ungoldy hour (assya)

Fouler à nouveau Velaris de ses pas lui fait un mal fou. Il a longuement redouté ce moment, celui où il serait forcé de s'y rendre à nouveau. Depuis les derniers mois, Merrill s'est terré dans la solitude et la détresse. Il ne se sent plus chez lui nulle part. Et encore moins à Ondiane. Il a essayé d'y résider après le drame, mais c'est impossible; tous les souvenirs qu'il a de cet endroit, il les a partagé avec Myrra. Dans chaque pièce, chaque couloir, chaque recoin, il espère la revoir, entendre le son de sa voix, sentir son parfum. Il n'y a plus jamais trouvé le sommeil. Si bien qu'il a fini par se résoudre à crécher ailleurs. D'abord dans les bois, aux alentours du manoir. Puis dans un appartement de Menelmorn. D'autres patelins nocturnes. Mais le chef-lieu; jamais.

C'est le coeur lourd qu'il évite soigneusement le périmètre du désastre. Etrangement, sa mémoire de ce moment s'est étiolée; il a oublié certains détails. Sa fuite. Son retour chez lui. Les mots de ceux qui l'entouraient. Les souvenirs ne sont pas clairs, flous. La seule chose dont il se souviendra à tout jamais de cette soirée là, c'est le corps sans vie de Myrra dans ses bras, son sang qui se répand, et le vide immense qui s'impose dans son coeur.  

Le Baron parvient au pied de la Maison du Vent. Le château est impressionnant vu d'en bas; les escaliers vertigineux qui y parviennent donnent le tournis, mais pas à l'illyrien qui a l'habitude des pirouettes dans les airs. Il s'attaque à l'escalade, marche après marche. Le vol a une saveur différente en l'absence de Myrra. Oui, ce besoin de liberté continue d'affluer dans ses veines, mais l'envie n'y est plus. Le sel de son quotidien a disparu, pour ne laisser plus qu'un goût amer, âcre, ferreux, au fond de sa bouche.
La plupart du temps, les réceptions se font en bas du château. Mais Merrill, en ces circonstances particulières, a obtenu une rencontre avec la Suprême de la Nuit dans un cadre qui porte plus volontiers à la confidence. Il a longuement réfléchi, mis de l'ordre dans ses idées, puis il lui a fallu vaincre l'anxiété à l'idée de revenir à Velaris, pour se décider à enfin la rencontrer.

Il se fait accueillir par une ribambelle de gardes qui s'informe de l'objet de sa visite. Certains le reconnaissent rapidement, le Baron déchu comme l'appellent certains. Car Merrill a disparu de la civilisation depuis quelques mois. Il se contente de survivre, de dompter sa tristesse qui se meut de plus en plus en une colère sourde. La fierté et la prestance qui l'habitaient autrefois ne sont plus; la fatigue a pris le dessus. Le dessus sur toute son existence.

On accompagne l'illyrien sur un balcon où l'attend déjà Assya. Elle contemple la vue sur la ville et sur les montagnes au loin. Merrill est bien moins proche de la Suprême qu'il ne l'est de son jumeau, Ilya, mais il lui est infiniment reconnaissant pour tout ce qu'elle a fait de lui. D'abord, un mercenaire qui se battait au nom de leur famille. Et ensuite, elle lui a conféré le titre tant attendu de Baron, qu'il a porté fièrement pendant une année et demie... Avant qu'il ne se rende compte que, s'il était resté dans l'anonymat, un illyrien dont personne ne se soucie, Myrra serait encore de ce monde.

« Madame la Suprême. » Il s'incline, ses ailes se pliant pour accompagner son geste. « Je vous remercie de me recevoir. »

@assya ozerov

Assya apparaît contre la rambarde du balcon, la brise légère dans ses mèches blondes, et toujours sublime parée dans une merveilleuse robe aux couleurs de sa cour. Merrill en fait sûrement trop pour la saluer, mais il oublie encore à quels points les récents évènements ont finir par les rapprocher. De mercenaire, il est passé en quelques mois à baron anobli par la Suprême en personne, à oncle de coeur de ses deux petites nièces. Le temps a passé drôlement vite, et avec lui le rapprochement qu'il a eu de la peine à voir venir.
Il se redresse rapidement, resserrant ses ailes dans son dos instinctivement. L'illyrien se fait remettre à sa place rapidement, pendant qu'Assya se retourne et qu'il la trouve avec un matou dans les bras. Merrill n'est pas un amateur de ces animaux, mais il croise le regard du chat à quelques reprises tandis qu'il cherche ses mots. Et à chaque fois, il s'est rapproché d'une foulée. « Je... Velaris me rappelait trop de mauvais souvenirs. Je ne me sentais pas en mesure d'y remettre les pieds avant... Aujourd'hui. » Et même là, c'est difficile. Il a l'impression que le danger rôde, qu'un drame pourrait se produire à chaque instant. Il se sent plus proche de l'évènement qui a marqué sa vie à jamais, comme si revenir sur les lieux du crime lui remémorait davantage de détail sur cette soirée de cauchemars. « Et j'avais besoin d'être seul. Pour réfléchir. » Poings qui se serrent, en pensant à tout ce qui lui a passé par la tête ces dernières semaines. Il en était venu à se demander s'il aurait vraiment la force de poursuivre cette vie sans son pilier, hanté par les souvenirs de sa mort. « J'espère que mon silence ne vous a pas inquiété. Je suis vraiment navré si ç'a été le cas. Mais je n'étais jamais trop loin. Darya m'a interdit de disparaître. » Et tout le monde sait qu'il ne vaut mieux pas désobéir à Coeur de Glace. Même sa Suprême.

Mais il est ramené à la réalité par un frottement à ses jambes. Merrill découvre le chat à l'oreille manquante ronronner à ses pieds, entortillant la queue autour de son mollet. Il comprend le murmure de sa maîtresse, elle-même confuse. Le minou miaule pour attirer l'attention de l'emplumé. Ce dernier se baisse et lui octroie quelques caresses sur la tête qui paraissent le satisfaire. C'est étrange... Mais passer quelques secondes avec l'animal d'Assya l'apaise. Calme la tempête qui fait rage en lui et l'aide à se poser, à reprendre son souffle. Lui donne du courage pour la suite, parce qu'il sait bien que la Nocturne sera loin d'apprécier sa décision.

Le chat satisfait, Merrill se relève. « Assya... Je ne pourrai jamais vous remercier suffisamment pour la chance inouïe que vous m'avez offert. Je serai pour toujours le premier illyrien d'Evanor à avoir obtenu un titre de noblesse et c'est une fierté que j'emporterai avec moi jusque dans ma tombe. Vous avez réalisé mon rêve, par cette action vous avez honoré et soutenu mon peuple. Mais... » Il triture la chevalière qu'il a choisi pour honorer son titre symboliquement, celle qui se trouve à son majeur gauche, à côté de son alliance dont il ne se défera jamais. « J'ai besoin de retrouver mon anonymat. Je n'arrête pas de songer que si je n'avais pas été présent sur ce toit ce soir-là... » ... Myrra serait encore là. S'il n'était pas dévoré par cette ambition démesurée, il n'aurait pas été sur ce toit. Son regard se fait fuyant. Le Merrill assuré d'antan est définitivement absent depuis le début de l'année. Il n'est qu'une frêle façade, prétendant qu'il tient le coup, alors que ce n'est nullement le cas. « J'ai conscience que je dois vous décevoir... J'espère que vous ne m'en voudrez pas, et que vous comprendrez. » Il sent de l'émotion percer aux coins de ses yeux, alors il clôt ses paupières. Ce sentiment de déception est atroce pour lui, mais c'est sûrement la meilleure des décisions qu'il puisse prendre. Merrill a besoin d'un nouveau départ, il a besoin de vivre sa vie autrement. Et d'apprendre à la composer sans celle qui se tenait à ses côtés depuis plus de vingt ans.


@assya ozerov