La lecture est un stratagème qui dispense de réfléchir

La lecture est un stratagème qui dispense de réfléchir

Il est tard, Luciana ne trouve pas le sommeil, l’esprit perpétuellement agité. Elle tourne et virevolte entre les draps de coton de la demeure Arvandor, mais la Mère lui refuse le repos, ou quelconque autre divinité qui puisse exister. L’idée s’est frayé un chemin depuis des semaines, et si la Mère n’était pas l’unique ? Si c’était exactement ce que voulait leur faire croire la cour du crépuscule ? Luciana a parcouru des centaines de bibliothèques d’Evanor dans lesquelles elle a pu trouver quelques lectures sur les cultes, ils se font rares toutefois et avares en informations concrètes. Comme si quelqu’un, ou les prêtresses du crépuscule, cherche à abroger d’autres religions. Si bien que Luciana manque d’informations sur un sujet qui l’intéresse.

Abandonnant l’idée de s’endormir, la jeune fae se redresse et allume les bougies de sa chambre. Peut-être qu’une lecture lui ferait grand bien, récupérant le livre terminé sur sa table de chevet elle s’empare d’une chandelle et quitte l’intimité de sa chambre. A pas feutré elle parcourt les couloirs sombres d’Arvandor, au milieu de la nuit il n’y a pas âme qui vive. Le silence et l’obscurité sont presque inquiétants, frissonnante, elle se retient d’allumer toutes les chandelles qui la mènent jusqu’à la bibliothèque. Elle n’a aucune inquiétude à se faire, ses craintes n’ayant aucune logique, Arvandor est une cité en sécurité.

Silencieuse, soucieuse de ne pas faire de bruit pour ne réveiller personne, elle ouvre la porte de la bibliothèque et est surprise d’y trouver quelques chandelles allumées. A cette heure de la nuit, tout le monde est censé dormir, peut-être est-ce un oubli. Elle rentre, pieds nus et laisse la lourde porte entrouverte. Avant d’entamer sa quête d’une nouvelle romance à lire, elle s’approche des étagères sur lesquelles elle a trouvé sa dernière lecture. Ici, les bougies sont plus nombreuses, Luciana trouve un livre entrouvert sur une des tables et s’en approche.

Curieuse, elle commence à zieuter les quelques lignes et enluminures qui en accompagnent les écrits. Son cœur bat plus vite, des mains fébriles elle commence à faire défiler les pages, sur chaque page une illustration de divins, les Premiers nés du monde créé par la Mère, seize divinité y sont présentés. Luciana revient sur la page laissée ouverte jusqu’à son arrivée. Luz, déesse du courage, guide des guerrières et en face, Baldo, dieu de la guerre et des forges. Fascinée, troublée, elle commence la lecture de ces pages.

Jusqu'à ce qu’un bruit derrière elle la fasse se retourner le cœur furibond, tellement plongée dans l’univers des Premier qu’elle n’a rien entendu, ni vu venir jusqu’à elle. “Maman ?” S’exclame-t-elle avec confusion lorsqu’elle reconnaît les traits de Siena. “J’ai eu tellement peur, je… euh… Tu vas bien ?” A la lueur des flammes, sa mère semble pâle, presque fantomatique, comme si c’était elle qui venait de subir une brève frayeur.

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Siena foule de ses pas les couloirs de la maison des bois. La bâtisse est silencieuse, lugubre, plongée ainsi dans l'obscurité. La dame des lieux ne s'éclaire que d'une chandelle, qu'elle tient dans sa dextre. Sa senestre tient une tasse de thé encore fumante d'où émane des effluves de camomille, une herbe bonne pour le sommeil. Cette nuit est sombre, à l'image des cauchemars et de l'insomnie de Siena. L'anxiété est de retour; elle s'imaginait s'en être débarrassée avec son arrivée dans ce nouveau lieu, signifiant un nouveau départ. Elle pensait que retrouver Cesare dans son quotidien serait chose aisée, mais la discussion qu'ils ont échangé peu après son arrivée a changé la donne. Désormais, Siena sait. Et cela suffit à gorger ses nuits de cauchemars ou de paralysie du sommeil. Des raisons qui lui font croire que le sommeil n'est pas son allié, mais que les insomnies le seront à nouveau.

C'est à pas calfeutrés qu'elle rentre dans la bibliothèque. En voulant retrouver sa place sur son fauteuil, elle découvre qu'elle n'est pas aussi seule qu'espérée. Encore pire; l'âme fouineuse a les yeux rivés sur le livre que Siena a délibérément laissé ouvert sur le guéridon. Un ouvrage qu'elle a ramené de Silivren, en promettant à Salazar que personne n'en verrait jamais la couleur... Promesse brisée, les poils de sa nuque se hérissent.
La silhouette se retourne et Siena découvre Luciana, tout autant surprise de trouver sa mère ici au beau milieu de la nuit. « Chérie ? Que fais-tu ici ? » Elle ne savait même pas que sa fille était à Arvandor. Elle comptait sûrement venir lui rendre visite le lendemain... Après avoir été voir son père. Siena dépose la bougie sur une table près d'elle, essayant de garder l'attention de Luciana auprès d'elle, et non sur le livre qu'elle était en train de lire... Mais le petit doigt de Siena lui fait dire qu'il est déjà trop tard. Lu en a déjà trop vu.

« Je ne voulais pas t'effrayer. Je pensais que j'étais seule. Excuse-moi. » Ses doigts libres caressent tendrement le bras de son héritière. Même s'il ne s'agit pas vraiment du meilleur moment pour se retrouver, elle est heureuse de la voir auprès d'elle pour cette longue soirée... Qui durera sûrement jusqu'aux premières heures de l'aube, celles où elle croisera Cesare dans les couloirs, lui se levant, elle se couchant. « Je n'arrivais pas à trouver le sommeil. Et toi non plus visiblement. » Elle boit une gorgée de tisane. Elle sent l'eau chaude passer dans son organisme et la détendre. Même si se trouver auprès de sa fille joue déjà un rôle conséquent. « Je... Ca va. » Ce n'est pas à elle d'annoncer à leurs enfants que le coeur de leur père chavire pour une autre. « Et toi ? »

@luciana monteserre

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La lecture est un stratagème qui dispense de réfléchir

@Siena Monteserre

Il semblerait que mère et fille soient destinées à se croiser au cœur de la nuit assez régulièrement. Deux âmes que le sommeil semble dédaigner ces derniers temps. La première réaction de sa mère est de lui demander ce qu’elle fait là, Luciana penche la tête sur le côté, cherchant le sens de cette interrogation, lui demande-t-elle ce qu’elle fait à Arvandor ? Ou ce qu’elle fait dans cette bibliothèque ? Non, les domestiques ont simplement dû oublier de lui raconter sa présence à Arvandor. “Je suis arrivée dans la soirée, je pensais que papa t’aurait prévenu que je passais quelques jours ici ?” A vrai dire, elle erre quelques jours par ci, quelques jours par là. Luciana rencontre bien des difficultés à trouver sa place.

“Enfin… Je l’ai prévenu tardivement, j’étais déjà en route, il n’a pas dû avoir le temps ou tu devais être très occupé.” Se sent-elle obligée d’ajouter, pour ne pas ajouter de l’huile sur le feu entre ses parents. Voilà des mois que Siena s’est rapproché de Cesare, la première fois depuis des années que les deux vivent sous le même toit aussi longtemps. Luciana espère de tout coeur que leur relation s’apaise, même si elle n’a plus la naïveté de croire qu’ils revivront comme à leur premier amour, il y a eu bien trop de souffrance entre eux. Qu’ils s’entendent, qu’ils se pardonnent et se redécouvrent, c’est déjà pas mal. “J’avais l’intention de venir te trouver au petit déjeuner.”

Siena s’excuse de lui avoir fait peur, elle n’a pas de quoi étant donné qu’elle ignorait sa présence au sein d’Arvandor. Luciana hausse les épaules, ce n’est pas important, plus de peur que de mal et finit par sourire à sa mère, tendrement et s’empare de sa main dans la sienne. “Ca m’arrive de temps à autre, quand ça cogite trop là dedans.” répond-elle en tapotant un doigt sur sa tête brune, elle dédramatise la situation d’un sourire doux. Et ça cogite depuis l’été, mais elle se garde bien d’en parler. A quoi bon retourner le couteau dans la plaie, sa mère n’a fait que subir les volontés de Cesare dans la décision d’orchestrer la mort de leur fils.

“Et j’avais terminé mon livre, alors je venais en chercher un autre quand je suis tombée sur ça.” La surprise passée de tomber sur sa mère, elle détourne son attention sur ce qui l’accaparait et se penche sur le livre innocemment posé sur la table. “Je pensais avoir lu tout ce qui se trouve ici, mais je ne suis jamais tombé sur cet ouvrage. Je m’en serais souvenue c’est certain.” poursuit-elle en retournant le livre pour en lire le titre. La curiosité est dévorante, pour une fois qu’elle trouve un ouvrage sur le sujet elle ressent le besoin irrépressible d’en parcourir chaque page. Obnubilée par cette découverte, la présence de sa mère passe en second plan. “Malgré tous mes voyages, les références aux religions, autre que le Crépuscule, sont extrêmement rares. Comme si… Comme si elles ne voulaient pas qu’on les trouve.” Termine-t-elle dans un murmure. Elles, les prêtresses.

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Visiblement, Cesare avait omis d'informer Siena sur l'arrivée de leur fille à Arvandor pour quelques jours. Elle ne s'en formalise pas, voit plutôt cela comme une jolie surprise. Siena n'arrive pas à se défaire de la douceur de son visage, de la légèreté de son sourire. Ses enfants ont toujours été pour elle une manière de se ressourcer, de trouver au travers d'eux l'énergie qui lui manquait pour avancer. Juan, Luciana, qui lui sont fortement dévoués, mais Izan également. « Ne t'en fais pas. Je sais bien que tu ne comptais pas m'éviter. » Geste dans sa direction, caresse tendre. Elle ne peut pas s'en empêcher. Dès qu'il s'agit de sa famille, Siena se transforme en véritable louve. Pleine d'amour pour les siens, montrant les crocs au moindre danger. Mais ses protégés sont grands désormais... Ils savent prendre soin d'eux-même. La mère doit apprendre à se détacher de ses instincts pour les laisser vivre leurs vies. Elle est trop inquiète des tribulations de Luciana, n'ayant aucune idée jusqu'où cela pourra la mener. Mais sa cause, son combat, sont justes. Et elle ne veut pas lui mettre des bâtons dans les roues. Elle la laisse voguer vers les horizons qui l'appellent, pourvu qu'elle pense encore à venir saluer sa vieille mère.

Parce qu'elle sait bien, Siena, à quel point les longues réflexions nocturnes les éloignent des bras de Morphée. Moue consternée à l'idée de savoir sa fille tourmentée, mais les raisons en sont nombreuses. A commencer par les révélations à propos d'Aitor, la rencontre avec sa tante divergente... Beaucoup d'émotions à gérer. « Je sais bien ce que tu veux dire. Nous sommes des professionnels de la cogitation dans la famille. » Tant du côté de son père que de sa mère, Luciana a bien hérité de gênes qui sont propres à ses parents, c'est certain. Siena aurait pourtant préféré, pour le bien-être de ses enfants, qu'ils soient moins soucieux, afin de vivre plus légèrement. Comme ce n'est pas le cas, excepté pour Izan, elle ne peut que leur apprendre à vivre avec leurs tourments.

Puis la conversation diverge sur le secret mal gardé de Siena. Cette dernière fois les pupilles de sa fille dériver vers le livre grand ouvert sur la petite table. Le document a éveillé tout son intérêt. Pour autant, la Dame garde son calme. Luciana est loin d'être bête, elle ne tombera pas dans n'importe quel panneau. Elle est curieuse et intelligente, elle serait rapidement capable de faire des liens dans sa tête. Sa mère qui se détache des Ajah, lit des documents à propos des Premiers Faes... Il y a trop de suspicions faciles. Et Siena a trop menti à Luciana. Elle ne veut plus de cela. « Tu n'as pas lu toute la bibliothèque de ton oncle, en revanche. » Une bibliothèque secrète, qu'elle n'avait jamais vu, puisque Siena n'en connaissait même pas son existence alors qu'elle avait grandi à Silivren. Ce sont de bien grands secrets que Salazar a gardé si longtemps pour lui, dans l'espoir d'un jour ou l'autre ramener dans la bonne voie sa chère soeur.
Siena s'approche de la table basse, prend le livre entre ses mains, y glisse son marque-page pour le refermer. Ce livre retrace l'histoire des Premiers Faes de l'Automne, Baldo et Luz. Des êtres antiques qui vivent à travers Salazar et Siena. Des faes vénérés. « Tu n'as pas tord. » Ses doigts caressent la couverture en cuir du livre ancien. « A vrai dire Luciana, je pensais connaître beaucoup de choses après tant d'années de vie... Mais il arrive que l'on vient à découvrir des pans de vérités qui nous ont longtemps été cachés. Pour notre bien... Ou pour le bien des secrets que la réalité recèle. » Elle voue une confiance aveugle en sa fille. Siena sait qu'elle ne prendra jamais les informations qu'elle lui fournit à mauvais escient. « J'ai longtemps prié la Mère aveuglément. J'ai souvent pensé qu'elle finirait par me venir en aide, je pensais qu'elle m'envoyait des signes... Pourtant elle n'a fait que me tromper, toujours. Me décevoir, encore. » Elle ressent encore l'espoir de retrouver Aitor, comme elle le lisait dans les flammes. Mais rien ne s'est passé comme prévu... Rien du tout. « Mais je crois qu'il existe toute une partie du monde qui nous est encore inconnue et que j'ai désormais la chance de pouvoir explorer. Ni toi ni moi n'en avions connaissance... C'est Salazar qui m'en a ouvert les portes. » D'un coup de menton, elle désigne le livre. Siena prend la tasse de camomille entre ses mains et en boit le thé bouillant. Insensible à la chaleur, la boisson n'est que douceur et réconfort. « Que penses-tu du Crépuscule ? Penses-tu que tu pourrais trouver des réponses dans d'autres croyances ? »

@luciana monteserre

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