Hideaway • Azalée

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@ambroise valois — janvier 838

Les mots se brouillent devant ses yeux, les lettres qui se confondent et l'obligent à relire la missive qu'elle tient entre les mains deux, trois fois à la suite, sans qu'elle n'arrive à en saisir le sens pour autant. Azalée est fatiguée, peut sentir son mal de tête pulser douloureusement entre ses tempes, un mal de tête qui lui semble horriblement constant depuis Septembre et depuis l'intrusion dont la Tour a été victime, depuis le meurtre de sang-froid d'une sœur, depuis qu'Evanor donne l'impression d'être parti complètement à vau-l'eau.

Azalée est fatiguée. Profondément fatiguée, l'épuisement qui s'infiltre au plus profond de son être et qui la pousse à abandonner cette missive sans importance sur son bureau pour se laisser aller contre le dossier de son fauteuil, une main qui vient masser furieusement à l'arête de son nez, les yeux fermés et la tête basculée en arrière. Elle est revenue de sa visite en Hiver et des bras d'Ozkar dans une bonne humeur relative, aurait aimé que cette bonne humeur dure un peu plus longtemps, mais c'est largement trop tard maintenant.

Elle aurait dû y rester. L'envie y était, furieuse, impérieuse, mais son bon sens l'a poussée à rentrer au bercail, dans son temple au pommier, et peut-être que la Valois aurait dû tout envoyer valser et suivre ses impulsions pour une fois. Elle n'arrive même pas à se réjouir de son anniversaire qui arrive et qui marque pourtant un nouveau tournant — soixante-dix ans. Une nouvelle décennie, ça se fête en grande pompe, encadrée de Dahlia et Hyacinth, entourée de sa famille. Ca devrait, en tout cas, mais Azalée ne peut que penser à cette lettre écrite de la main de la Prêtresse Mère en personne et qui annonce une réunion à la Tour du Chaudron. Obligatoire.

L'idée de se retrouver enfermée dans une pièce avec ses consœurs ne fait que renforcer sa migraine. Elle soupire, passe une main lasse sur son visage, le regard qui se braque sur la porte de son bureau, contre laquelle trois coups viennent de retentir. « J'ai demandé à ne pas être dérangée, à moins que ce soit d'une importance vitale, » qu'elle grogne alors que la porte s'ouvre, mais le frère brun qui rentre dans la pièce ne se laisse pas démonter. « Mes excuses, madame, mais votre frère est dans le Jardin. »

Ah. Peut-être que c'est une bonne raison, finalement.

Azalée ne s'embarrasse pas de ses atours habituels, cette fois. C'est pieds nus qu'elle descend, les cheveux lâchés sur les épaules, vêtue d'une robe passablement simple quand on prend en compte la mode printanière, c'est pieds nus qu'elle s'arrête dans la pelouse humide de rosée qui lui chatouille les orteils, quelques pas derrière la silhouette qui se tient, imposante, face au Pommier à sa charge.

Elle s'attendait plus volontiers à voir Hyacinth. Mais c'est Ambroise qui se tient devant elle, le dos droit et fier, sorti de son bastion de Rosehall sans prévenir personne. Une visite loin d'être anodine, qui lui tire un sourire sans beaucoup de joie — la dernière fois qu'elle l'a vu ici, après tout, c'était au lendemain de ce Beltane foireux, alors qu'elle était alitée, à se remettre de ses propres blessures. La présence d'Ambroise au temple du Pommier a tendance à être synonyme de désastre, ces derniers temps.

« Mon frère. » La salutation manque d'entrain. Oh, Azalée adore sa famille, leur voue une loyauté sans faille qu'elle aurait plutôt dû offrir au Crépuscule, mais aujourd'hui elle est fatiguée, et migraineuse, et elle aimerait bien pouvoir s'effondrer dans une paire de bras pour pleurer un moment, comme elle faisait quand elle était toute gamine — pas plus haute qu'une jeune pousse d'arbre, à l'époque où leur père était encore en vie, où elle était encore la benjamine des Valois et pas encore une Haute Prêtresse. « Le Suprême en personne daigne sortir de son bastion pour visiter sa petite sœur. Tu m'en vois surprise. »

L'acidité de son ton n'empêche pas Azalée de se rapprocher, jusqu'à être postée à côté de lui. Pas un regard n'est échangé, les yeux qui se braquent plus volontiers sur la majesté de l'arbre ancestral qui les surplombe dans cette pièce enchanteresse ; une des pommes qui pendent de ses branches frémit, se détache pour tomber dans l'herbe et rouler jusqu'aux pieds de la Valois, qui se penche pour la ramasser et examiner le fruit. Il y a une révérence évidente dans ses gestes alors qu'elle la tourne pour l'observer sous toutes ses coutures. La tend finalement en direction d'Ambroise — offrande de paix, aussi maigre soit-elle. « Je suppose que ta présence ici n'est pas une visite de courtoisie. Qu'est-ce qui t'amène ? »

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@ambroise valois — janvier 838

En temps habituel, elle aurait été ravie de le voir ici. L'aurait sans doute déjà entraîné dans ses quartiers personnels, bras dessus bras dessous, à lui raconter tout ce qui peut lui passer par la tête et tout ce que ses petites oreilles traînardes ont pu entendre, jusqu'à se retrouver autour d'une théière fumante et d'une sélection de pâtisseries soigneusement choisies. Mais Azalée est fatiguée, en proie à un dilemme qui lui donne parfois l'impression de la déchirer en deux de l'intérieur, alors peut-être qu'elle est un peu trop acerbe en le saluant, en pointant du doigt la tendance d'Ambroise à rester enfermé dans son palais de Rosehall et à n'en sortir que quand il y a un problème qui requiert son attention immédiate.

Ou qu'il a besoin de quelque chose. La prêtresse n'est pas certaine de savoir quelle option est la plus probable en cet instant.

Sa langue claque contre son palais à la remarque, pointue, qui sort des lèvres de son frère. « La prêtresse que je suis devrait te rappeler que ce temple est le bastion de la Mère avant tout, et que ton titre de Suprême, aussi important soit-il, n'a aucun poids entre ces murs. » C'est une mise en garde — qu'il n'essaie pas de dire ça à qui que ce soit d'autre. Les paroles sont prononcées sur un ton qui s'est radouci, toutefois. Azalée est trop fatiguée, et trop mélancolique, pour vouloir un affrontement aujourd'hui, encore moins un affrontement qui la mettrait en face de son aîné. En dépit des années entre eux, de la distance imposée par ce temps qu'elle a passé au sein du Crépuscule avant de revenir au bercail, elle l'aime, ce frère, férocement. N'hésiterait pas à sauter à la gorge de quiconque ne ferait que l'insulter. « Mais je suis avant tout ta petite soeur, et la créature mesquine que je suis devenue adorerait t'entendre dire ça à la Prêtresse Mère elle-même. Juste pour voir le choc sur son visage, évidemment. »

Un sourire, ensuite, alors que cette pomme sacrée est tendue dans sa direction en guise d'offrande de paix. « Et je te reproche surtout de ne venir que trop rarement. Rosehall est juste à côté, et sortir de ton bureau ne peut pas te faire de mal, hm ? Tu es pâle. » Comme si elle pouvait parler. Preuve en est — au moins la première chose qu'il fait est de s'enquérir de sa santé. Une question lourde de sous-entendus, qui arrache un soupir à Azalée, son sourire qui disparaît finalement pour laisser place à une mine bien plus sombre. Bien plus triste, aussi. « Les choses sont... compliquées. J'ai une migraine qui ne me lâche pas depuis trois jours. » C'est peut-être l'euphémisme du siècle.

Ses pensées s'égarent, voguent un instant en direction de l'Hiver, où elle a laissé Ozkar. Par la Mère, ce qu'elle aimerait s'échapper pour aller retrouver ses bras et oublier tout ce qui est en train de se passer, oublier la façon dont son petit monde lui donne l'impression de s'écrouler doucement mais sûrement.

Toute perdue à sa rêverie, elle ne remarque pas Ambroise qui s'éloigne, réagit très en retard. Elle doit hâter le pas pour le rattraper, jusqu'à se glisser à ses côtés, et finalement céder à son côté tactile pour glisser une main au creux de son coude. L'on pourrait croire qu'ils se contentent de marcher tranquillement, balade dominicale des plus banales si on omet l'endroit où il se trouve, mais Ambroise finit par attaquer avec deux affirmations qui tirent une moue vaguement vexée à Azalée, qui finit par soupirer une nouvelle fois. « Les nouvelles vont vite, à ce que je vois. » Ni confirmation, ni déni, simple remarque un peu amère qui la pousse à pincer les lèvres un moment. « Entre Beltane et l'effraction de la Tour de la Coupe, le Crépuscule est un peu trop attaqué ces derniers temps. Une sœur verte a été tuée, et tout ce qu'on sait, c'est qu'une des intruse est une divergente et qu'un autre a les pouvoirs de notre Cour. » Pour avoir fait un trou pareil dans le mur de la Tour, il n'y a pas d'autre explication.

Dans tous les cas, la situation toute entière est un casse-tête que personne ne semble prêt à résoudre, et qui ne fait qu'amplifier son mal de crâne. Sa main libre vient masser à une tempe lentement, en petits cercles réguliers, mais elle s'est définitivement renfrognée, comme le prouve le pli désagréable au coin de sa bouche. « Je ne suis pas vraiment ravie à l'idée de passer toute une journée enfermée avec mes consœurs, surtout quand je ne supporte pas la moitié d'entre elles. Et sans doute que les ambitions des moins traditionnalistes d'entre nous vont être passées au crible, ce qui ne m'enchante pas plus. Et puis... » Et puis il y a Ozkar, et mon envie de tout plaquer.

Mais Azalée s'interrompt. Referme la bouche avec un cliquetis presque audible de sa mâchoire, hésite un instant, l'incertitude claire sur son visage, avant qu'elle ne disparaisse finalement pour laisser place à son masque habituel parfaitement plaisant et vaguement amusé, comme si elle assistait à une bonne blague et qu'elle était la seule détentrice de la chute. « Laisse tomber. Assez parlé de moi. Tu ne m'as pas répondu. »

Encore faudrait-il qu'il veuille lui répondre. Rien n'est moins sûr.

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@ambroise valois — janvier 838

Il lui donnerait presque une leçon de religion quand c'est elle la prêtresse, elle qui baigne dedans depuis presque soixante ans, elle qui devrait être assez pieuse pour le disputer, gentiment mais fermement. Mais aussi étrange que ça puisse paraître quand on la regarde, quand on considère sa position et ses responsabilités au sein du culte crépusculaire — Azalée n'a jamais été pieuse, n'a toujours voué qu'un vague respect aux accents d'obligations à la Mère quand le reste du Crépuscule l'ennuie au mieux, lui donne des envies de meurtres au pire. Alors elle se contente d'un sourire amusé aux paroles d'Ambroise, qui tire au coin de ses lèvres et creuse des fossettes qu'elle ne montre que trop rarement en ce moment. « Je n'aurais pas dit non à l'idée d'officier dans une prairie de fleurs sauvages, les pieds dans l'herbe mouillée par la rosée et le vent dans les cheveux. Mais j'aime bien mes appartements, aussi. » Elle est devenue créature de confort, Azalée. Ce serait presque assez pour oublier qu'elle a été l'une des espionnes les plus efficaces du Crépuscule.

Les reproches fusent, gentillets mais piquants malgré tout. La langue de la blonde claque contre son palais à la pique lancée quant à ses activités personnelles et son habitude de disparaître sans prévenir pour ne réapparaître que plusieurs jours plus tard, comme elle a pu faire récemment. Peut-être qu'elle devrait parler d'Ozkar. Elle est loin d'avoir honte de lui, au contraire, amoureuse transie qu'elle est. Mais elle ne veut pas les questions qui vont forcément fuser, ni les reproches de ne pas avoir parlé de lui avant. Leur relation est encore délicate, trop précieuse pour être passée au crible.

Son pouce passe nerveusement contre la bague de bois qui orne son annulaire gauche, la fait tourner autour de son doigt, les lèvres pincées.

« Blâme mes années au sein de l'ajah bleue, » qu'elle soupire finalement, le nez qui se lève vers la canopée du pommier sacré. « Ca me manque, parfois, de parcourir Evanor sans savoir où je serai affectée la prochaine fois. Je ne regrette pas d'avoir accepté le titre de Haute Prêtresse ni d'être revenue à la maison, mais... » Mais elle a passé des décennies à courir les routes d'Evanor, et les habitudes ont la vie dure parfois. Sa main se lève, vient masser douloureusement à l'arête de son nez pour tenter d'atténuer la douleur de sa migraine. « Parfois j'aimerais bien revenir en arrière. Tout était plus simple quand on était enfants... » Si seulement c'était possible. Mais elle ne s'éternise pas sur ses états d'âme, préfère simplement lui adresser une horrible grimace quand il évoque la possibilité d'aller voir une sœur mauve pour cette migraine qui ne la lâche pas. Ben voyons.

Mais la conversation vogue, table sur les dernières nouvelles de la Prêtresse Mère — des nouvelles qu'il n'aurait pas dû avoir si vite et si complètement, un état de fait qui la contrarie, juste un peu. Pas très longtemps, du moins, pas avec l'aveu qu'il fait de son côté, et qui lui arrache un sourire amusé. « Espèce de petit cachottier. » Pas la moindre trace de surprise dans la voix d'Azalée, toutefois, ni même de déception qu'il ne lui en ait pas parlé plus tôt. Les espions sont essentiels pour tout Suprême qui se respecte... elle aurait juste bien aimé être mise au courant avant. Ce n'est pas comme si elle n'avait aucun conseil à donner à ce sujet, pas après trente ans passés comme Œil de l'ajah bleue.

Mais elle suppose qu'elle a aussi ses propres secrets. Elle ne peut pas trop le blâmer.

Le regard en coin qu'elle lui renvoie quand vient le sujet de l'attaque qui a ciblé la Tour de la Coupe est pointu, toutefois. Les sourcils de la prêtresse se sont froncés, sa moue s'est faite franchement têtue, et le soupir qu'elle pousse mêle fatigue et agacement tout à la fois. « Mh. Mais nous n'avons aucune idée de combien ils étaient, ni de ce qu'ils voulaient vraiment. Aucun doute qu'ils cherchaient à voler la Coupe, mais dans quel but ? Surtout quand cette relique représente l'avenir de notre peuple tout entier. » Pas de Coupe, pas d'enfants. Seuls les illyriens et les hybrides auraient été capables de se reproduire si la tentative de vol avait porté ses fruits... vu l'attentat de Beltane l'année passée, ses pensées se tournent évidemment vers un groupuscule ailé de la même trempe, mais la présence de cette divergente la pousse à songer qu'elle s'égare.

La réunion requise par la Prêtresse Mère a des accents d'apocalypse.

« Contacter mon ordre est une bonne idée, sur le papier. Mais honnêtement, ne t'attends pas à grand-chose. » L'amertume est évidente dans la voix d'Azalée, sur les traits de son visage qui se sont froissés dans une expression désagréable. « Celles-là, pour les faire bouger... Les rochers en bord de mer s'érodent plus rapidement que la volonté de certaines de mes consœurs. » Ceci étant dit... la présence d'Ambroise ne peut pas être due qu'à ça uniquement. C'est bien pour ça qu'elle le questionne finalement, les yeux plissés, un sourcil qui se hausse finalement. « Ambroise. La dernière fois que tu as mis les pieds ici, en dehors des fêtes religieuses, c'est au lendemain de ce Beltane de merde. » Quand elle était confinée à son lit, le flanc massacré, encore douloureuse et vaguement fiévreuse, et surtout terriblement inquiète pour Lysandre et Rosalie. « Les visites de courtoisie ne sont pas vraiment ton truc. Evite de me prendre pour une idiote, veux-tu ? »