(Suni) Better terrible truths than kind lies

Better terrible truths than kind lies

La nuit a enveloppé Elysium il y a plusieurs heures. Pourtant, Sylas ne parvient pas à fermer l’œil. Lui qui a l’habitude de se retirer avant que l’horloge ne sonne les douze coups de minuit, s’attarde désormais dans la grande salle vide de l’auberge. Le Pied à Terre serait-il éternellement hanté par ses regrets et ses souvenirs ? Il ne peut s’empêcher de se poser la question en observant les tables de bois éclairées par les orbes lumineux depuis sa place derrière le bar. Les chopes de bière et les verres de cristal sont déjà immaculés, mais il continue de les frotter d’un air absent.

Ce soir plus que jamais, avec le silence qui pèse sur l’auberge comme une chape de plomb, il jurerait qu’Owen dévalera l’escalier d’une minute à l’autre, chassé d’une chambre à l’étage par un mari jaloux. Il peut s’imaginer son vieil ami à la perfection, manquer quelques marches pour se rattraper de justesse avant de venir s’effondrer sur un tabouret en jurant qu’il n’y est pour rien, que c’est la donzelle qui l’observait avec de grands yeux doux. Les semaines ont passé, mais la douleur ne s’est toujours pas atténuée. Pas complètement, en tout cas. La honte le suit comme une ombre. Sylas n’a pas l’habitude d’échouer. Il n’a pas non plus l’habitude de donner des ordres aussi déchirants, ou de perdre l’un de ses hommes…

Owen était la personne qui le suivait depuis le plus longtemps. Ils s’étaient rencontrés alors qu’ils étaient tous les deux incarcérés dans la prison d’Elysium et ne s’étaient plus jamais lâchés. L’orphelin avait soutenu Sylas dans le moment le plus difficile de sa vie, alors qu’on l’avait arraché de force à la seule personne qui le connaissait réellement. Amma n’était pas sa véritable mère, mais elle l’avait élevé, et elle en savait probablement plus sur lui qu’il n’en savait lui-même. Or, Amma n’avait été sa mère que durant vingt-trois ans. Owen avait été son meilleur ami durant soixante-neuf ans. Perdre Owen, c’était comme perdre un morceau de lui-même. Et Sylas ne peut s’empêcher de se demander comment il aurait pu faire les choses différemment. Il ne peut s’empêcher d’être rongé par la culpabilité.

Depuis, il avait eu droit à la fureur de Kora, à la sollicitude et au calme à toute épreuve d’Aslan, à la compassion de ses autres alliés, et aux phrases tranchantes et enveloppées de silence de Suni. Il ne saurait dire ce qui le blessait le plus. Les choses n’avaient pas tourné comme ils l’espéraient. Une partie de lui ne cessait de lui répéter qu’il n’aurait pas pu prévoir la désobéissance d’Owen lorsqu’il lui avait ordonné de se replier. Une autre partie de lui, celle qui avait une voix étrangement similaire à celle de Ninon, lui soufflait sans cesse la même phrase : Une vie pour une vie. La vie de cette prêtresse que Suni avait tuée à sa demande contre celle d’Owen. Il tentait de se raisonner, de se convaincre qu’il n’aurait pas pu prédire la tournure des événements, qu’il ne pouvait pas prendre la responsabilité pour tout ce qui avait mal tourné. Dans ces moments-là, le lapis-lazuli extrait de l’anneau qu’Owen a trouvé dans la tour est lourd contre sa peau. Si la pierre imbue de Merzost lui permet désormais de ressentir le mensonge dans la bouche de ses interlocuteurs, Sylas ne peut s’empêcher de se demander si le pouvoir de la relique s’étend jusqu’à sa psyché, la chaleur en irradiant devenant étrangement cuisante à chaque fois qu’il se répète qu’Owen n’est pas mort par sa faute…

Pris d’un besoin soudain de prendre l’air, Sylas dépose la chope qu’il tient entre ses doigts sur la surface de bois, laisse son chiffon choir pour faire volte-face et traverser la cuisine déserte et sortir dans la cour se dressant à l’arrière du Pied à Terre. Il tire un étui métallique de ses poches, les doigts tremblants alors qu’il s’empare d’une cigarette et d’une allumette. La première bouffée de fumée lui brûle les poumons. Il la retient aussi longtemps qu’il le peut avant de la laisser se dissiper dans la nuit dans un soupir bruyant. Des larmes lui brûlent les prunelles. Il aimerait prétendre qu’elles sont dues à la morsure de la fumée, mais ce serait un amer mensonge.

Il ressent la présence de Suni bien longtemps avant de la voir dans la pénombre. « Je n’aurais pas dû te demander de tuer cette prêtresse, lâche-t-il dans un soupir sans même se retourner vers la rouquine. J’aurais dû te présenter mes excuses bien avant aujourd’hui… » Sa réplique suivante s’étouffe dans son gosier. Il soupire avant de tirer encore une fois sur la cigarette entre ses doigts tremblants.

octobre 837 avec @"Suni Sha’Hwang" ∙ code par alcara

_________________

mister sandman

I'm so alone. Don't have nobody to call my own. They turned on their magic beam. Mr Sandman brought me a dream...

Better terrible truths than kind lies.

@Sylas Frasier

Perchée sur le toit de l’auberge, une jambe dans le vide, l’autre ramenée vers son torse, Suni observait les quais du Port d’Elysium. Le silence qui l’entourait était apaisant, il calmait la tempête qui l’avait traversé depuis l’intrusion des Marchands de Sable dans la Tour de la Coupe. La rouquine avait toujours apprécié l’écoute des bruits environnants ; le bruit des navires qui étaient bercés en suivant les mouvements de l’eau, le bruit des pas dans les flaques restantes de jours de pluies, ou encore, celui d’armes qui s’entrechoquaient lorsqu’une dispute éclatait aux premières heures du jour. Fermant les yeux, elle écouta, elle vida son esprit de toutes pensées pour s’imprégner des rares bruits extérieurs à l’auberge surplombant le bar du Pied à Terre. L’établissement était fermé à cette heure ; Aslan avait quitté son comptoir, le chimiste n’était plus en cuisine et sa comparse féminine, magnifique beauté, était occupée à peaufiner quelques poisons mortels. Owen aurait dû être présent, il aurait certainement proposé un verre de plus à la troupe, en bon vivant qu’il avait toujours été. Depuis qu’ils étaient rentrés de Mairil, l’auberge était calme le soir. Si Suni appréciait le silence, elle détestait celui-ci. Une boule se forma dans la gorge de la divergente. Elle savait aussi où Sylas se trouvait.

Un bruit de porte que l’on ouvre à l’arrière, une démarche rapide. Les yeux de l’espionne, vifs, se déplacèrent vers la faible lueur dans la cour. La rouquine savait de qui il s’agissait avant même de se retourner et de rouvrir les yeux. Doucement, d’un pas léger et discret, elle se relève, se déplace sur le toit du bâtiment et l’observe. « Si les choses tournent mal, tue-la. » L’ordre avait été donné dans un murmure, un échange de regards, quelques secondes à peine qui s’étaient transformées en éternité. Les choses avaient mal tourné. Si Suni pensait que la Mère l’avait abandonné, elle respectait l’Ajah verte, qui prenait soins des femmes enceintes et des orphelins. L’impression d’avoir assassiner le peu de bien qui persistait dans ce monde lui collait à la peau ; cette fois, la prière prononcée lorsque les yeux de l’initiée se sont fermés n’avait pas été suffisante à apaiser sa culpabilité. La rouquine ravala sa salive, le goût devenue âpre dans sa bouche. La silhouette avait les doigts qui tremblaient sur sa cigarette. La vision de la détresse à laquelle Sylas faisait face suite au décès d’Owen, suite à ses décisions, serra son cœur. Malgré l’ordre donné, il restait sa famille, un frère. D’un mouvement souple, elle s’accrocha à quelques pierres pour descendre du toit, décidant que le moment d’avoir une discussion était venu.

Un sourire s’étira sur ses lèvres lorsqu’elle entendit Sylas lui adresser la parole. Évidemment, qu’il savait qu’elle se cachait dans la pénombre. Elle se révéla, la rouquine, s’approchant de quelques pas. Son regard vert, perçant, le scrutant quelques secondes où elle ne dit rien. « Tu m’en donnes une ? » D’un geste du menton, elle désigna l’étui métallique avant de venir s’installer sur un parapet en face de son lieutenant. Suni fumait rarement, elle n’aimait pas la brûlure de la fumée mais ce soir, ce serait un mal bienvenue. Les paroles de Sylas réchauffèrent son cœur mais n’apaisèrent pas sa colère. Malgré tout, elle hocha la tête, comprenant l’intention. « Tu aurais dû. » Dit-elle simplement, d’un ton définitif. Suni n’avait jamais caché son avis à son lieutenant, son ami. Peu importe la situation, les divergences d’opinions ou la sensibilité de la conversation, elle resterait sincère avec lui. « Les choses ont mal tourné. » Continua-telle, répétant les paroles qu’ils s’étaient échangées cette nuit-là. Les événements s’étaient enchaînés, incapable de savoir si ses compagnons étaient en danger à l’étage avec l’alarme qui s’était déclenchée, la lame de Suni avait tranché la gorge de l’initié d’une rapidité fulgurante. Aurait-elle agi de la même manière sans l’ordre de Sylas ? Elle s’était posée maintes fois la question. Peut-être. Un soupir s’échappa des lippes de Suni. « Tu ne m’avais encore jamais ordonné de tuer quelqu’un. » Ce n’était pas son travail ; l’accord, c’était que ça reste son choix, son jugement. Ce n’était pas son premier assassinat non plus ; elle portait chaque mort dans sa conscience. « Je refuse que la mort devienne la solution de facilité. » Parce que toutes les décisions prises ce soir-là, avaient mené à ce moment, devenu inévitable. La rouquine comprit au même moment, que ce n’était pas le décès de l’initié verte qu’elle reprochait à Sylas. Son assassinat aurait été indispensable à la survie de ses compagnons et aussi répugnée qu’elle puisse être à cette idée, elle l’aurait tué.

Better terrible truths than kind lies

En silence, le lieutenant tend l’étui argenté à sa lame. L’objet métallique le suit où qu’il aille. Même s’il ne se considère pas comme un grand fumeur, il aime poser les lèvres sur une cigarette dans les moments où sont esprit se met à errer. La brûlure de la fumée l’aide à rester ancré dans le moment présent, à mieux ordonner ses pensées à travers la tempête qui fait rage dans son crâne. Et alors qu’il observe la rousse ouvrir la boîte d’argent, les initiales gravées à l’intérieur lui rappellent indubitablement que toutes les belles choses qu’il possède, il les a volées. Parce qu’il n’y a pas d’autre espoir pour les gens comme eux. Ses oreilles rondes et son dos dépourvu d’ailes le placent aussi bas que les humains aux yeux des habitants d’Evanor. Ça n’a pas d’importance qu’il maîtrise la magie. Ça n’a pas d’importance qu’il soit né parmi eux.

Personne ne donne sa chance à un homme comme lui. Il l’a réalisé rapidement quand il a émergé des cachots d’Elysium. Terrifié à l’idée de se retrouver seul dans le désert du Jour pour essayer de retrouver la femme qui l’avait élevé, Sylas ne trouvait pas le courage de quitter la capitale. Sans le sou, il avait passé des semaines à la rue, à essayer de trouver du travail. Mais qui voulait d’un apprenti qui n’avait aucune expérience ? Qui voulait d’un apprenti au sang souillé ? Chaque échoppe où il avait mis les pieds l’avait foutu à la porte sans se soucier de ce qu’il adviendrait de lui. Ce n’est que lorsqu’il avait retrouvé Owen et qu’il avait prêté serment aux Marchands de Sable qu’il avait pu se tailler un semblant d’existence. Une vie où il prenait ce qu’il voulait.

Le voyou s’empare des allumettes dans sa poche pour allumer la cigarette qu’elle lui tend tout en écoutant attentivement les mots qui lui franchissent les lèvres, son cœur se serrant dans sa poitrine avec insistance. Je refuse que la mort devienne la solution de facilité. L’affirmation est prononcée avec un calme désarmant, mais il n’en espérait pas moins de la part de Suni. Il croise le regard pâle de la divergente, laissant quelques secondes s’écouler avant de prendre la parole à son tour.

« Ça ne sera jamais une solution facile à mes yeux, lâche-t-il d’une voix calme sans quitter son visage des yeux. Si cette prêtresse n’était pas morte, Owen ne serait sans doute pas le seul d’entre nous à avoir rejoint l’autre monde. Elle le sait, et il le sait. Le lieutenant détourne ses prunelles argentées vers l’encre de la nuit qui enveloppe les bâtiments environnants. Je regrette d’avoir donné l’ordre aussi froidement. Je connais ta position sur le sujet. J’aurais dû demander à quelqu’un d’autre de le faire… J’aurais dû attendre d’avoir un plan plus sûr. »

Il serre les dents avec frustration et tire encore une fois sur la clope avant de soupire bruyamment. Le goût du tabac lui colle aux lèvres et se répand dans l’air autour d’eux. Il observe son amie aux cheveux de feu en se demandant ce qu’Owen aurait répondu face à cette affirmation. Son second aurait sans doute affirmé que ça ne vaut pas la peine de ressasser des regrets ainsi, que les événements sont passés et qu’il faut maintenant avancer. Sylas aurait normalement été du même avis. Sauf que le voyou n’avait jamais perdu une personne qui lui soit si chère durant une mission auparavant. Et avancer voudrait aussi dire oublier. Il n’est pas prêt à laisser son meilleur ami disparaître.

« Le comble de l’ironie dans tout ça, c’est que cette mission, c’était le dernier espoir que j’avais d’empêcher les autres de se tourner vers des moyens plus radicaux, crache-t-il avec colère. Si les autres lieutenants ne se sont toujours pas prononcés officiellement, il sait que l’impatience grogne dans l’ombre. Combien d’entre nous vont tomber si on se lance dans des hostilités ouvertes contre ces nobles qui nous regardent de haut ? »

Il n’attend pas vraiment de réponse de la part de Suni, mais formuler la question tout haut allège son âme…

octobre 837 avec @"Suni Sha’Hwang" ∙ code par alcara

_________________

mister sandman

I'm so alone. Don't have nobody to call my own. They turned on their magic beam. Mr Sandman brought me a dream...

Better terrible truths than kind lies.

@Sylas Frasier

Les gestes de Sylas sont précis lorsqu’il allume la cigarette qu’elle lui tend. La rouquine tire une première bouffée, la fumée lui brûle la gorge parce qu’elle n’est pas habituée à la consommation ; la sensation l’aide à oublier son cœur qui se serre. « Ce ne sera jamais une solution facile à mes yeux » La divergente l’observe de ses yeux verts, tirant une nouvelle bouffée de cigarette. Suni ne répond pas. Elle écoute la suite. Elle sait. Elle l’entend soupirer bruyamment. Son regard se porte vers le ciel sombre d’Elysium, quittant le visage douloureux de son lieutenant. Elle sait. Le chemin vers l’acceptation était difficile mais nécessaire ; ils devaient, tous deux, briser le mur qui s’était érigé depuis cette nuit à la Tour de la Coupe. Suni savait en intégrant les Marchands de Sable, qu’un jour viendrait où elle devrait combattre ses propres principes ; le sang et les larmes tâchaient déjà les sols des Cours d’Evanor. Croire à un changement sans aucune effusion de sang, sans violence, c’était une idéologie merveilleuse à laquelle elle se raccrochait, conscience que ce n’était qu’un mirage réconfortant. Ils pourraient seulement limiter les victimes. Si elle s’avouait la vérité, elle l’avait su dès sa fuite de l’armée de l’Aube. Ses yeux se portèrent à nouveau sur la silhouette de son ami. Tout s’était enchaîné rapidement, ce plan, ils avaient à peine eu le temps de le préparer. Suni serait toujours sincère avec Sylas. « Non. » Dit-elle doucement, comme un murmure. « Je pense qu’on ne peut pas savoir ce qu’il se serait passé si les événements avaient pris une autre tournure. » Impossible de savoir si Owen serait décédé. Impossible de savoir si les pertes auraient été plus nombreuses. Certainement. Ils avaient été pris en étaux, enfermés comme des rats dans une cage. Suni déglutit, premier signe de la soirée qu’elle laissait entrevoir, d’une anxiété qui avait ravagé ses pensées depuis cette nuit-là. La vérité, un cheminement de plusieurs heures, n’avaient encore pas franchi ses lèvres. Avec personne, pas même lors des nombreuses discussions qu’elle avait eu avec Aslan sur sa position concernant les assassinats. « Je l’aurais fait, Sylas. Même si tu ne m’en avais pas donné l’ordre. » La voix était rauque. Elle était la lame. Elle n’aurait laissé à aucun autre membre du groupe ce fardeau. « Vous étiez tous en danger. » Sa priorité, c’était de les protéger. Toujours. Elle tire une nouvelle bouffée de cigarette, les yeux rivés sur le visage du lieutenant. Parce qu’elle sait, que si la mémoire de l’initié avait été fouillée, ils auraient pu tous être retrouvés. Elle aurait suivi Sylas, peu importe la mission ; elle aurait préférée qu’ils discutent avant des risques. La vérité avouée soulageait son esprit, elle sentait le mur se fissurer. Elle voulait que Sylas arrête de se flageller pour eux tous. « J’aurais simplement préféré qu’on en discute avant. » La phrase n’était pas un reproche. Les mots de la divergente sonnait presque comme un pardon.

Elle aurait aimé pouvoir apaiser les maux qui le rongeait depuis cette nuit à la Tour de la Coupe. Sylas était un ami, il était une famille. Suni le regardait souffrir difficilement. Silencieuse, enfermée dans son mutisme, la divergente de donna pas de paroles réconfortantes parce qu’elle n’en voyait pas l’utilité. Le lieutenant n’avait pas besoin de faux semblants. La colère, s’échappait des mots qu’il prononçait. Suni est consciente de la position fragile et délicate des Marchands de Sable, avec des dirigeants aux idéaux différents. Si elle a suivi Sylas, ce n’est pas seulement par amitié et loyauté, c’est parce qu’elle était d’accord avec ses croyances. « L’espoir ne s’éteint jamais. » Murmure-t-elle, en contraste avec le ton colérique de son ami. Elle savait quelque chose, c’était grâce à l’espoir que Suni avait gardé sa rage de vivre et de réussir depuis qu’on lui avait effacé la mémoire. « Il faut l’entretenir, Sylas. » Malgré la douloureuse perte d’Owen et l’échec à récupérer la Coupe, ils avaient ébranlé le Crépuscule, ils avaient réussi à récupérer des anneaux. Ils avaient attisé un souffle de rébellion dans Evanor, un message envoyé à tous ceux qui étaient oppressés. « Je ne te dirai pas que plus personne ne mourra. La réalité, c’est qu’on perdra encore des êtres proches. » Dit Suni tirant sur une nouvelle bouffée de cigarette, un nœud se formant dans son estomac. Il le savait, autant qu’elle. « Est-ce que tu préfères qu’on tombe en suivant les autres lieutenants et leurs ambitions démesurées, violentes ? Ou est-ce que tu préfères qu’on tombe en suivant nos propres principes ? » Parce que dans tous les cas, la rébellion grondait, se préparait. Les murmures venaient aux oreilles de la lame. Ses mots étaient durs mais sincères. « La réalité, c’est qu’on a réussi à envoyer un message. » Qu’elle dit pour apaiser l’esprit de son lieutenant. « Le Crépuscule a été ébranlé. » Qu’elle ajoute, sur le même ton. « Si on s’arrête et qu’on attend les attaques violentes des autres lieutenants, alors on aura réellement perdu. Owen sera mort pour rien. » Cette phrase retentit, énervée et blessée qu'elle est de la perte de son ami. « Peut-être que la clé, Sylas, c’est de continuer à envoyer des messages ? » Des messages qui attiseront une rébellion, qui feront réfléchir les opprimés. Leur mission n’était pas un échec, c’était un début, bancal, mais un début quoi qu’il en soit. Les autres lieutenants attendaient encore, ils avaient encore du temps.

Better terrible truths than kind lies

La chaleur du lapis-lazuli contre sa peau lui souffle que sa sœur d’armes lui parle avec son cœur. Le voyou comprend encore difficilement le pouvoir de la pierre dont il s’est emparé suite à cette mission. Par moment, il se demande si elle mesure une vérité divine ou celle de la personne qui s’adresse à son porteur. Il en sait si peu sur l’ajah bleue, et ne peut simplement pas se permettre de poser des questions. La partie rationnelle de lui-même refuse de croire qu’un caillou pourrait constituer l’unique véritable connexion que ces prêtresses possèdent avec la Mère, qu’elles se laissent guider par les sentiment que l’objet insuffle en elles… Il peut sentir l’énergie qui émane du bijou. Son aura n’a rien de naturel. Pourtant, il ne la comprend pas encore. Les pouvoirs de certains de ces joyaux avaient été aisément identifiés, mais ceux de l’ajah bleue étaient mystérieux… Il avait dû se résoudre à l’idée qu’il devrait en comprendre le fonctionnement en l’utilisant, en le portant régulièrement.

La réalité, c’est qu’on a réussi à envoyer un message. Cette affirmation fait naître une chaleur étrange en lui. Les Marchands de Sable ont accompli bien des missions au fil des ans, mais jamais leur résultat n’a fait naître de tel sentiment en lui. Il y a bien le désarroi d’avoir perdu son meilleur ami dans la foulée, mais il y a aussi autre chose… Une impression d’avoir remué le sol sous les pieds des faes, peut-être ? Une once de fierté qui remontait en lui malgré la honte causée par les dommages collatéraux ? Après tout, ils étaient parvenus à passer un message assez bruyant pour amener la méfiance même du Suprême du Printemps, s’il en croit les nouvelles communiquées à travers les rues de la capitale.

Owen n’aurait pas vu cette mission comme un échec total. Il aurait dit que même si le résultat final n’était pas totalement celui qu’ils avaient anticipé, ils avaient accompli quelque chose. Et alors la certitude que l’issue de la mission ne relève que de lui s’incruste en Sylas. En quelques mots, Suni est parvenue à lui faire réaliser qu’il n’a pas encore tout perdu. Tout dépend de la façon dont il dépeint la chose lorsqu’il fera face aux lieutenants qui n’ont pas encore été mis au parfum. Bien sûr, Kora risque de lui mettre des bâtons dans les roues, mais tout n’est pas encore perdu.

« S’ils réalisent que j’ai l’impression d’avoir échoué, forcément, ils se retourneront contre moi, songe-t-il tout haut, en prenant une autre bouffée de la cigarette. Si je leur annonce que notre mission a ébranlé tout le Crépuscule et qu’elle a fait sortir Ambroise Valois de son palais… ils verront les choses d’un œil différent… » Son regard est plus clair désormais alors qu’il détourne les yeux pour les plonger dans ceux de sa vieille amie. Peut-être que finalement, il a plus de pouvoir en ce qui concerne le narratif de cette histoire qu’il ne s’en accorde réellement. Peut-être qu’il continue à plier l’échine devant les autres comme s’il était à leur service alors qu’il devrait relever le menton pour affirmer le pouvoir qui devrait être le sien en tant que lieutenant.

« J’ai passé presque un an à tenter de fignoler les détails de ce plan… Je suis allé jusque sur les terres de l’hiver pour chercher des alliés. Les souvenirs de sa rencontre avec Ellinor dans les montagnes enneigées lui remontent à l’esprit. Finalement, il n’aurait pas l’occasion de revoir l’illyrienne de sitôt… Jamais je n’aurais pensé que les choses pourraient tourner aussi mal. C’était arrogant de ma part. Et je dois t’avouer que l’idée de continuer à passer des messages me fait peur depuis notre retour… On ne peut pas se permettre de quitter Elysium pour le moment. Notre prochain coup, il faudra le planifier avec plus de soin. Si tu as des idées d’ailleurs… »

Un peu de malice pétille dans ses prunelles alors qu’il laisse son regard couler vers celui de la rouquine, curieux des complots qu’elle pourrait avoir en tête.

octobre 837 avec @"Suni Sha’Hwang" ∙ code par alcara

_________________

mister sandman

I'm so alone. Don't have nobody to call my own. They turned on their magic beam. Mr Sandman brought me a dream...

Better terrible truths than kind lies.

@Sylas Frasier

Le nœud dans sa poitrine se dénouait doucement, au même rythme que sa discussion avec Sylas devenait plus fluide. Suni prenait plaisir à retrouver cette complicité qui avait été malmenée suite aux aventures de cette triste soirée à la Tour de la Coupe. Sylas lui avait manqué. Même quelques jours. Depuis ces cinq dernières années, elle voyait l’hybride presque quotidiennement alors elle ressentait ses absences. La divergente tira une bouffé de cigarette en observant son ami. Son frère. Une famille qu’elle avait trouvé en arrivant à Elysium, grâce à lui, à sa main tendue. Aux yeux de ses anciens confrères de l’armée de l’Aube, Sylas et ses hommes seraient passés pour des voyous, des vauriens ; bons à jeter en prison. Elle-même, avait participé à l’arrestation d’hommes et de femmes de la trempe de son lieutenant des Marchands de Sable lorsqu’elle était soldate. La divergente pinça les lèvres à ce souvenir douloureux. C’était une autre vie qui la hantait encore. Cinquante autres années seraient nécessaires pour expier ses péchés. Suni ne remercierait jamais assez Sylas d’avoir fermé les yeux sur la personne qu’elle avait été et de s’être contenté de la personne qu’elle souhaitait devenir. Dans ces retrouvailles, elle se rappelait de la confiance, presque aveugle, qu’il lui portait. La divergente lui confierait sa vie ; elle tuait sous ses ordres et pour toute personne qui la connaissait, c’était déjà une preuve suffisante du respect qu’elle avait envers son lieutenant. Ses yeux se fermèrent quelques secondes, comme pour retenir ce sentiment apaisant de complicité, dans un fragment d’éternité.

Se retourner contre lui. Les yeux émeraudes de Suni se rouvrit pour le fixer d’une lueur sauvage. « S’ils se retournent contre toi, ils auront à peine le temps de sentir ma lame sur leurs gorges. » La voix glaciale de l’ombre du lieutenant se répercuta dans le silence de la nuit. Celle qui ne tuait qu’en dernier recours, le ferait sans une once de remords pour son frère d’armes. Elle se fichait que les victimes soient d’autres lieutenants des Marchands de Sable. Qu’ils viennent donc s’en prendre à ses proches, parce si son allégeance officielle allait à la guilde, c’est avant tout Sylas et ses idéaux que la lame de Suni avait accepté de servir. Un soupir s’échappa de ses lippes. « Assure-toi simplement que Kora accepte de suivre ton discours. Je me méfie des réactions qu’elle peut avoir face aux autres lieutenants… » Malgré l’amitié existante depuis tant d’années. Suni était méfiante de nature ; rares étaient ceux en qui elle plaçait une confiance aussi inébranlable que celle qu’elle avait avec Sylas, Aslan ou Velinka. Dans ses mots, aucunes menaces, simplement un instinct de protection avec lequel elle couvait son lieutenant, bien trop souvent. Malgré les incertitudes et l’inquiétude, un sourire s’afficha sur les lèvres de la divergente face au spectacle du pétillement qui s’alluma dans les pupilles de Sylas. C’était la première fois qu’elle voyait son visage se détendre depuis le décès d’Owen.

« Des idées… » Répéta-t-elle, songeuse. « J’en ai milles et toutes sont trop ambitieuses… » Un rire s’échappa de ses lippes. « Est-ce que je t’ai déjà dit pourquoi j’aimais tant la hauteur ? » Ses yeux se levèrent vers le toit du bâtiment et le ciel étoilé. Là, sur ce perchoir où elle passait des heures, se déplaçant plus souvent dans les hauteurs que sur le bitume des rues d’Elysium. « Pour la sensation de liberté. Quand on prend de la hauteur, il n’y pas plus de clivages, seulement l’horizon à perte de vue. Les lumières des habitations sont toutes identiques dans la noirceur de la nuit. Les silhouettes se ressemblent toutes au milieu des foules en journée. » La divergente tira une nouvelle bouffée de cigarette. « Peut-être que tu devrais prendre un peu de hauteur de temps en temps… C’est long, une année la tête en bas, c’est trop l’bourbier. » La touche d’humour se voulait tendre, pour apaiser cette atmosphère suffocante. Un demi-sourire s’afficha sur le visage de Suni. « Tu sais, on te fait tous confiance et on ne te reprochera jamais une erreur, Sylas. On a tous choisi d’être ici comme on choisira de continuer. Parce qu’on se bat autant pour nous-même que pour les autres. » Ils étaient tous dans la même merde, ils avaient tous soufferts de cette société. « Cette année que tu as passée à chercher des alliés, presque seul, avec Owen, à rencontrer quelques personnes… Tu n’es pas seul. On n’a pas besoin d’aller à l’autre bout d’Evanor. Elysium regorge d’alliés qui vont et qui viennent. On devrait commencer par-là, sécuriser les alliances existantes, en trouver d’autres dans des sphères différentes… L’avantage c’est qu’à Elysium tu chercheras les alliés sur ton terrain de jeux et que tu n’es pas seul. Je suis peut-être ta lame, mais des yeux et des oreilles tu en as partout, à commencer par Aslan et Vel’. » L’espoir naissait dans la voix de Suni. Parce qu’elle croyait en ce combat. « Nombreux sont ceux à se battre dans l’ombre. Nombreux sont ceux à poursuivre une cause similaire. » La lueur de malice dans les pupilles émeraudes de la divergente se reflète en miroir à celle de son lieutenant. L’échange est complice, presque amusé. « Et puis, toute Saison Sociale à ses événements à Elysium. » Tant qu’ils évitaient les bains de sang. Mais ça, Sylas connaissait son avis. Ce qui inquiétait Suni, c’étaient les décisions des autres lieutenants.