(Ariana) Blood of my blood

La cérémonie s’est terminée dans une atmosphère si tendue que Cesare aurait juré que les invités devaient marcher sur le fil de la lame pour quitter le temple. Après le départ précipité d’Espen Asgeir, la foule avait semblé partagée entre l’envie de se fondre dans le plancher et celle de faire des messes basses pour chuchoter au scandale. Une chose est sûre, c’est que les journaux à potins feront couler beaucoup d’encre sur la scène qui s’est jouée dans le lieu le plus sacré de Brynjolf en ce 15 juillet de l’an 837. Cesare, lui, s’est contenté de se tenir près de sa sœur, l’échine bien droite, le regard fixé à l’autel et au visage presque figé de Sanna Asgeir. Il n’a que peu d’affection pour la créature hivernale depuis qu’elle a osé remettre en question sa transparence devant le reste du Concordat l’été dernière. Pourtant, une partie de lui se met dans les chaussures de la gamine. Comment aurait-il réagi si Dante s’était permis de remettre en cause sa légitimité lors des obsèques de leurs parents ? Leur famille a traversé maintes difficultés, souvent causées par ses propres erreurs, mais les Monteserre ont toujours réglé leurs comptes à l’abri des regards.

Existe-t-il un seul Seigneur qui n’ait commis aucune erreur envers les membres de sa famille ? se demande le Suprême en observant la Dame de Brynjolf. Ses parents avaient été bien loin de la perfection. Enzo Monteserre comptait parmi les hommes les plus froids et inflexibles que Cesare ait connus. La puissance et la grandeur étaient constamment sur ses lèvres. Le bonheur de ses enfants lui importait peu. Seul leur nom comptait, et leur réputation. Catalina Monteserre avait quant à elle été une femme des plus effacées, pliant l’échine face à la volonté de fer de son époux. Lorsqu’il se remémorait sa mère, Cesare ne pouvait s’empêcher de songer qu’elle n’avait pas été taillée pour l’automne et que même si ses parents avaient été des âmes sœurs, ils étaient bien mal assortis. Quoi qu’il en soit, Catalina avait été l’unique source de douceur qu’il ait connue durant sa jeunesse, avant son mariage à Siena et sa mort avait laissé un vide qu’il avait eu du mal à combler.

La cérémonie terminée, Cesare avait suivi le reste de la foule dans le dédale de corridors du sobre palais de Brynjolf. Certains invités se dirigent vers la cour pour se tamiser, pour rentrer chez eux au plus vite, alors que d’autres s’attardent pour participer à la suite de célébrations. Il ne s’attarderait pas trop. Les traditions funéraires de la Cour de l’Hiver étaient lugubres. Il compte donc présenter ses respects avant de se retirer avec le reste de son clan, pourtant son chemin croise celui d’un visage familier qui lui serre le palpitant l’instant d’un souffle.

« Lady Cuenta. Les salutations tombent avec l’ombre d’un sourire alors qu’il aperçoit la fille de son cousin Alvaro. Ou peut-être devrais-je plutôt vous appeler Lady Lund ? On m’a dit que vous vous étiez mariée il y a quelques mois, mais il semblerait que quelqu’un ait oublié d’envoyer un carton d’invitation à Arvandor… Ça ne l’avait guère surpris considérant son passé avec la mère d’Andar, qui à une époque devait devenir sa fiancée... J’espère que vous accepterez mes félicitations tardives. »

Il adresse un signe du menton à Luz qui l’attend plus loin pour quitter la forteresse des Asgeir, plantant ses iris dans les yeux sombres d’Ariana Cuenta, cette femme qu’il évite aussi souvent qu’il le peut à cause de cette douleur qu’elle créé dans sa poitrine. Sa ressemblance avec sa mère le frappe toujours autant malgré les années. Si le feu ne brûlait pas si fort en elle, Ariana aurait été le reflet de Catalina Cuenta. Et encore aujourd’hui, ça fait mal de le réaliser.

Elle lui adresse un sourire poli, inclinant la tête respectueusement. Il n’a jamais été particulièrement proche de la fille de son cousin. La ressemblance frappante d’Ariana avec sa défunte mère l’a toujours déstabilisé, a toujours fait naître un éclat de tristesse en lui chaque fois qu’il la croisait. S’il n’a guère pleuré la disparition de l’homme qui l’a mis au monde, Cesare ne s’est jamais complètement remis de la mort subite de sa mère. Catalina avait été une femme douce et effacée. Ils n’avaient jamais découvert qui était responsable de leur mort, mais le Suprême de l’Automne demeurait convaincu que sa mère avait péri à cause des complots de son père. Elle était une âme innocente perdue trop vite.

« L’invitation a dû se perdre dans le torrent de correspondance de l’une de nos demeures, déclare-t-il avec l’ombre d’un sourire sur les lèvres.

Il est tenté de lui demander si Alvaro a daigné se montrer le bout du nez à ses épousailles au Ministre de l’Hiver, mais ça n’est ni l’endroit ni le moment pour attirer l’attention de ceux et celles qui errent toujours dans les corridors du palais de Brynjolf. Le risque qu’elle lui demande son opinion quant à ses conflits familiaux est trop grand. Selon les informations qu’il a obtenu de ses espions, les différends entre Ariana et son père relèvent d’un autre conflit de succession auquel il ne veut pas être mêlé. Tant que leurs histoires de famille ne représentent pas une menace pour leur cour, Cesare évite de se mêler des affaires des seigneurs de ses terres. Toutefois, la décision de son cousin l’a laissé plus que perplexe. Les automnaux valorisent la force de caractère et le courage, et n’ont que peu de regard sur le sexe de ses dirigeants. S’il n’avait pas craint la colère de son épouse et de ses fils, Cesare aurait choisi Luciana pour régner sur Mercadal sans hésiter.

« Elles vont bien, répond-t-il, songeant à Siena et Luciana qui sont restées à Elysium. Elles profitent de l’été à Elysium. Étant donné les échos qui sont parvenus au Concordat concernant la discorde entre les Asgeir, elles ont préféré ne pas participer à la cérémonie… Je dois admettre avoir mes inquiétudes quant à la tournure des événements lorsque le prochain Suprême de l’Hiver sera élu dans les semaines à venir. Êtes-vous préparée à tous les éventualités, dites-moi ? »

C’est là une façon polie et détournée de lui demander si elle est prête aux répercussions qui pourraient s’ensuivre si Sanna était élue Suprême et devait décider de punir Astrid Lund et ses rejetons pour le rôle qu’ils ont joué dans cette masquarade. Même si la baronne s’était faite silencieuse et que son fils benjamin avait démontré sa fidélité à son oncle en performant le chant funèbre, la tension sur l’échine d’Astrid était facilement discernable. Elle avait peut-être été éclipsée par le tapage d’Espen, mais Cesare l’avait remarquée et il sait qu’il n’est pas le seul…

Einar avait choisi son neveu Andar à titre de Ministre de l’Hiver pour apaiser les ardeurs de sa sœur. Sa place n’était cependant pas garantie dépendant l’identité de celui ou celle qui prendrait le pouvoir. Ariana a donc toutes les raisons du monde de se questionner sur sa place dans ce monde dominé par les hivernaux dans lequel elle a mis les pieds suite à son mariage avec le futur baron.