sweet symphony (ulysse, atalante)

sweet symphony

tw: Ø - mars 838

Ulysse parcourait les couloirs du palais de Cordof avec candeur, profitant d’un peu de repos entre deux obligations. Il adorait son travail et pouvait rester plongé dans les chiffres du domaine de nombreuses heures. Il appréciait aussi flâner, laisser ses pensées graviter autour de ses autres centres d’intérêt. Les étoiles, en plein jour, il ne pouvait guère trop y penser. Eros. Si parfois le Wintell venait s’inviter dans son esprit, c’était sa tante, qui le hantait aujourd’hui. Le de Péone avait du mal à obtenir des informations. Les domestiques de Calypso semblait vouer une forte loyauté à leur maîtresse et le jeune Fae allait finir par se résigner : s’il voulait réellement espionner Calypso, il allait devoir faire autrement. Il soupira, perdu dans ses pensé, incapable de trouver une solution. Il manquait d’alliés, sur ce point et cacher à son frère et sa sœur ses intentions ne devaient pas aider. Comme si cela allait l’aider à trouver une solution à son problème, Ulysse usa de son carnet qu’il trainait partout pour se taper le haut du crâne. Il allait finir par trouver, c’était obligé. Et s’il devait chercher longtemps, il le ferait. Il était tenace, le deuxième chaton de Péone. Il finirait par trouver. Il lui manquait simplement le bon allié.

Il soupira de nouveau et continua sa marche, profitant des rayons du soleil qui éclairaient la galerie. Les journées sans soleil à Cordof étaient rares, et Ulysse, bien qu’il aimât particulièrement rester chez lui, ne les aimait pas trop. Le palais n’était pas le même, sans la lumière de l’astre diurne. Secouant son carnet d’un mouvement automatique – presque un toc – le presque cinquantenaire laissa le sujet de sa tante de côté pour se rappeler les enjeux de sa prochaine réunion. Le domaine n’était pas le plus grand de la cour du printemps, mais il vivait avec autant de vivacité que Cairlond. A trois, les choses étaient toutefois plus simples, lorsque tout le monde s’acquittait de ses tâches, évidemment.

Perdus dans les multiples nœuds de ses pensées, Ulysse ne vit presqu’au dernier moment son frère, accompagné de son loyal toutou. Ulysse fronça légèrement les sourcils, s’interrogeant silencieusement sur la présence de son aîné ici, au milieu d’un couloir. Un couloir, aux dernières nouvelles, ce n’était pas un endroit pratique pour une réunion. Le regard clair du noble quitta le visage de son frère pour se poser sur un immense tableau. Il reconnaissait là la pâte de Rosalie. Le tableau était beau, bien exécuté et représentait de manière très fidèle le beauceron qui partageait leur vie. C’était une belle pièce, à n’en pas douter. Pourtant, pourtant Ulysse soupira. « Son tableau ? » répéta le trésorier, son regard passant du chien à son frère. « C’est moi qui vais mal le prendre, oui. » lâcha-t-il. Une nouvelle lubie de son frère, une autre. « C’est un beau tableau » concéda néanmoins Ulysse. Il s’était posé à côté de son frère, dont la fierté débordait dans son regard. « Cela dit, tu aurais pu le mettre dans tes appartements et laisser cette galerie pour la famille. » souffla-t-il, n’accordant qu’un regard désintéressé aux tableaux à côté. Hormis le visage de sa défunte mère, il ne s’y intéressait que très peu. « Tu as décroché qui, pour mettre Ernest ? Pas quelqu’un qui pourrait nous maudire sur plusieurs générations, hein ? » Une lueur amusée éclaira soudainement le fond de ses prunelles. « J’accepte la place d’Ernest au mur, si tu me dis que tu as décroché l’un des portraits de Calypso. » annonça-t-il finalement, le regard brillant. Ils avaient tous leur portrait solitaire accroché quelques parts dans le palais. Un hommage qui gonflait un peu trop les égos de certains. « Mais franchement, t’abuse. » termina-t-il, glissant un regardé lumineux mais ennuyé à son aîné. Quand allait-il s'arrêter ?

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Ulysse regardait son frère avec un regard ennuyé, écoutait ces justifications d’une oreille peu convaincue. Le trésorier avait déjà tout entendu de la bouche de son aîné. L’oubli d’une réunion, la fatigue, la promesse d’une promenade aux côtés de son fidèle chien. Pour Achille, tout semblait être une excuse pour éviter de faire ce qui comptait véritablement : son rôle de seigneur. Achille semblait oublier bien trop rapidement les enjeux qui étaient liés au bon fonctionnement du domaine. Ils y avaient des enjeux économiques, humains et politiques. Ulysse ne comprenait pas comment son frère ne pouvait voir tout cela, comment il pouvait rester derrière sa candeur sans jamais prendre la décision d’avancer. Ils avaient pourtant chacun grandis avec leur destinée en ligne de mire. Achille, le titre de seigneur. Ulysse, celui du trésorier et Atalante la gestion de la boiserie. Leur père leur avait, à tous les trois, donné les bases nécessaires à leurs missions futures. Tous n’étaient cependant pas à la hauteur des attentes. C’était pesant, parfois. Ennuyant d’autres fois. Mais souvent frustrant. Ulysse pensait et croyait avec forte conviction, que si son frère s’éparpillait un peu moins, les de Péones et leur domaine monteraient en puissance et en légitimité. Mais Achille, comparé à lui, n’avait pas les mêmes ambitions.

Alors Ulysse se contenta d’un soupire bruyant et marmonna quelques mots dans sa barbe. « Enlever Tante Calypso n’aurait pas changé grand-chose à ce qu’elle pense de nous. » grommela-t-il, avant de grimacer. Il n’aimait pas sa tante, ce n’était un secret pour personne et encore moins pour son entourage proche. Ce qu’Achille et Atalante ne savaient pas, cependant, c’est ce qu’il avait en tête pour comprendre cette haine viscérale qu’il avait pour Calypso. Un jour, peut-être, il leur dirait tout. Peut-être. A la suite des mots de son aîné, Ulysse se gratta le haut de son crâne. Il réfléchissait silencieusement à la proposition de Rosalie. « Peut-être qu’un nouveau portrait n’aurait pas été une mauvaise chose. Je sais que tu n’aimes pas ça, et ce n’est pas moi qui vais te contredire, c’est chiant. » réagit-il, le regard brillant. « Cela dit, ça ne ferait pas mal de rafraîchir l’image que l’on peut renvoyer à tout Evanor. Un portrait de trois gamins de quinze ans, ça ne fait pas très sérieux. » Il fixa son regard sur celui d’Achille et souffla de nouveau. « Pour être honnête, on devrait même tous les trois y passer. » admit-il, à contrecœur. Ce n’était pas tant qu’on le voit, qui dérangeait Ulysse, c’était plutôt le temps qu’il perdrait s’il devait poser des heures pour son portrait. « Mais on en reparlera une autre fois, » trancha-t-il. Parce qu’ils avaient plus urgent à régler. Et Achille trouva bien rapidement de quoi il s’agissait.

Ravi que son frère se souvienne un minimum des problématiques liés à son domaine et des solutions qu’on lui offrait, il sourit. Enfin, se rappeler était un bien grand mot, lorsqu’on connaissait Achille. Son cadet avait pensé, un temps, lui assigner un page qui lui rappellerait tous ces rendez-vous et l’empêcherait de divaguer et ainsi échapper à ses obligations, mais il s’était ravisé. Achille devait avoir le déclic, prendre sa place avec détermination et entrain. Il en était loin, mais Ulysse espérait encore et toujours. « L’alliance du Jour, évidemment...» répéta Ulysse, avec une pointe d’ironie dans le fond de sa voix. La réunion promettait d’être longue, voire complexe. Une alliance avec le suprême d’une cour qui n’était pas la leur pouvait être à double tranchant. Ulysse lui-même, n’était pas nécessairement tranquille à cette nouvelle proposition. Cependant, Ehsan Ghafa avait envoyé un émissaire jusqu’à leur domaine et il était hors de question qu’ils négligent cette opportunité, aussi effrayante pouvait-elle être. Ulysse suivit son aîné d’un pas égal au sien et secoua son cahier de note à un rythme régulier. « Ton entrevue avec la représentante du Suprême Ghafa ne s’est pas mal déroulée, non ? Alors il n’y a pas de quoi s’inquiéter. » dit-il, tentant par ces mots de rassurer son aîné. Ulysse choisi de ne pas partager ses propres incertitudes. Contrairement à Achille, il ne laissait pas ces dernières régir sa vie entière. Enfin, pas tout le temps.

Le deuxième chaton de la portée de Péone entra à la suite de son aîné dans cette salle qu’ils avaient mis à leur goût à tous les trois. Une salle de réunion qui n’en avait pas l’air, avec des plantes un peu partout et une vue magnifique sur les jardins. Une ambiance calme et agréable. Ulysse s’installa, et sans même laisser une seconde de réflexion à son frère, le questionna. « Alors, tu en pense quoi ? Soutenir et s’allier au suprême du jour ? » S’allier à la cour du Jour pourrait assurer aux de Péone de puissants alliés, mais pourrait également conduire à d’autres problématiques plus tardivement. Est-ce qu’ils étaient en mesure de tout prévoir ? Non, c’était impossible. Concernant le sujet même de l’alliance que les diurnes proposaient aux de Péone, Ulysse n’était pas spécialement inquiet. Il trouvait même les envies et idées du nouveau suprême progressistes et nécessaires, à défaut de le connaître directement. La cour du jour ne pourrait, à son avis, pas rester cloitrée derrière ces traditions encore très longtemps. Le monde changeait, Evanor évoluait, et ses habitants devaient évoluer avec le continent.

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Mars 838 - @Achille de Péone & @Ulysse de Péone

Elle était en retard. C’était rare. Atalante était partie faire une balade à cheval et elle était tombée dans la boue en descendant de son cheval. Une erreur de débutant, elle avait simplement glissé et elle avait remercié la Mère mille fois déjà que ni Achille ni Ulysse n’aient été présents pour observer la scène. Elle imaginait parfaitement les rires sur leurs visages. La printanière s’était empressée de regagner ses appartements pour se nettoyer et se changer, enfilant une robe aux tissus clairs et poudrés. Elle tressa rapidement ses longs cheveux blonds, ajoutant quelques parures çà et là, avant de prendre le chemin vers la salle de réunion où ses deux aînés devraient déjà se trouver. Le pas pressant, elle failli manquer le nouveau portrait accroché dans le couloir. Si l’image n’avait pas été aussi saugrenue au milieu de tous les ancêtres de leur famille, elle y serait retournée après la réunion pour ne pas se mettre plus en retard qu’elle ne l’était déjà. Sauf que c’était Ernest qui se trouvait entre deux portraits des De Péone. Le chien d’Achille. Il avait fait peindre son chien et il l’avait ajouté sur le mur familial. Atalante s’en décrocha la mâchoire, elle observa le tableau avec attention reconnaissant immédiatement la main experte de sa meilleure amie, Rosalie. La printanière roula des yeux et ria légèrement face aux frivolités de son aîné. Elle le reconnaissait bien là. Le sourire aux lèvres, Atalante reprit son chemin puis poussa l’énorme porte de la salle de réunion pour se retrouver face aux nombreuses plantes qui occupaient l’espace et à ses frères, qui se trouvaient autour de l’imposante table ronde. Discrète, contrairement à son habitude, elle écoute les dernières paroles d’Achille et d’Ulysse, qui mentionne la visite de l’émissaire de la Cour du Jour.  

Achille hésite et Atalante hausse un sourcil. La printanière pousse un soupir. « Achille ! Tu aurais au moins pu nous proposer de faire peindre Mouta et Perle en même temps qu’Ernest. » Le ton était faussement boudeur, dans l’espoir de détendre l’anxiété qui perçait dans les mots de son frère. Atalante adressa un clin d’œil amical à ses frères puis s’avança pour s’asseoir. « Rosalie a fait du bon travail. » La voix est plus douce. Elle sait que les sujets qu’ils doivent aborder sont sérieux et délicats. L’alliance avec la Cour du Jour est une bonne idée. Le Suprême Ghafa semblait déjà ouvert aux changements avant même sa décision de créer une milice officielle d’illyrien dans l’armée du Jour. Evanor était en pleine ébullition depuis la fin du Fléau, même si un autre mal semblait se former sur ses terres avec des révoltes et des attaques. Ils avaient tout intérêt à renforcer leur position avec des alliés. Soit, ils embrassaient le changement. Soit, ils se conformaient aux traditions. « La Cour du Printemps et la Cour du Jour sont alliées depuis longtemps. Nous avons une codépendance ; le Jour contribue à notre architecture, à nos dorures… et nous fournissons en échange une grande partie de leur nourriture. En quelque sorte, le Jour permet au Printemps de conserver une certaine réputation par la beauté architecturale, ce qui contribue grandement à la politique extérieure de notre Cour et le Printemps permet au Jour de nourrir une partie de sa population. » Atalante réfléchit quelques secondes. « Il n’y a donc rien d’innovant à donner son support à la Cour du Jour. Si ce n’est la cause… la création d’une milice illyrienne. Cette fois, c’est directement à la politique d’Ehsan Ghafa que nous donnons notre support. » Atalante avait peur des répercussions mais elle ne dit rien. Dans toute sa fougue, elle savait qu’il fallait embrasser le changement. « Nos deux Suprêmes semblent se retrouver sur certains points politiques… Ce qui semble en notre faveur… Achille, c’est justement à cause de tous ces changements que nous devons trouver des alliés extérieurs. L’État de Siège n’empêche pas les exports et les imports de marchandises pour une raison, on ne peut pas subvenir seuls à nos besoins. On a besoin d’alliés extérieurs. » C’était indispensable. Les autres familles du Printemps ne suffiraient pas à survivre.

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Ulysse avait hoché la tête, bref mouvement du menton. Bien sûr, si son aîné se devait de poser pour un nouveau portrait, le trésorier ne manquerait pas de l’accompagner. Et le jeune fae était également convaincu que leur sœur se joindrait à eux. Tout paraissait toujours plus simple, lorsqu’ils étaient tous les trois. La paperasse se faisait plus aisée à remplir et les problèmes se résolvaient plus vite. A trois têtes, la gestion d’un domaine Cordof se faisait plus simplement. Par ailleurs, les trois têtes blondes à la tête du domaine se connaissaient assez pour que même le plus faible échange de regard soit un argument de poids. La relation privilégiée qu’avait Ulysse avec Atalante et Achille était un cadeau de la mère, du destin. Sans eux, le trésorier ne serait pas ce qu’il ferait, ce qu’il serait. Sans son aîné, sans sa cadette, Ulysse ne serait pas vraiment Ulysse. Il ne serait que l’ombre du fae qu’il était actuellement, meurtris par la solitude. Il n’y avait qu’à voir leur frère aîné, Ajax. Le Grand-Fae était seul, âcre et de mauvaise compagnie. Evidemment, il y avait de quoi l’être, lui qui n’avait jamais été prédit pour régner sur le domaine, mais pourquoi n’en profitait-il pas ? Pourquoi ne s’arrangeait-il pas de cette délicieuse liberté qu’il possédait pour une belle vie ? Rien ne lui était demandé. Rien ne le rattachait à Cordof – si ce n’était le mépris pour ses cadets et le désir de pouvoir. Ulysse poussa un profond soupir, perdu dans ses esprits – encore. Il n’y avait qu’à voir avec le peu d’entrain que possédait Achille qu’il aurait, lui, préféré – et de loin ! – la liberté que possédait leur aîné à tous les trois. Mais Achille, l’aîné du trio, tout comme Ulysse et Atalante, n’avait jamais été libre de ses choix. Lui, il régnait, eux, ils l’aidaient. Le destin de cette jeune trinité avait été tout tracé dès leur naissance, et était devenu leur réalité à la mort du patriarche. Une prise de fonction quelque peu précipité et précoce. Néanmoins, si Ulysse ne pouvait que rêver d’un monde ou la liberté était leur, il restait tout de même attaché à sa position, à celle de sa fratrie proche, et à son destin.

Ils entrèrent dans leur salle de réunion et Ulysse prit naturellement place dans un fauteuil rembourré aux motifs fleuris. Cette salle était la leur, petite, mais colorée, à l’imagine des trois âmes qui l’habitaient la plupart du temps. Son calepin devant lui, le trésorier questionna son frère sur la situation actuelle. Se lier politiquement avec le suprême du Jour, sur une question d’inclusivité et de changement sociale, paraissait être d’une logique sans pareille pour le second chaton. Par ailleurs, les relations entre Cordof et la cour du Jour n’étaient plus à remettre en doute. L’une avait besoin de l’autre, et c’était un équilibre pertinent et indispensable à conserver. Qui pouvait bien dire ce qu’il se passerait si jamais les de Péone décidait de refuser d’apporter leur soutien au Suprême Ghafa ? Le diurne semblait être un fae raisonnable, mais Ulysse se méfiait de chaque âme de ce monde. Quelle graine, la mère avait-il bien planté dans l’esprit des membres de la cour du Jour ?

Une moue peu convaincue décora quelques secondes le visage du blond. Evidemment qu’Achille redoutait la rencontre avec le Suprême diurne. La mère l’avait fait ainsi, craignant chaque interaction, bien plus à l’aise près de son chien et sur le dos de son cheval. Il connaissait assez l’aîné de la Trinité pour avoir une idée assez précise de ce qui pouvait bien se passer dans sa caboche. Il n’en fit rien, cependant, nullement intéressé par une séance de psychologie. Si Achille faisait semblant de ne pas craindre cette rencontre, peut-être qu’il finirait par se croire lui-même, et c’était tout ce que lui souhaitait son frère. Un frère qui écouta avec attention les questions de son aîné, se redressant de quelques centimètres dans sa chaise. Il doutait, Achille. Ulysse pouvait le comprendre, mais il ne pouvait pas l’accepter, pas sur ce sujet. Il était nécessaire qu’ils soient tous les trois unanimes sur la question, et si Atalante était présentement en retard, Ulysse pouvait prendre le temps de rappeler à son aîné tous les tenants et les aboutissements d’une bonne relation avec le Ghafa. Retenant un petit soupire, contrit de voir que son frère se cachait encore derrière l’habitude, Ulysse s’apprêtait à lui exposer son point de vue, avec calme et pédagogie. Il n’eut guère le temps de dire quoique ce soit que la troisième pièce du trio les retrouva, maugréant sur l’absence des deux chats de la famille sur le tableau. Cette fois, Ulysse ne put retenir un vrai soupir. Lui-même n’avait pas l’intention de faire immortaliser la créature aux poils roux qui était venue s’inviter dans son univers. Oh, le trésorier appréciait la présence du matou, mais n’y vouait pas le même amour que son frère et sa sœur pouvaient vouer à leurs propres compagnons à quatre pattes. De plus, ce n’était pas le sujet. « Tu es en retard, » se contenta-t-il de maugréer, son stylo à plume tournant doucement entre ses doigts. Il ne rajouta rien, écoutant plutôt avidement les paroles de sa cadette. Malgré la fougue et l’énergie dont elle faisait souvent preuve, Ulysse avait toujours trouvé une grande part de sagesse dans son parlé, dans ses idées. A la fin de son argumentaire, le second de la trinité aurait pu se contenter d’un « Voilà », satisfait de chaque mot prononcé par sa sœur.

Il se redressa, avança son buste droit près de la table et déposa ses mains paume sur celle-ci. « J’ajouterais qu’il s’agit là de soutenir un allié de la cour du Printemps sur un sujet qui correspond plus que bien à nos idéaux. », dit-il. Après tout, le suprême du Jour désirait offrir aux Illyriens de sa cours de plus amples opportunités. Le diurne s’ouvrait à la modernité et aux changements. Ulysse en était convaincu, le soutiens de Cordof ne demandait pas une montagne d’effort. Il pensait d’ailleurs qu’ils avaient plus à gagné que le Suprême lui-même. « Je serais bien plus inquiet à l’idée de ce qu’il pourrait se passer si on refusait la proposition du Suprême. » conclut-il, laissant en suspens dans l’air entre eux les conséquences possibles de leur refus. Au cour de son passage à la capitale du Printemps, à la cours de l’ancien Suprême Gédéon Beauchamp - Page inutile que l’on ne remarquait à peine - Ulysse avait pu voir se dérouler sous ses yeux les conséquences de désaccord politique, et ne souhaitait pas qu’Achille, ni le domaine, ne se retrouve empêtrés dans quelque chose de similaire. Son regard s’adoucit et se posa sur le visage de son aîné. « Tu sais, la cour du Jour est réputée comme étant une merveille architecturale et regroupe une connaissance du monde considérable, si cela peut aider, je serais ravi de t’y accompagner. » proposa-t-il finalement, autant pour assouvir sa propre soif de connaissance et étendre un réseau qu’il considérait essentiel, que pour soutenir son frère.

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Atalante ignore la remarque d’Ulysse sur son retard. Elle tourne délibérément la tête, faisant comme si ni ses dires, ni son soupir, n’avaient jamais existé. La De Péone se lance plutôt dans le cœur de la discussion. Cette alliance avec Ehsan est une évidence politique, particulièrement dans le contexte actuel et en prenant en compte les relations, dans un premier temps entre leurs Cours et dans un deuxième temps, entre les deux Suprêmes. Comme le soulève si bien Ulysse quelques minutes suivant son discours, quelles seraient les conséquences s’ils refusaient ? Un frisson s’étend le long de la colonne vertébrale de la danseuse. Il était évident, également, que cette décision ne plairait pas à ceux opposés au règne de la famille Ghafa. Aussi, elle se promit de mentionner deux mots à Rizvan dès qu’elle le croiserait dans les couloirs de la Table Ronde, afin d’être certaine que les relations ne deviendront pas tendues face à une décision, qui de toute évidence, n’est pas réellement un choix. Ils doivent apporter leur soutien à Ehsan Ghafa. La De Péone pince les lèvres dans le silence qui s’installe entre les triplés. L’aîné capitule, admet qu’il ira rendre visite au Suprême Ghafa et qu’il le fera seul. Ce sont ses responsabilités et Atalante ne le contredira pas sur ce point. « Parfait. Je ne me joindrai pas à vous pour ce voyage, je dois passer plusieurs jours à Elysium pour des réunions avec les membres de la Table Ronde. J’informerai Rizvan Akhtar de cette décision, je préfère qu’il l’apprenne de moi directement que de la part d’autres commérages. » Les rumeurs allaient bon train et elles étaient vite déformées. La relation compliquée entre les familles Ghafa et Akhtar n’étaient un secret pour personne et Rizvan Akhtar étant lui-même un ami de longue date des De Péone, Atalante préférait avoir cette conversation avant que le bruit ne s’ébruite trop. Ses yeux se posèrent sur le chien d’Achille qui se repose près des rayons de soleil avant de revenir sur son l’aîné de la trinité et son regard se radoucit, à l’image de celui d’Ulysse.

Atalante se lève de sa chaise pour s’approcher d’Achille, qui se trouve toujours près des pivoines. Elle a remarqué la pivoine qu’il a fait faner quelques instants plus tôt, son cœur s’était serré de le voir si triste mais elle n’en avait rien laissé paraître, parce qu’ils étaient en réunion et qu’ils avaient des responsabilités. Mais Atalante ne pouvait pas rester longtemps insensible aux sentiments de ses frères. La danseuse glissa sa main dans celle qu’avait laissé tomber son aîné. « Je suis certaine que tout se passera à merveille Achille. Sa suprématie Ghafa te recevra bien et tu pourras profiter de ce séjour pour admirer les trésors de la Cour du Jour. » Le ton était rassurant et le sourire d’Atalante éclatant lorsqu’elle observait le visage délicat de son frère. « J’ai confiance en toi. Je sais que tu feras tout ce qu’il faut. Nous le savons tous les deux. » Qu’elle ajoute, se permettant de parler pour Ulysse et serrant sa main légèrement plus fort. Atalante ne sait pas encore maitriser la floraison mais si elle le pouvait, elle ramènerait cette pivoine à la vie pour redonner le sourire à Achille.

Doucement elle s’éloigne, faisant quelques pas dans la pièce en réfléchissant. Son regard se posa sur ses deux frères. « Nous devrions organiser une réception pour la prochaine Saison Sociale. » C’était le moment de se faire voir, de montrer qu’ils menaient leurs rôles avec brio. Les De Péone avaient été fragilisés après le décès de Célestin. Les relations étaient tendues au sein de la famille et ils étaient jeunes par rapport aux autres Seigneurs. Ils devaient montrer un front uni et richesse. S’intégrer dans la société ne relever plus du plaisir mais de la nécessité. « Peut-être pourrions-nous l’organiser à la demeure qui se trouve au Bois du Printemps à Elysium ? Cela facilitera la venue de tous, surtout avec les nouvelles restrictions pour voyager à la Cour du Printemps. » Il fallait qu’ils décident de quel événement ils organiseraient. Un bal ? Une soirée jeu ? Une garden party ? Un récital ? Les possibilités étaient nombreuses et variées. Qu’est-ce qui ramènerait le plus de monde et ferait briller la famille se questionna Atalante en patientant le temps de recevoir la réponse de ses frères.

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Ulysse, tout en rappelant à l’un comme à l’autre que le refus de nouer une telle alliance pourrait leur faire défaut, remarqua sans peine la fleur qui fana entre les doigts de son aîné. Il connaissait Achille dans les moindres détails, pouvait parfois prédire ses réactions. Dans ces moments, le trésorier ne pouvait que ressentir l’anxiété et l’inquiétude poindre dans le cœur de son aîné. L’idée d’être face à face avec un Suprême, quel qu’il soit, était une situation stressante pour Achille, mais l’idée de conclure quelques choses dans le temps l’était davantage. Ulysse comprenait, mais il ne pouvait rien y faire. Les règles n’avaient fait de ses propres mains, et comme tout un chacun il devait les suivre. Ils étaient les triplets tant attendus. Leur mère était morte pour eux, pour leur donner la vie. Leur père s’était battu pour leur vie toute la sienne, avait conservé leur héritage jusqu’à son trépas, les préparant du mieux qu’il pouvait.  Lorsqu’il voyait son frère aîné aussi troublé, Ulysse souhaitait parfois que ce poids sur leurs épaules – bien que divisés en trois – ait été transmis à Ajax. Il souhaitait, parfois, qu’Achille puisse vivre sa vie de bohème et d’artiste, que les responsabilités ne soient plus les siennes. D’eux trois, c’était bien le premier qui avait le plus de difficultés. Ulysse aurait – s’il avait pu – tout changé pour Achille, pour lui soulager l’existence. Mais Ulysse, tout comme les autres membres de triplettes, n’avait pas ce pouvoir. Comme Achille, comme Atalante, il faisait ce qu’on lui demandait, ce pour quoi il était né. Peut-être, un jour trouvera-t-il le courage de faire changer les choses, mais s’il ferait tout pour Achille, le ferait-il pour lui ? Rien n’était moins sûr. Il aimait sa place, ces privilèges. Parfois, il aimait plus encore le mépris dans les yeux d’Ajax ou de Calypso de les avoirs destitués d’une place qu’ils pensaient tous les deux leurs. C’était autre chose, et pour l’heure, Ulysse n’avait pas plus de marche de manœuvre que son frère ou sa sœur.

« Excellent » souffla-t-il, alors, en même temps que sa sœur. Achille acceptait, et Ulysse en était soulagé. Pour le trésorier, c’était la meilleure décision à prendre. Le soutient de la famille de Péone, contre la protection du Suprême Diurne. Ulysse ne voyait pas très bien dans quel cas cette protection pouvait être utilisée, mais nul doute qu’avoir un accord avec un Suprême, quel qu’il soit, leur donnerait du poids à tous les trois. Du poids, du pouvoir et l’influence. Tout cela, ce n’était pas négligeable.  « Je pourrais t’accompagner, rester là-bas quelques jours. Avec grand plaisir. » assura-t-il, le ton doux, apaisé. S’il pouvait aider son frère, il ne disait jamais non. Et même s’il avait d’autres responsabilités et obligations, il ne ferait jamais passer son frère après. « Tu crois que Rizvan Akhtar pourrait prendre la mouche ? » questionna-t-il ensuite, fixant ses prunelles claires sur le visage de sa sœur. Cette dernière s’était approché d’Achille, prenant ses mains dans les siennes. Aux mots rassurant de sa cadette, Ulysse, redressé sur sa chaise, tourné dans la direction d’Achille et Atalante. « Et puis, vous pourrez parler d’art, cela devrait aider. » souligna-t-il. Achille était un passionné, et Ehsan un artiste renommé, nul doute qu’entre une entrevue officielle teintée d’échanges professionnelles, les deux fae auraient l’occasion de parler d’autre chose. Ulysse n’avait pas grand mal à imaginer cela, c’était une manière d’en apprendre plus sur son interlocuteur, de pouvoir le cerner, pour mieux y gagner. Et puis surtout, cela permettrait à Achille de se détendre un peu. Un peu, ce n’est pas beaucoup, mais c’était déjà ça de prit. Si Ulysse ne rechignait pas à l’idée d’être à la place d’Achille, il ne l’envierait pas pour autant. Achille avait la lourde responsabilité de représenter les de Péone, de partager ce dont ils discutaient tous les trois. «La rencontre est prévue pour quand ? » questionna-t-il finalement, curieux. Il s’était engagé, avant même de le savoir.

Le sujet évolua, se fixant sur la Saison Sociale à venir. L’idée de revoir tous les membres des diverses familles seigneuriales d’Evanor plaisait beaucoup à Ulysse. Il y aurait des rencontres, des échanges. Peut-être un peu de drama et de rumeurs, comme à chaque saison sociale. Pour lui, c’était la saison des opportunités et il n’en manquait jamais une. Même après Beltane, même avec tout ce qui était en train de se passer, il n’y manquerait rien. « Excellente idée, et puis de cette manière personne n’ira piétiner les rosiers de Cordoff. » souligna-t-il, se rappelant une ancienne histoire que n’avait cessé de leur raconter leur très cher père.  Cela faisait maintenant deux ans que la trinité actuelle était aux rênes de la plus grande boiserie du printemps, il était temps de la faire briller. « Il faudrait quelque chose de grandiose, de merveilleux. Nous avons tous besoin de nous amuser, et nous détendre. Qu’est-ce qui te ferais plaisir, Achille ? » questionna-t-il, d’un air enjoué. Parce qu’ils étaient encore des grands gamins, les de Péone, et aimaient cela. Et, Atalante pensait juste, il était temps de montrer de quoi ils étaient capables. « Et puis les travaux des fontaines de la maison du Bois à Elysium sont terminés, il me semble ? On pourrait s’en servir, offrir un écrin de merveilleux à nos invités. » Le regard bien plus léger, le cœur aussi, Ulysse observa tour à tour son frère et sa sœur, tout en réfléchissant à ce qu’il leur était possible de faire. Une lueur dans le regard, et il s’exclama : « Bien sûr, il nous faudra des pivoines, partout, en décoration. Cela me semble indispensable, pour bien marquer le coup. » Il imaginait déjà le décor fleuris, les lumières chaudes des torches. Fixant son regard chatoyant sur sa sœur, il demanda finalement : « Tes collègues de la table ronde n’auraient pas mis au point de nouveaux feu d’artifices ? ». Peut-être qu’en plus de l’eau des fontaines, des fleurs, des différents buffets, du concert de violon et de piano, ils pourraient ajouter quelque chose pour faire écarquiller des yeux. Ulysse voulait que cette fête soit mémorable, incroyable. C’était la première qu’ils organiseraient tous les trois une fête de cette ampleur. C’était important, pour lui, mais surtout pour eux, pour le domaine, que tout soit parfait. Les yeux seraient portés sur eux, à cette soirée, sur les deux dernières années. Le moindre faux pas n’était pas envisageable.