In the air tonight | Rosalie

Son visage lui est familier. Elle en est persuadée. Mais elle ne saurait pas dire d’où. Ni de quand. Quand sa chevelure blonde passe le pas de la porte du cabaret, son regard est automatiquement happé dans sa direction. Perplexe, l’hybride fronce les sourcils. Elle porte le verre d’eau qu’elle tenait entre ses doigts à ses lèvres, en buvant une gorgée. Plus un automatisme qu’un réel besoin. Et aussi une façon de mimer un attrait sur sa boisson quand c’est pourtant toute son attention qui est focalisée vers cette silhouette aussi fluette que gracile. Elle est seule. Et l’est toujours quand elle prend place, à une table légèrement en retrait. Elle a une vue imprenable sur la scène, et est assez sur le côté pour ne pas être dérangée par les allers et venues des serveurs et des autres clients. Louve continue de l’épier alors que les lumières se sont tamisées et que tous les regards se portent sur la scène. Elle frémit quand l’invitée se penche pour sortir d’un sac qu’elle tenait en bandoulière quelque chose. De là où elle se trouve, elle n’arrive pas à voir ce qu’elle fait. Alors elle se trémousse sur sa chaise, s’appuyant presque sur le bar contre lequel elle est assise pour tenter de se faire un peu plus grande. Juste un peu. Un mouvement du poignet de la blonde et elle finit par distinguer un carnet. Il n’en faut pas plus à Louve pour sauter de son tabouret, mettre pieds au sol, et pour se fondre entre les tables.

Elle s’approche. En silence. Rode autour de la Fae à la blondeur éclatante et aux traits aussi fins que charmants. Elle ne la remarque absolument pas, trop occupée à alterner son regard entre la scène d’où les sirènes se produisent et son carnet. Son poignet s’agite avec frénésie. Puis se stoppe, hésitant. Il semble suspendu dans l’air durant de longues secondes, puis s’abat finalement avec fougue sur le papier. Louve comprend rapidement qu’elle dessine. Mais n’arrive pas à s’approcher assez près pour distinguer le sujet de son inspiration. Lorsque la musique se coupe et que les exclamations retentissent, Louve est tirée de son obsession et ramenée à la dure réalité. Elle n’a plus le temps. Dommage. Pinçant les lèvres, elle traverse la salle et passe par une porte dérobée, jusqu’à atteindre les vestiaires d’où elle enfile rapidement sa tenue. Elle connait son numéro par cœur. Et elle est assez à l’aise, à présent, pour l’exécuter à la perfection, soir après soir, sans qu’on ait quoi que ce soit à lui reprocher.

La musique reprend. Et voilà Louve qui entre sur scène. Subjuguante. Bluffante. Captivante. Si son esprit est concentré sur la chorégraphie, son regard, cependant, se permet quelques embardées sur le côté droit de la scène. Elle repère la Fae, qui, comme précédemment, alterne son attention entre elle et son carnet. Son numéro de danse terminé, Louve disparait de nouveau dans le vestiaire. Mais elle ne prend pas le temps de se changer, et prend une autre porte dérobée qui l’emmène vers une volée de marches. En deux sauts et une enjambée féline, la voilà sur les hauteurs du cabaret, au-dessus de la salle et de la scène. À plusieurs mètres du sol, suspendue entre les poutres et les cordages, elle rampe jusqu’au-dessus de la table de la Fae, l’observant sans vergogne. C’est qu’elle est curieuse, Louve. Et plutôt méfiante. Elle l’a reconnue, au moment où elle a sorti son carnet. Ce n’est pas la première fois qu’elle vient au cabaret. Et son attitude, à l’image de son accoutrement, détonnent avec l’atmosphère. Elle ne se mêle jamais aux autres. Assiste aux représentations en activant son crayon sur son carnet ; et puis une fois les lumières rallumées, elle ne se fait pas prier pour décamper. Sauf que cette fois, Louve compte bien l’intercepter. Car c’est tout son instinct qui lui crie de se méfier. Et que cette femme, aussi charmante et innocente puisse-t-elle sembler, peut en réalité très bien cacher son jeu.

De là où elle se trouve, elle peut mieux voir la Fae qui dessine. Et si elle ne voit pas avec précision la finalité de ses traits de crayon, elle en comprend, cependant, le thème. Elle est en train de dessiner le contour d’une silhouette. Et si son intuition est exacte, elle reconnait même certains détails qui se trouvent sur son costume. Sentant son estomac se serrer devant ce constat et son cœur s’accélérer sous l’adrénaline et la peur, elle profite que la salle est de nouveau plongée dans le noir pour s’élancer dans les airs et se réceptionner sur une armoire avoisinant un mur de la salle. Le sol ainsi retrouvé, elle se faufile jusqu’à la table de la Fae, s’asseyant sur la banquette en silence. Cette dernière, toujours obnubilée par la scène et la danse qui se déroule sous ses yeux, met plusieurs minutes avant de se rendre compte de sa présence. « Je ne voulais pas vous interrompre, qu’elle commence, dévoilant un petit sourire qui se veut amical. Ce n’est pas la première fois que je vous vois ici, je me trompe ? Son sourcil qui s’arque, en même temps que les applaudissements retentissent une fois la danse terminée. Louve, pourtant, reste focalisée sur la Fae, son regard ancré dans le sien. Est-ce que le spectacle vous plait ? » Une manière d’amorcer la conversation toute en douceur et en amabilité, bien que son regard, pourtant, s’illumine d’éclats menaçants.

Je crois que Et Circé Et Antonin me tueraient s’ils me voyaient là. Mais heureusement ils ne le savaient pas et Lupin aimait aussi passer beaucoup de temps à Ellysium. C’était le seul au courant de mes escapades discrètes dans ce cabaret. De toute manière, je portais mes boucles blondes en natte serrée, une chemise classique, avec un petit gilet brodés par-dessus et une jupe assortie, j’avais fait une nouvelle canne, basiquement en métal pour me soutenir ainsi que mes affaires de dessins. Je venais ici régulièrement, cela me permettait de travailler de nouveaux sujets. Alors le cabaret, avec ses costumes, sa lumière. Je venais ici depuis quelque temps. J’avais déjà mes habitudes : je venais une dizaine de minutes avant le début du spectacle, m’installant à une table tout au fond, où je pouvais voir la scène, sans pour autant me mêler aux autres, je ne consommais pas non plus.

Ce soir, ce fut la même musique, je m’installai silencieusement, posai mon carnet, juste avant que les lumières ne se tamisent. Mon regard se riva sur la scène alors que j’analysais les lumières, les perspectives… C’était très intéressant. Au vu des derniers spectacles je reconnaissais les danseuses et je pouvais aussi mieux préparer mes dessins. Mais surtout, j’aiguisai mon œil, là une des danseuses me semblait moins souriante, un peu plus fanée, c’était très léger. Un sourire légèrement mon étincelant. Il y avait une fêlure. Je notais les différences comme de minuscules fissure sur ses membres. Les autres semblaient toujours séductrices, des sirènes, mais au travers de ce que je percevais, c’était sans doute faux, l’une d’elle semblait plus timide, plus réservée, peut-être une nouvelle recrue ? Enfin, cela ne voulait rien dire, je n’étais pas là depuis longtemps. L’autre était plus fragile, et la troisième… peut-être de la fatigue ? Tous les soirs à danser ainsi, ce n’était pas de tout repos.

Nouveau spectacle. Je soufflai sur ma page pour ôter la poussière de crayon avant de prendre cette page vierge. Elle, elle était seule la sirène. Elle avait quelque chose de sauvage, d’animal, de dangereux avec cette sirène. Les ombres sur sa peau devenaient comme ses griffes, son arme, alors que son costume devenait son armure. C’était assez fascinant. Elle avait quelque chose de particulièrement dangereux. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais c’était ce que je ressentais. Son numéro finit, je rajoutais quelques détails avant de tourner la page face à la suite du numéro. Une nouvelle danse.

C’était magnifique, mais j’étais dans mon monde, elle, elle était joyeuse, heureuse, cela se ressentait, c’était assez prenant, mais le costume de l’autre, me revenait en tête. Je finis le croquis pour en refaire un, de celle d’avant. Je refis un dessin, je ne remarquais pas la personne se glissant sur la banquette pendant plusieurs minutes. Jusqu’à enfin relever les yeux. Oups. La femme du dernier numéro… Je restai silencieuse et tout à fait nerveuse face à ses yeux. Je ne m’étais pas trompée, avec ses yeux, elle avait quelque chose de dangereux. Je restai muette en tripotant machinalement le bord de mon carnet.

« Bonsoir. »

Fis-je machinalement en baissant les yeux sur mon carnet. Je hochais la tête.

« Non, je viens ici depuis quelque temps. Oui c’est un très beau spectacle. J’aime beaucoup les costumes et les lumières. Et la gestuelle m’entraîne beaucoup. Ce n’est pas du tout ce dont j’ai l’habitude… Votre… Votre costume vous va très bien. »

Je tournai machinalement une page, encore une page vierge, pour me mettre à la dessiner, cela me permettait de tenir une conversation. Je me protégeais derrière mon carnet. Circé… j’aurais dû t’amener avec moi…

Elle semble nerveuse. Elle évite son regard, faisant mine de se concentrer sur ses dessins. Quand bien même ses traits deviennent moins précis. Moins fluides. Plus automatiques que réellement nécessaires. Elle pince ses lèvres, et Louve peut deviner sans difficulté qu’il y a le rythme de son cœur qui s’accélère. Elle est impressionnée de la voir à ses côtés ? Parce qu’elle est timide ? Ou alors parce qu’elle cache quelque chose ? Si le sourire de Louve se veut avenant et aimable, le fait est que son regard reste dur. Presque froid. Elle observe la Fae depuis de longues minutes déjà, et elle s’interroge. Parce qu’il est évident qu’elle n’est pas de son milieu. Qu’elle est bien au-dessus de tout ça. Ses habits sont élégants. Mais classiques. Comme si tout avait été étudié pour ne pas froisser, ne pas étonner. Pour se fondre dans la masse sans se faire remarquer. Le plus fragrant, c’est son port de tête. Altier. Elle a le dos raide, les épaules droites. Ses bras se déplacent avec élégance. Avec fluidité. Louve ne saurait pas vraiment comment le décrire, et encore moins l’expliquer, mais elle a le sentiment que la Fae cache quelque chose. Son rang, déjà. Mais aussi… Autre chose. Elle ne sait pas si elle invente. Si c’est son côté paranoïaque qui lui fait craindre le pire, mais tous ses sens sont en alerte. Et si jusqu’ici elle a toujours survécu, c’est bien grâce à eux. Elle se doit, donc, de les écouter.

« Merci, qu’elle siffle devant le compliment. » Elle sait qu’elle sait. Qu’elle a vu dans son précédent croquis les esquisses du costume qu’elle porte. D’où le fait qu’elle se sente obligée de se justifier. Elle a tourné la page, faisant mine de recommencer un nouveau dessin. Ou alors est-ce parce qu’elle ne veut pas que Louve voit le précédent ? « Vous êtes une dessinatrice ? La réponse parait évidente, mais Louve attend quelques précisions. Une étudiante en art, peut-être ? Ou une styliste qui travaille pour la concurrence ? Si elle bossait avec Kora, elle l’aurait déjà croisée, et dans d’autres circonstances que celles-là. Alors… Je peux voir vos croquis ? » Et malgré la politesse de sa question, cette dernière n’en est pas vraiment une. Louve tend d’ailleurs sa main, ne lui laissant pas vraiment le choix. Elle est aimable. Elle agit avec respect et bienséance. Mais ça, c’est parce que, jusqu’à présent, la Fae est restée docile. Qu’elle tente de faire quoi que ce soit, et c’est toute son attitude qui basculera. Elle est chez elle, au Soleil de Minuit. Entourée de ses amis, de sa famille. Et elle ne permettra à personne de venir leur porter préjudices. Quels qu’ils puissent être.

Je n’étais pas du tout à l’aise, j’aurais préféré d’un coup retourner à Cairlond, j’avais tout fait pour paraître invisible… Sauf que visiblement, je n’en avais pas le pouvoir. Je ne soutenais pas le regard de la danseuse, concentrée surtout sur mon croquis et le nouveau portrait que je faisais d’elle. Une prédatrice. Et moi une proie, son portrait se dotait presque d’allure de félin, dangereux et énigmatique. Quelque chose prêt à me déchiqueter au moindre faux pas. Je ne m’étais pas présentée et je ne le voulais pas. Je relevai brièvement les yeux vers elle, détaillant d’un battement de cil les ombres dévorant son visage et ses yeux souhaitant ma mort. Je me mordis légèrement les lèvres alors que mon crayon courait plus vite sur la feuille. Son « Merci » me semblait vouloir dire un « Je vais t’éventrer et jouer dans tes tripes. ». Je me recroquevillai légèrement plus sur moi-même. Sa question me fit lever à nouveau les yeux avant de secouer la tête.

« Bijoutière, surtout, mais j’aime beaucoup dessiner. »

Voir les croquis ? Ce n’était pas une question. Je posai mon crayon pour attraper mon carnet, le tapoter sur la table pour faire tomber les poussières, tourner les pages jusqu’à la première, ma première visite, j’avais un carnet spécial pour cet endroit, ici. Je lui tendis. Il y avait des exercices de perspectives, des reproductions de la salle, des éclairages, les danseuses sous différent angles. Il y avait de tout. Je n’avais rien à cacher, il y avait des portraits d’elle et d’autres danseuses. Parfois des focus sur certains détails des tenues,, avec quelques notes de ma main en pattes de mouche pour indiquer là où je pensais devoir retravailler le dessin. Ce que je faisais une fois chez moi. Que je n’aurais jamais dû quitter.

« Je viens m’entraîner à dessiner ici. Ce n’est pas un cadre que j’ai habituellement. »

J’observais son visage, attendant sa réaction, j’aurais aimé pouvoir étendre mon contrôle du métal à autre chose que du contact mais bon…

Ainsi donc, elle est bijoutière. Et sa présence en ces lieux une pure coïncidence. La Fae aime dessiner. Et il semblerait qu’elle ait choisi le cabaret pour trouver quelques sources d’inspirations. Louve a du mal à voir le lien entre les bijoux et la danse, mais elle s’imagine que justement, ça n’a rien à voir. Qu’elle a son métier d’un côté, et de l’autre sa passion. Et que si elle peut user de ses talents de dessinatrice pour concocter quelques créations, elle a aussi et surtout besoin de voir autre chose. En soit, ça peut se comprendre. Louve n’est absolument pas créative, manquant cruellement d’imagination et de talent. Mais elle peut entendre que chez d’autres il puisse en être autrement. À moins que… Tout ceci ne soit qu’un écran de fumée ? Qu’une illusion montée de toute pièce ? La Fae cache quelque chose, ça résonne en Louve comme une évidence. Et tout laisse à croire que c’est son rang. Elle est trop propre, trop distante, trop… Trop ? Comme si tout était surjoué. Trop simple pour être réellement vrai. Et si son secret était bien plus complexe que ça ? Bien plus sombre et plus profond ? Une espionne ?

Louve sent un frisson lui parcourir l’échine et lui hérisser le poil à cette pensée. Et si c’était ça, le fin mot de l’histoire ? Une espionne, certes. Mais de qui ? Et pourquoi ? Est-elle la tenancière d’un autre cabaret, venue incognito au Soleil de Minuit pour trouver des inspirations pour ses prochains numéros et ses futurs costumes ? Ou alors est-elle ici par rapport aux liens qu’ils tissent avec les Marchands de Sable ? Peut-être est-elle en repérage dans les locaux, à la recherche de l’escalier menant au sous-sol où se terre une poignée de chimistes ? Hm… Ça parait peu probable, comme explications. Mais après tout, pourquoi pas… Louve préfère énumérer toutes les possibilités, aussi improbables puissent-elles être. Juste au cas où.

Elle observe la Fae qui, une fois la nouvelle page tournée, commence à réaliser un nouveau croquis. Elle remarque sans peine qu’elle est en train de la dessiner, elle. Et cette perspective la fait, une nouvelle fois, trembler d’effroi. C’est que l’idée ne lui plait pas des masses, bien au contraire. Louve se terre dans ce corps, au sein de ce Cabaret. Elle est recherchée, par plusieurs entités. Et savoir qu’une Fae complètement louche détient un portrait détaillé d’elle… Ça ne l’emballe pas du tout. Alors elle profite qu’elle lui tende son carnet à dessins –à contre-cœur, certes– pour observer ses autres créations. « Ah oui ? qu’elle s’étonne quand la Fae lui avoue ne pas avoir l’habitude d’un tel cadre. » Où veut-elle en venir ? En attendant sa réponse, elle se penche sur ses dessins, les observant avec attention. Elle reconnait le Cabaret. Certains costumes. La scène. Les visages sont esquissés rapidement, pour que les détails soient concentrés sur les costumes, ou encore les jeux d’éclairage. « Vous avez du talent, qu’elle reconnait sans peine. » C’est du beau travail. Ou en tout cas c’est ce qui ressort face à l’œil d’un novice en la matière. Louve tourne les pages. Rapidement. Jusqu’à s’arrêter sur un dessin en particulier. On peut voir un jeune homme, en tenue de cabaret. Il n’y en a que quelques-uns qui y travaillent, et le visage qu’elle reconnait immédiatement n’en fait pas partie. C’est Sylas, le Lieutenant des Marchands de Sable du Port. Pourquoi est-il représenté en tenue de danseur ? Quand bien même il n’y a probablement jamais mis officiellement les pieds –ou en tout cas surement pas en tant que danseur– ? Louve retient son souffle, sentant son rythme cardiaque s’emballer. Elle glisse sur la chaise la plus proche de la Fae, se rapprochant rapidement. Une lame semble apparaitre comme par magie entre ses doigts, qu’elle place contre le flanc de la Fae. Cette dernière est dissimulée sous la table, mais la Fae peut la sentir sans mal. « T'as dix secondes pour m’expliquer pourquoi Sylas est sur ce dessin. Et si la réponse ne me satisfait pas, j’te plante ma lame en plein milieu de la salle, sans que personne ne se rende compte de quoi que ce soit. Si tu bouges d'un iota, ou si tu cries, la sanction sera la même. » Envolée, la gentille Louve. Tout n’est à présent qu’animosité, et menaces absolument pas voilées.  

Je n’aimais pas cela du tout. Pas cela du tout, du tout ! Circé… pourquoi est-ce qu’il a fallu que je vienne ici sans toi ? J’étais sûre que toi tu aurais beaucoup mieux géré cette situation. Je hochais la tête à son interrogation. « Ah oui ? » Oui je ne passais pas ma vie ici moi ! Je… Je n’étais même pas censée venir ici… Je retiens un soupir, jouant nerveusement avec mon fusain.

« Je dessine plus les paysages du printemps. »

Du talent ? J’eus un petit sourire en haussant les épaules, c’était toujours ce qu’on disait de moi, mais je travaillais beaucoup pour ça. C’était tout autre chose. Alors je préférais rester discrète.

« C’est du travail. Le talent n’existe pas. »

Des heures et des heures à dessiner, c’était comme pour le métal. Je devais mon « talent » l’entraînement, c’était tout aussi simple. Je portais mon regard sur les dessins, voyant ici et là tous les défauts qu’il pouvait y avoir, jusqu’à un dessin fantaisiste de Sylas. Je m’étais un peu amusée… J’eus un sourire en le regardant jusqu’à ce que je sente la pointe d’un couteau contre mes côtes. Je saisis aussitôt ma cane d’une main alors qu’elle me menaçait. Elle connaissait Sylas ? Un membre dont il m’avait parlé ? Qui me mettait en danger ?

« Sylas est un ami. Je l’ai rencontré une nuit alors qu’il tentait de me cambrioler. Nous avons discuté et il est devenu un ami, j’ai réalisé un portrait de lui. Et nous nous somme revu à Ellysium lors du lâché de lanterne. Je lui ai offert du matériel de dessin. J’ignorais que vous le connaissiez. Je l’ai dessiné ainsi, car il me manque, cela fait quelque temps que je ne l’ai pas vu et que j’avais envie de m’entraîner sur des corps masculins. »

Je posai vivement un doigt sur le poignard et mon pouvoir se faufila dedans, chauffant juste assez la lame, non pas pour qu’elle le lâche, mais bien pour émousser la pointe et le fil de l’arme. Pas besoin de plus, rien qu’ainsi, je pourrais la magnétiser et la coller à ma cane. J’avais parlé d’une voix basse et dans un souffle. Sans aucune hésitation. Malgré une voix tremblante de peur.

« J’ignore qui vous êtes, mais en aucun cas je ne suis un danger pour Sylas. C’est quelqu’un à qui je tiens beaucoup, nous avons discuté art. »

La table avait un pied en métal… peut-être que je pourrais tenter quelque chose ? C’était tout à fait possible. Je venais déjà de neutraliser son arme sans qu’elle puisse vraiment le voir. Un simple touché du doigt.

« Pourriez-vous enlever cette lame de mes côtes, s’il vous plaît ? Nous pouvons discuter tranquillement. Pas besoin de se menacer. »

Je parlais toujours à voix très basse en fixant le dessin sans bouger d’autre que ce doigt glisser discrètement sur cette lame devenue inutile.