(Hestia) Les fleurs du mal

Les fleurs du mal

début janvier 838 — @Adrielle Ethelil  

tw : démence/meurtre/incendie/poison —outfit   

Il doit disparaître. Brûle. Brûle. Brûle. Le temps passe. Il va revenir. Tout va rentrer dans l’ordre. BRÛLE. Il doit mourir, c’est la seule solution. BRÛLE. Le temps presse.  Dépêche toi. Qu’il crève. C’est la seule solution. Hestia ! Brûle ! Reprends les rênes. Reprends toi, Hestia. Tout t’échappe. Prends le contrôle.
B R Û L E.


La jeune Kozlov s’éveilla en sursaut, les voix se faisaient de plus en plus fortes. De plus en plus agressives. De plus en plus présentes. Elles la pressaient d’agir, elles la poussaient vers ce gouffre, ce précipice devant lequel Hestia se tenait. Elle devait agir. Les draps avaient volés, l’oreiller s’était écrasé contre la porte de « sa » chambre,  la couverture s’étalait le long du lit, à deux doigts d’être déchirée. Ses cauchemars n’avaient pas cessés, à croire qu’ils ne la quitteraient jamais. C’était la seule solution. Pourquoi attendait-elle ? Les poings serrés, couverte de sueur, la fae prit appuis sur ses jambes pour s’extirper du reste de draps. Voilà quelques semaines déjà qu’elle avait quitté la demeure Kozlov pour venir s’installer chez Dana, sa tendre amie. Ce déménagement aurait dû lui faire du bien, la soulager. Mais il n’en était rien. Le fait de ne plus croiser son aîné n’aidait pas. Elle se sentait basculer de plus en plus vite, elle se sentait perdre pied. Elle était épuisée.

Les voix hurlaient dans sa tête le jour et les cauchemars s’acharnaient à la brutaliser la nuit. Elle voulait seulement du repos. Un instant de répit, un moment serein. Un tout petit bout de ce rien, de cette tranquillité. Mais non. Malgré tout ses efforts, rien n’y faisait. Ses démons la rattrapaient toujours et changer d’endroit n’avait pas eut l’effet escompté. La lune était à son zénith en cette froide nuit de janvier. La Kozlov s’était levée, elle hantait la demeure des Volyn comme à son habitude, les voix n’avaient toujours pas cessé de jacasser. Brûle. Détruit. Agis.  La culpabilité grandissait au fond d’elle, la honte aussi. Celle de n’avoir rien fait pour changer les choses, celle d’être restée passive devant cette vie qui lui glissait entre les mains. Celle d’avoir laisser Lazar lui échapper, de l’avoir laisser partir. Elle devait agir.

Sans plus de réflexion, elle reprit la direction de la chambre qu’elle occupait, fouillant ses affaires avant d’en tirer une malle fermée par clé. Celle-ci contenait son masque d’argile, représentation d’un animal entre le loup et le renard, orné de pierres précieuses aux délicates nuances de vert et de dorures, ce masque la représentait en tant qu’Emeraude de la guilde, elle en était toujours vêtue lorsqu’elle devait apparaître pour les affaires de l’Ars Longa. Si ses souvenirs étaient bons, une livraison devait avoir lieu cette nuit, ou peut-être était-ce une passation, elle n’en était plus sûre. Le transport des œuvres n’était pas son domaine : elle, elle négociait celles-ci. Cela lui importait peu, elle savait quasi assurément que la flotte d’Adrielle Ethelil serait présente cette nuit, elle devait absolument lui parler.

Hestia quitta la demeure et s’enfonça dans l’ombre d’une rue adjacente avant d’enfiler son masque et sa bague, elle se composait de plusieurs parties articulées, recouvrant l’intégralité de son index gauche et était ornée d’émeraudes. L’extrémité du bijou dépassait de peu son ongle et formait une griffe aussi impressionnante que dangereuse et tranchante. Ses vêtements étaient fait pour être confortables et élégants, elle représentait la guilde et ne pouvait apparaître en guenilles devant de potentiels clients. Une chemise noire au col brodé d’étoiles couvrait ses épaules et laissait apparaître le doux renflement de sa poitrine dans un décolleté vertigineux. Un pantalon de cuir noir rehaussé d’une paire de bottes de même matière complétait cet accoutrement. Très simple, mais très pratique et élégant, mettant en avant ses atouts sans en dévoiler trop. Une lourde cape de laine de cette même teinte sombre surplombait le tout, la capuche couvrait sa longue chevelure et le haut de son masque, celui-ci laissant  seulement apparaître la bouche de la jeune fae.

Hestia se maudissait de ne pas savoir se tamiser, elle devait vraiment remédier à ce problème dans les meilleurs délais. Les déplacements à pieds étaient lents et peu discrets : c’était un secret qu’elle gardait bien précieusement. Comme elle s’y attendait, la flotte d’Adrielle était bien présente devant les locaux, elle apostropha la seconde, ou bien la capitaine, elle n’en savait trop rien. Seulement, ce n’était clairement pas cette femme là qu’elle voulait voir. Après des négociations houleuses, elle parvint à convaincre Shoren de faire appeler Adrielle. En pleine nuit. Juste par caprice de l’Emeraude. Hestia ne pouvait s’adresser à personne d’autre pour ce genre de projet. Elle ne faisait pas particulièrement confiance à l’hybride, mais la savait compétente et discrète. Elle savait également qu’un peu d’argent pouvait acheter le silence de presque n’importe qui.

Certes, elle voulait brûler la demeure Kozlov et tout ce qui se trouvait en son sein : principalement son paternel, et même si l’idée d’ôter la vie de ce pauvre homme ne lui faisait ni chaud ni froid, elle se refusait à lui donner une morte aussi brutale et douloureuse que celle de périr dans les flammes. Elle devait faire ça proprement. Hestia voulait qu’il meurt mais ne lui voulait pas de mal pour autant. Les voix s’étaient apaisées, cette fois-ci, elles lui laissaient l’espace de réfléchir. La Kozlov se sentait particulièrement lucide ce soir, lucide et brillante et gentille. Elle allait mettre en péril beaucoup de chose pour promettre à son père une mort douce, tendre et chaleureuse. Elle en était assez fière.

L’arrivée d’Adrielle interrompit ses sombres pensées, l’hybride congédia Shoren et vint s’affaler sur le fauteuil en face d’elle. Elle esquissa un léger sourire à la réflexion de la curiosité piquée. Bien. Elle avait fait le bon choix en décidant de s’adresser à Adrielle pour cette demande. «   Je me doutais que cela ne vous laisserait pas indifférente, entama-t-elle en se redressant,  ne perdons donc pas plus de temps, j’ai besoin que vous me rendiez un service. »

L’Émeraude fit quelques pas, laissant le temps à l’hybride de s’interroger sur le genre de service qu’elle pourrait lui demander. La discrétion d’Adrielle était nécessaire dans cette affaire, Hestia risquait gros. Très gros. Et bien que consciente des risques, autant pour elle que pour la guilde, pour sa place au sein de la société et même pour sa vie, elle avait décidé de ne pas faire marche arrière. Elle ramena un plateau chargé de deux verres et d’une bouteille d’une liqueur de renom aux couleurs ambrées avant de se rasseoir. «   Servez-vous, si vous en voulez. » Sa main se remit machinalement à frapper la table, le silence qui régnait au sein de l’entrepôt était des plus apaisant. Elle hésita un instant quant à la formulation à employer pour ce genre de service, un refus de la part d’Adrielle n’était pas possible, la menacer pour la contraindre non plus. «   Donc, reprit-elle,  ce service. Il ne concerne pas la guilde, je vous prierai de ne pas en parler à d’autres membres, ni même à vos équipages. » Elle glissa une main sous son bureau pour en sortir une bourse pleine de pièces qu’elle vint poser devant son invitée. «   Je vous paierai grassement, évidement. Aussi bien pour ce service que pour votre discrétion. »

Elle ouvrit la bourse pour laisser à Adrielle le temps d’en analyser le contenu, une petite fortune se présentait devant elle. «   Cette somme maintenant et la même à réception de la marchandise.  » Sa main glissa de nouveau sous le bureau pour en tirer cette fois une autre bourse, aussi remplie que la première.«   Toujours intriguée ?  »

Les fleurs du mal

début janvier 838 — @Adrielle Ethelil  

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Hestia acquiesçait, satisfaite de la répartie de la corsaire. Ses doigts se baladaient toujours avec nonchalance sur le bureau, faisant cliqueter sa bague contre le bois. Elle n’est pas nerveuse. Elle aurait dû l’être. Son esprit est parasité par ses pensées sombres et démentielles. Allait-elle regretter ce choix ?  Aurait-elle les épaules pour porter le poids du meurtre de son père ? Quelles en seraient les conséquences réelles ? Ces questions ne vinrent jamais, pas même une fois. Obnubilée par la nécessité de cet acte infâme, elle n’y avait jamais réfléchi. Y réfléchir risquait de lui faire perdre du temps. Et du temps, elle sentait qu’elle n’en avait plus vraiment. Le gouffre, le précipice devant lequel son esprit se tenait depuis des mois, des années même, se rapprochait dangereusement. Elle n’était qu’à un pas du grand saut : peu importe ce qu’il voulait dire et elle ne voulait pas sauter.  Alors elle devait agir. C’était la seule solution. La seule et unique solution qui mettrait fin à ce calvaire qu’elle subissait. Son esprit s’apaisait doucement à l'idée de l'échéance qui approchait.

Ses affaires, quelles soient légales ou non, passaient à présent après ce dessein. Elle n’avait fait qu’enchaîner les manquements et erreurs au sein de la guilde, sa place était sûrement compromise. Idem pour le commerce qu’elle tenait avec Lazar, elle n’avait plus honoré correctement ses rendez-vous, forçant son frère à prendre sa place à de nombreuses reprises pour rattraper ses conneries. Elle n’était plus elle-même, pourtant si travailleuse et acharnée, pourtant bien meilleure à l’exercice de son métier que son stupide frangin. Elle perdait pied.  Mais cette femme, cette corsaire qui se présentait devant elle, faisait partie de la solution. Hestia ne pouvait pas se permettre un nouvel échec, trop était en jeu. Tout était en jeu. À quoi bon s’acharner dans cette minable existence si c’était pour passer à côté ce celle-ci en permanence ? Alors Adrielle faisait partie de ce dernier jeu qu’elle entamait, ce dernier pion déplacé pour servir un but bien précis. Qu’importe les conséquences, rien ne pouvait être pire que sa réalité.

«  Bien. » Déclara-t-elle en souriant, avant de porter à ses lèvres la liqueur ambrée. La douce brûlure qui lui coulait dans la gorge la fit soupirer d’aise. Le goût de l’alcool imprégnait son palais, interrompant un instant le fil de ses pensées. Elle se concentra sur le liquide brûlant qui descendait de son gosier pour réchauffer son torse et s’installer confortablement au creux de son ventre. L’alcool lui faisait du bien, la boisson la calmait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle dépendait d’elle de façon de plus en plus déraisonnable. Un problème à la fois. «  J’ai fais quelques recherches, entama-t-elle en reposant son attention sur son invitée,  mais sans les contacts adéquats, il va sans dire que c’est difficile de trouver ce qu’il me faut. » Reposant doucement son verre sur la table, elle tira du tiroir une feuille sur laquelle se trouvait de nombreuses notes ainsi que des localisations. Des plantes, principalement. Dont les effets variaient du simple somnifère au puissant psychotrope. Toutes les informations qu’elle avait pu obtenir y étaient consignées. Mais ces herbes n’étaient pas si difficiles à trouver, ces herbes ne nécessitaient pas l’aide d’Adrielle. Aucune de ses recherches n’avaient aboutie à ce qu’elle désirait vraiment. C’est là que la corsaire entrait en jeu.

«  Je vous ai notifié tout ce que je ne veux pas, elle poussa la feuille en direction de son interlocutrice,  il me faut une plante, une liqueur, un produit…  peu importe la forme, à vrai dire, capable d’endormir un fae. » Reposant son dos contre le dossier du fauteuil, elle laissa à l’hybride le temps de déchiffrer ses notes. «  Il faut que ce soit indolore et sans traces physiques. Celle-ci, par exemple -  elle pointa du doigt le nom d’une fleur originaire de la cour du Printemps -  créé des irruptions cutanées et de violentes démangeaisons, visiblement, son ingestion provoque également des vomissements et les malades tentent de s’arracher la peau. » Elle haussa les épaules, un sourire mi-amusé mi-dégoûté sur les lèvres. «  Un bien joli programme. Mais pas ce que je cherche. »

Hestia scruta un moment le visage d’Adrielle, à la recherche d’une expression trahissant ses pensées. Avec ce qu’elle avait sous les yeux, l’hybride devait commencer à comprendre qu’il ne s’agissait pas simplement d’une mauvaises farce mais bien d’un dessein sombre. La suivrait-elle tout de même ? L’inverse n’était de toute façon pas envisageable. Le silence se prolongeant, elle décida de clarifier les choses. «  Vous l’aurez compris, je pense. Je veux un moyen de mettre fin à la vie d’un fae de façon discrète et, je le répète, indolore. » Elle agita de nouveau la bourse, faisant cliqueter les pièces entre elles. «  Qu’en dîtes vous ? »  

Les fleurs du mal

début janvier 838 — @Adrielle Ethelil  

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Son plan était plutôt bien ficelé, en considérant qu’elle n’avait de répit que lors de rares moments de sommeil, bien trop souvent brouillés par des songes cauchemardesques. Pourtant, l’idée était là et les précautions prises. Sans doute trop peu, au vue de la dangerosité de son entreprise, mais suffisantes pour que personne ne la soupçonne et que la seule personne blessée soit le père Kozlov. Adrielle était un risque inconsidéré, et pourtant, sa seule option. La seule capable de lui fournir ce poison dont elle avait tant besoin, car même animée par une profonde haine envers son géniteur, Hestia ne pouvait se résoudre à le tuer de ses propres mains. Encore moins à le voir brûler vif, dans d’atroces souffrances. Ce poison était nécessaire, et la nocturne s’était préparée à devoir négocier avec la corsaire. Mais la réponse de celle-ci la laissa tout de même perplexe et surprise. Elle s’était attendu à beaucoup de choses, notamment des refus pour des raisons éthique ou de culpabilité, elle s’était même attendue à devoir augmenter le montant offert pour ses services -alors qu’elle s’était déjà servie dans la fortune familiale- mais une telle requête, non, Hestia ne l’avait pas anticipée.

«  Mon identité ? » quelle répéta, abasourdie. Toisant son sous masque la corsaire, cherchant à percer le cœur et les pensées de cette très vielle connaissance. Qu’avait-elle vraiment à y gagner ? Un gage de sécurité ? Hestia n’était certes pas la femme la plus fiable de Velaris, mais elle honorait ses engagements. Piquée dans son égo, elle tenta de ne laisser transparaître que sa surprise avant de boire une nouvelle gorgée de liqueur. «  Quelles garanties pensez-vous pouvoir obtenir grâce à mon nom et mon visage, exactement ? » Elle soupira, signe de son mécontentement alors qu’une grimace agacée prenait place sur son visage. «  Si j’avais souhaité vous poignarder dans le dos, Adrielle, je l’aurais fait il y a déjà des années. A contrario, c’est vers vous que je me tourne, – elle poussa d’une pichenette nonchalante la bourse pour en faire teinter les pièces-,  vous que je sais digne de confiance. Du moins, que je croyais digne de confiance. »

Elle se laissa retomber contre le dossier de sa chaise, les yeux scrutant le plafond ornés de moulures aussi luxueuses et que vieillottes. Les locaux de l’Ars Longa méritaient un nouvel habit, sous peu. La Kozlov étouffait de travailler dans le bureau de son père depuis plus de vingt années déjà. «  Mais soit, qu’elle concéda,  si vous y tenez vraiment, je vous dévoile mon visage. » Accompagnant le geste à ses mots, elle glissa ses doigts dans sa longue chevelure brune pour dénouer les rubans qui maintenaient le masque en place. D’un geste théâtrale et lent, elle fit glisser celui-ci le long de son nez jusqu’à le récupérer au creux de sa main et le poser, contre le bois du bureau. Les yeux bleus d’Hestia scrutèrent la corsaire, elle n’aimait pas devoir céder son identité contre les services de celle-ci. Mais Adrielle ne pouvait lui filer entre les doigts, pas maintenant qu’elle connaissait les desseins de la nocturne, pas maintenant qu’elle avait entrevu cette part d’ombre qu’elle refoulait depuis de nombreuses années.

«  Satisfaite ? Qu’elle lui lança d’un ton acéré.  Ne tirez pas trop sur la corde, je saurai vous faire plier s’il le faut. Mais je voulais que notre association se fasse sur les bases respectueuses que nous entretenons depuis plus d’une décennie. Vous n’avez rien à craindre de moi, je serais discrète, je ne me ferais pas attraper. Et personne ne pourra remonter jusqu’à vous. » Elle repoussa d’un geste dédaigneux la bourse. «  Cette association est à double-sens, et je trouve votre doute concernant ma personne particulièrement déplacé. Vous ai-je donné la moindre raison de douter de moi, de l’Ars Longa ? Nos affaires sont prospères, je souhaiterai qu’elles le restent. Mais s’il nous faut trouver un autre navire pour le transports de nos marchandises, je peux rapidement m’arranger. » Sa bague frappait le bureau d’un tempo impatient, impétueux. Cet échange promettait finalement quelques étincelles, un nouveau défi à relever, un défi qu’elle prendrait à bras-le-corps et dont elle sortirait victorieuse. Adrielle n’avait pas d’autre choix que d’accepter, parce qu’elle était la seule capable de lui fournir ce dont la nocturne avait désespérément besoin.