis ce que tu n’es pas… Raisonnable. »

Elle était fatigante. Circé eut un haussement d’épaule avant de me lâcher.

« En tout cas il n’a pas mangé ! Je vais lui chercher quelque chose !
- Parfait. »

J’allais aller voir cet artiste. J’avançai à pas lents dans les couloirs jusqu’à la salle de bal et mon regard grimpa le long des échafaudages jusqu’à caresser les cheveux bruns que je pouvais voir. Qu’est-ce que… Je restais silencieuse, observant l’artiste ou ce qu’il avait peint. Quelque chose… cela remuait au creux de mon ventre… Muette, aucun mot ne sortait de ma bouche alors que je croisais le regard de l’artiste. Le monde ne se réduisit plus qu’à son regard alors qu’il était bien loin… J’avais la bouche sèche… mais je réussis à parler.

« Bonsoir… Je… Je suis Rosalie. »

Est-ce qu’il voulait plus de lumière ? Pour mieux voir ce qu’il faisait ? Même si toutes les torches étaient largement allumées avec toutes les lanternes également. Presque autant de lumière qu’en pleins jour. Mais c’était lui qui illuminait la pièce.

Des pas ne tardent pas à retentir de nouveau dans le long corridor. Les couloirs des grandes maisons comme celle des Valois portent les échos comme nulle part ailleurs. Cette réalisation l’avait déstabilisé à l’époque où il était revenu vivre à Dunmere. Après deux années passées dans un petit appartement dont les fenêtres donnaient sur une rue passante du Jardin des Arts d’Elysium, Atlas avait été frappé par la tranquillité qui régnait dans le manoir familial, si facilement brisée au moindre bruit. Circé est d’une rapidité impressionnante, songe-t-il en observant le résultat de ses efforts sur le plafond illuminé par la lueur des orbes enchâssés dans les lustres. Il réalise rapidement que la démarche de la personne s’approche de la salle de bal est fort différente de celle de la femme qui l’observait quelques minutes auparavant.

L’air crépite étrangement dans la pièce. Il doit se rendre à l’évidence, son travail ne progresse pas beaucoup plus ce soir-là. Les astres se sont alignés pour le distraire. Malgré ses efforts pour les ignorer, leurs desseins continuent à se tisser sous ses yeux. Sa mère aurait dit qu’il ne sert à rien d’ignorer le destin lorsqu’il s’acharne ainsi.

Atlas essuie ses mains tachées de peinture sur son pantalon de travail lorsque le son des pas s’arrête enfin sur le seuil de la salle de bal. Lorsqu’il pose les yeux sur la femme qui se tient là, son cœur rate un battement. Sa chevelure d’or, sa peau d’albâtre et son regard sombre auraient suffi pour attirer son regard, mais les traits singuliers de son visage la distinguent de toutes les femmes sur lesquelles il a pu poser les yeux au cours de son existence. La lumière s’accroche à ses boucles que le vent fait ondoyer alors que le silence se suspend entre eux comme si le temps s’était arrêté pour un instant. Le peintre se redresse, rattrape sa palette recouverte de tons d’azur et de gris de justesse avant qu’elle ne dégringole du haut de son espace de travail.

Elle brise le silence en premier, se présente d’une voix presque tremblante. Atlas ne se souvient pas de la dernière fois que son cœur a martelé sa cage thoracique avec tant d’intensité. Le martèlement est presque audible alors qu’il l’observe. Il descend de son perchoir en quelques bonds pour s’approcher de la demoiselle. « Enchanté de vous rencontrer, mademoiselle Rosalie. Je ne vous serrerai pas la main, je ne voudrais pas ruiner vos habits… Un sourire court sur ses lèvres. J’espère que vous excuserez mon air ahuri, votre arrivée m’a surpris. »

Pour la première fois de sa vie, il regrette de ne pas avoir mis les pieds dans les salons du Palais des Mirages plus souvent. Pour la première fois de sa vie, il se demande ce que sa vie en retrait de la belle société lui a fait manquer. Pour la première fois depuis plusieurs années, Atlas se demande si ce sentiment étrange qui se répand en lui est dû seulement à la découverte d’une nouvelle muse ou si ça ne cacherait pas quelque chose de plus complexe… quelque chose qu’il n’avait pas prévu.

Il m’ouvrit le monde comme quelqu’un m’ouvrit une porte en descendant à toute vitesse de l’échafaudage, si vite, que j’eus peur qu’il tombe et ne se brise un os. Il avait une tache bleue sur la joue, ses cheveux avaient également quelques taches de peintures. Tout comme sa tenue, il avait une allure d’un homme que je venais de tirer d’un espace féerique où il se devait d’être, comme un oiseau sortit de son nid. Mais je le laissai s’approcher de moi alors que j’eus brusquement honte de ma canne, de a manière gauche avec les autres. Et pourtant ma robe aux teintes pastel était propre. Mais je me sentais… ailleurs en le regardant. Un visage fin, des boucles soyeuses appelant mes doigts, des yeux aussi profonds que le ciel du printemps… Je me sentais happée par l’homme à qui j’offris un grand sourire heureux de le voir s’approcher. Je rougis un peu à ses hommes en examinant sa tenue.

« Je vous en prie. J’ai aussi l’habitude de peindre, bien que je ne sois point capable de faire des fresques. J’ignorais même votre présence ici, c’est ma sœur Circé qui m’a dit que vous étiez là. »

Et qu’elle voulait le transformer en son quatre heure. Une pointe de jalousie gonfla dans ma gorge alors que je détournai les yeux pour regarder ce qu’il avait peint. Même si on n’avait pas beaucoup de vision d’ici pour l’instant. Je reviens vers lui.

« Du peu que je vois, je crois que vous avez fait un superbe travail. Maître… Ma sœur ne m’a pas donné votre nom. J’espère qu’elle ne vous a pas dérangé et qu’elle ne vous a pas causé de tort. Circé est… Circée… Je n’ai pas de meilleure définition que cela. Ma sœur est ma sœur. »

Demi. J’avais brusquement envie de préciser cela, je ne le fis pas.

« Elle m’a également dit que vous n’aviez pas mangé, c’est aussi mon cas… j’étais perdue dans mon travail. »

J’avais l’impression qu’à chaque fois que j’ouvrais la bouche, je trébuchai devant lui pour m’étaler de tout mon long sur le sol dans une bouse de vache. Mes genoux étaient en guimauves et semblaient avoir du mal à me soutenir. Alors que ma tête et mon estomac et… Et rien ne semblait fonctionner comme il se devait, que j’étais ici, ailleurs, dans cette salle et pourtant dans un autre lieu avec le jeune Fae. J’avais la bouche sèche et pourtant l’envie de lui glisser mille mots sans pour autant en être capable.

Si la majorité des hommes de la noblesse nocturnes aiment s’affubler de costumes parfaitement manucurés. De chemises immaculés adornées de fines broderies sous des vestons satinés ornés d’or et d’art, Atlas a toujours préféré l’accoutrement simple dont il s’est vêtu. Un vieux pantalon de coton gris maculé de peinture, fraîche ou séchée, et une chemise de lin presque blanche dont les taches laissent deviner un long vécu. À cette époque de l’année, le temps est frais sur les terres de la Nuit, mais la Cour du Printemps est plongée dans une éternelle floraison et le soleil de la journée avait réchauffé la pièce au point de faire perler la sueur sur son front. L’artiste a déboutonné quelques boutons de sa chemise dans l’espoir de profiter un peu de la brise, mais le vent qui pénètre désormais par les grandes fenêtres ouvertes comment à se rafraîchir.

Son sourire s’étire face à l’admission de Rosalie. C’est Circé qui lui a dit qu’il était là. Peut-être qu’il ne devrait pas être surpris. La blonde jeune femme lui a semblé être une grande amatrice de conversation, le laissant à peine placer un mot ici et là durant leur discussion. Ça n’a pas semblé l’offenser pour autant. Il aurait sans doute pu compatir sur la difficulté de vivre avec des soeurs. Après tout, sa propre relation avec ses aînées n’est pas de tout repos. Mais il est soucieux de ne pas offenser la demoiselle qui se tient devant lui, et donc il mesure ses mots avec plus de soin qu’il ne l’ait fait depuis bien longtemps.

« Atlas, se présenta-t-il en inclinant légèrement la tête. Atlas Romanov. Ne vous inquiétez pas pour votre sœur. Ses questions ne m’ont pas importuné. Un mensonge éhonté, mais il espère qu’elle ne s’en formalisera pas. Vous aimez peindre aussi ? J’ai toujours eu une fascination pour le ciel. Et comme j’ai toujours les yeux rivés vers le ciel, j’ai rapidement remarqué que les plafonds des belles demeures d’Evanor manquaient d’attrait… »

Ses mots se suspendent et ses joues rougissent légèrement. Atlas a toujours aimé parler de ce qui le passionne. À Dunmere, ses soeurs n’étaient pas intéressées à l’entendre parler de ses oeuvres. Elles auraient voulu qu’Atlas s’intéresse plutôt aux galeries d’art tenues par la famille, à leurs théâtres et à leurs encans. Elles auraient voulu qu’il porte un intérêt aux colonnes de chiffre de leurs livres et aux coffres familiaux. Sauf que ces choses ne le font pas vibrer, ne l’aident pas à s’échapper de la réalité parfois difficile à supporter.

« Je suis désolé, je me laisse emporter. J’ai essayé de dire à votre sœur que je devrais quitter et revenir demain, mais elle semblait tellement déterminée à me ramener de quoi me mettre sous la dent que je n’ai pas osé la contredire. La conversation le rendait nerveux. Il n’aurait pas su dire pourquoi. Peut-être parce que les habitants des maisons où il travaillait habituellement n’accordaient pas d’attention à l’homme engagé pour peindre leurs plafonds. Peut-être parce qu’il n’a plus l’habitude de converser avec de nobles demoiselles. Pourtant, il ne s’était pas senti ainsi en discutant avec Circé. Peut-être aimeriez-vous m’accompagner ? J’aimerais beaucoup savoir quel genre de travail vous absorbait au point d’en oublier de manger… »

Il avait une dégaine un peu… décalée, une dégaine d’artiste, légèrement tachée sale. J’aimais beaucoup, c’était un doux mélange après tout, d’élégance et de nonchalance. Je n’arrivais pas à détourner les yeux et j’appréciais déjà grandement cette mince conversation. Mais ce maître de la peinture, je me demandais qui était-ce… Atlas… Le nom d’une étoile. Romanov… J’écarquillais les yeux en entendant ce nom de famille. Je le connaissais ! C’était une grande famille de la nuit ! Particulièrement tournée vers les arts ! Je n’avais jamais pu me rendre dans leur théâtre, ou à l’une de leurs expositions, mais j’en avais bien entendu parlé ! N’importe quel artiste en avait forcément entendu parler d’une manière ou d’une autre ! Je me sentis même rougir d’être heureuse avec lui… et pouvoir discuter tranquillement avec lui. Mais pas que cela… Il y avait quelque chose d’autre dans l’air.

« Je… je vous connais, enfin, du moins de réputation. Votre famille est un grand mécène pour les artistes. »

Fis-je doucement. Atlas… Son nom roulait doucement sur la langue avec douceur. Romanov aussi parfaitement doux. J’inclinai légèrement la tête. Circé ne l’aurait pas tant dérangé que cela. Je doutais malgré tout. Circé était… parfois très agaçante ! Mais puisqu’il affirmait que tout allait bien ! Je ne forcerais pas les questions. J’inclinai la tête. Le ciel… J’observais ce qu’il avait peint.

« Oui, j’aime beaucoup peindre. Je peins la nature ou des portraits également, comment je la perçois. Je suis d’accord avec vous, du peu que je vois, vous avez ouvert notre salle de bal sur le ciel, c’est magnifique. »

Cela la rendait si grande, si lumineuse… Moins qu’Atlas. Je me mordis la langue aussitôt à cette pensée. Qu’est-ce que je pensais ?! Pourquoi… Je baissais légèrement les yeux en rougissant à nouveau. Ce n’était pas la peine de trop en faire, n’est-ce pas ? Je reviens vers le visage du Fae avec ses cheveux ébouriffés. J’avais envie de passer mes doigts à l’intérieur… Ce n’était pas le moment. Je secouai la tête.

« Je vous en prie ! J’adore parler de peinture ! »

Partager un moment avec lui ?! Mon cœur bondit dans ma poitrine et je hochais la tête.

« Oh avec grand plaisir ! Peut-être souhaiteriez-vous vous installer dans mon atelier ? Nous serrions au calme et je pourrais vous montrer ce que je peux réaliser, si cela vous tente bien sûr. »

Circé, par pitié, reste loin ou je vais t’étrangler. Je ne voulais pas que quelqu’un arrive à ce moment.

« Je pourrais faire porter un repas pour deux là bas. Enfin uniquement si le cœur vous en dit bien sûr. Je ne vous force pas. »

Dit oui Atlas s’il te plaît !

Ses joues rougissent légèrement en l’entendant évoquer sa famille, une pointe de culpabilité naissant au creux de son ventre en se souvenant de sa dernière conversation avec sa sœur aînée… Les Romanov sont des mécènes pour les artistes du peuple à la recherche d’une opportunité pour percer. Or, Atlas n’a jamais eu d’intérêt pour le mécénat. Il préfère largement se retrouver de l’autre côté du miroir, parmi les artistes, ou plutôt à l’écart près d’eux. Trop souvent, on a prétendu vouloir se nouer d’amitié avec lui en espérant des faveurs. Trop souvent, Atlas a pensé se trouver à sa place parmi la foule d’artistes talentueux pour réaliser qu’on le regardait différemment, comme un barreau de plus dans l’échelle vers le succès plutôt que comme un égal. Trop souvent submergé par cette impression de ne trouver sa place nulle part, il préfère désormais une vie solitaire, en marge des prunelles indiscrètes.

Aussi, il n’élabore pas davantage sur le sujet de sa famille, se contentant de porter une oreille intéressée vers la blonde jeune femme qui se tient devant lui. Il incline légèrement le menton en signe de remerciement face à son commentaire sur le début de fresque qui se dessine sur le plafond de la pièce.

« Ce serait un plaisir de vous accompagner dans votre atelier. Son cœur tambourinait de façon étrange dans sa poitrine. Le regard rivé sur le visage à la beauté éthérée de Rosalie, il ne peut s’empêcher de songer qu’il a rarement vu une femme à la beauté aussi divine. J’espère que votre sœur ne m’en voudra pas trop de lui avoir faussé compagnie… »

Elle aurait largement le temps de venir lui en faire part dans les prochains jours si c’était le cas. Il s’empare d’un linge attaché à sa ceinture, essuyant les taches de peinture qui maculent sa peau lunaire du mieux qu’il le peut avant de repasser son veston.

« Je vous suis. Vous connaissez probablement ce manoir mieux que moi après tout, sourit-il en tendant la main vers la sortie, lui présentant le pli de son coude avec un semblant de galanterie. Ses connaissances en matière d’étiquette sont rouillées, érodées par toutes les années passées à renier le sang noble qui lui coule dans les veines, et il se surprend à espérer que Rosalie n’ait rien remarqué. Il s’éclaircit la voix avec un brin de maladresse. J’espère que ma présence ne bouscule pas les plans que vous pourriez avoir eus pour cette soirée. Je détesterais apprendre que je vous ai arrachée à un dîner en tête à tête avec un prétendant ou un époux… »

Il est tenté d’ajouter qu’il n’est pas familier avec les alliances des différentes familles de la noblesse, mais il craint de se répéter et se tait, laissant son regard glisser vers le visage de la demoiselle. C’est là une tentative bien maladroite de savoir si la jeune femme partage la vie de quelqu’un, s’il risque de se retrouver confronté à un amant jaloux au détour d’un couloir, mais aussi de savoir si le cœur de la blonde créature à son bras est déjà pris.

Ses joues rosirent et… je me sentis rougir à mon tour. Ses joues ressemblaient à des pommes et je ne savais pas pourquoi… j’avais très envie de juste y poser mes lèvres. Par la mère, c’était quoi ces sensations avec lui ? Il me semblait nimber de lumière, presque irréel avec ses boucles brunes, sa gêne et… disons qu’il ne semblait pas de ce monde, comme-ci je l’avais arraché du sien. Mais je l’avais gêné en parlant de sa famille… c’était ma faute… Je me mordis les lèvres un instant avant de lui proposer de visiter mon atelier. Il accepta ! Et mon cœur sembla jaillir de ma poitrine, un immense sourire étira mes lèvres. Ma sœur…

« OH ! Ne vous en faites pas, ma sœur s’en remettra ! Et puis je vous défendrais contre elle, ne vous en faites point. »

Je le regardais avec attention alors qu’il se nettoyait comme il pouvait. Je le laissai faire alors qu’il repassait son veston. Cela lui allait parfaitement bien. J’eus un rire léger à sa remarque en inclinant légèrement la tête.

« Je crois que je le connais relativement bien, vous ne vous perdrez pas ! »

Avec douceur, je passai ma main autour de son coude… J’avais l’impression que sa peau irradiée d’une chaleur étrange. Je l’invitai à me suivre dans les couloirs en douceur en m’appuyant aussi bien sur lui, mais surtout sur ma canne pour ne pas le gêner et l’embêter à cause de ma patte folle. Sa remarque me surprit et je ris doucement en secouant la tête.

« Oh… Non, je n’avais aucun plan avec quelconque amant ou époux. Je n’ai ni l’un ni l’autre. »

Si je pouvais le rassurer immédiatement… Je le faisais ! Il ne fallait pas attendre ! J’inclinai légèrement la tête.

« J’espère à mon tour ne vous arracher à aucune obligation si ce n’est celles de ma sœur ! Mais ne vous en faites pas, ce n’est rien de grave pour Circé, elle en survivra. Mais j’espère également que je ne viendrais pas vous causer problème avec des obligations maritales… »

Assure-moi que tu n’as rien ou personne… Par la Mère… Je le regardai avec attention, croisant son regard… Je me sentis rougir à nouveau jusqu’à la pointe de mes oreilles effilées. Mais je continuai de le regarder avec beaucoup de douceur avant de m’arrêter devant une porte.

« C’est ici. »

Je lui ouvris la pièce pour lui permettre de rentrer. Il trouverait une pièce très simple, comparée au reste de la demeure, avec une toile finissant de sécher, d’autres appuyées sur le mur, mais aussi mes petites armoires remplis de métaux, de pierre… Il y avait plusieurs pièces terminées posaient sur ma table de travail, mais la fenêtre était ouverte sur le jardin. IL faisait sombre maintenant, mais je m’approchai de quelques bougies pour faire lumière sur la pièce.

« Je crois que c’est bien moins impressionnant que ce que vous faites… Mais voilà où je travaille. Je vous en prie, asseyez-vous ! »

Il y avait quelques sièges, mais rien de bien confortable. EN passant j’avais demandé à une servante de faire porter deux repas ici.

« Voilà… Vous avez quelques vitrines pour regarder d’autres bijoux qui sont terminés… Si vous le souhaitez… »

Fis-je doucement en observant son visage.

La pression des doigts de Rosalie contre son bras fait courir une décharge étrange en lui. Comme un éclair qui électrifie chaque recoin d’un nuage par une nuit d’orage. Alors qu’il pose les yeux sur le visage à la peau pâle de la noble demoiselle, il imagine la scène qu’il esquisserait pour dépeindre cette sensation avec précision dans sa tête. Une mer sombre et tumultueuse, un ciel à la grisaille étrangement dorée dont les nuages luisent de la lueur d’un éclair incandescent… C’est une sensation que certains auraient sans doute qualifiée de désagréable, mais qui fait naître une excitation au creux de son ventre.

Rosalie secoue la tête face à sa question maladroite, lui retournant un questionnement semblable en poursuivant sa route dans le dédale de corridors du manoir de sa famille. Le visage de Nour émerge dans son esprit, aussi vivement que l’éclair quelques instants plutôt. Son cœur se serre légèrement face à ce souvenir qu’il chasse de sa tête aussi vite qu’il le peut, refusant de se laisser entraîner vers le fond du baril par ses amours passés en cette soirée qui s’annonce agréable. Après tout, Nour aurait voulu qu’il soit heureux. Elle aurait voulu qu’il panse ses plaies et qu’il passe à autre chose…

« Dunmere n’a pas eu de Dame depuis le décès de ma mère, j’en ai bien peur, confirme-t-il, un coin de sa bouche se relevant légèrement avant de retomber presque aussitôt. Mes sœurs aimeraient que je pose mes pinceaux pour me concentrer sur les affaires de notre famille, mais je dois avouer être un romantique incorrigible… Chaque fois que ses sœurs soulevaient le sujet, Atlas répétait qu’Hyperion pouvait assurer leur descendance autant que lui. Diantre, si elles étaient prêtes à se marier elles-mêmes à un homme issu de la Cour de la Nuit, Atlas serait heureux de nommer le premier enfant maniant les ombres à titre d’héritier. Autant dire que le sujet cause bien des disputes lorsqu’il daigne mettre les pieds au manoir familial… Je n’ai pas envie de me marier par obligation, avoue-t-il finalement, ses yeux s’attardant encore un peu trop longtemps sur les traits angéliques de sa compagne. Nous vivons des centaines d’années. Je n’ai pas envie de passer ma vie auprès d’une femme qui ne fait pas battre mon cœur par obligation pour un perpétuer un nom. »

Il pose finalement les yeux sur la pièce où elle l’a mené. L’atelier de Rosalie est à la fois simple et encombré. Aux yeux d’Atlas, entrer dans cet atelier est presque aussi intime qu’entrer dans les appartements de la demoiselle. Peut-être parce qu’il peut admirer un petit bout des passions de la jeune femme dans chacun des détails qu’il aperçoit dans cette pièce. Des toiles reposent contre le mur près de la fenêtre ouverte. Une œuvre sèche sur un chevalet maculé de couleurs vives. Des armoires aux portes closes tapissent tout un mur de l’atelier et lui soufflent qu’elles recèlent mille merveilles. Une table de travail ayant visiblement beaucoup de vécu trône sur le sol et des objets scintillants sont exposés dans des vitrines. Des joyaux, des bijoux, réalise-t-il en s’en approchant.

« Vous êtes joaillière ? s’écrie-t-il en observant les bijoux reposant sous la vitre. Comme tout le monde, il connaît la réputation de la famille Valois pour la production de fruits, de vins et de cidres, mais il n’a pas fréquenté les cercles nobles assez souvent pour en savoir davantage sur les intérêts de chacun de ses membres. Ces pièces sont magnifiques. »

J’avais envie de créer une pièce, un bijou représentant la manière dont le soleil couchant caressait son visage, illuminant la courbe de sa mâchoire, l’arrête de son nez, illuminant l’albâtre de sa peau. J’avais l’impression de voir sa timidité s’éloigner… Ton bras était brûlant sous ma main et la peau que j’effleurais était bien plus chaude encore. Mais ce n’était pas désagréable, cela ne me faisait pas de mal. Bien au contraire… J’avais envie que cette chaleur reste encore ! Il fallait qu’il reste un peu plus. Et mon cœur répondit aussitôt à sa question. Je n’avais personne dans ma vie. J’avais même… peu d’amis, ils fuyaient tous quand je restais trop longtemps… est-ce que lui allait faire pareil ? Disparaître brusquement et me laisser seule ? Je me mordis les lèvres avant de lui demander si lui il avait quelqu’un. Je me surpris à prier la Mère qu’il me réponde non.

Le… décès de sa mère…

« Je suis désolée pour votre mère. »

Fis-je doucement triste pour lui, mais heureuse de savoir qu’il n’avait personne dans sa vie. Mais visiblement ses sœurs voulaient qu’il se concentre sur sa famille. Je hochais la tête. L’avantage d’être une branche tertiaire… les seules responsabilités que j’avais c’était mon commerce. Et si je voulais que ça s’arrête… Cela s’arrêtait ! Mais ce n’était pas mon cas, je voulais que ça continue. Ne pas se marier par obligation… Je lui offris un doux sourire en inclinant la tête.

« Et c’est tout à votre honneur, je trouve cela très beau. Je suis d’une branche tertiaire… Alors je n’ai pas ce problème. »

Fis-je tout doucement avant d’ouvrir la porte de mon atelier pour qu’il puisse entrer. J’avançai en m’appuyant sur ma canne pour refermer la fenêtre. Nous étions peut-être au Printemps, mais la température était fraîche le soir ! Je ne voulais pas qu’il attrape froid. C’était absolument hors de question. Je tournai la tête vers Atlas.

« Oui, c’est mon métier. »

Je rougis de plaisir en inclinant la tête vers lui avec douceur.

« Je vous remercie. C’est pratique de manipuler le métal pour créer des pièces. Mais la nature et la lumière sont de bonnes inspirations ! »

Je lui indiquais un fauteuil.

« Installez-vous je vous en prie. Ou si vous le souhaitez… je peux vous montrer quelques toiles que j’ai peintes ou si vous souhaitez, je peux aussi vous montrer d’autres pièces… »

Pièces que certains avaient tenté de me voler. Mais c’était fou comme le magnétisme était parfait pour éviter ce genre de problème. Si on voulait me voler quelque chose, il fallait faire un bruit affreux ! Je vérifiais que les lanternes étaient bien allumées avant d’ouvrir une des vitrines pour sortir un petit coffret où reposaient les dernières pièces, les chaînes de ventre et les bracelets pour la collection représentant l’Été. J’ouvris le coffret d’un petit geste de doigt avant de lui amener.

« Ça c’est les dernières… Je travaille avec Dana et nous avons pensé que travailler dans le thème de l’Été serait une bonne idée. »

Je lui tendis pour qu’il puisse regarder. J’avais… brusquement besoin de sa validation.