we met before but nice to meet you (ft. Ninon)

Si elle avait su sur qui elle tomberait, elle ne l'aurait certainement pas contactée. Rym était rancunière, d'autant plus lorsqu'on lui filait entre les doigts et qu'elle avait failli à ses devoirs. Elle n'était pas le genre de personne à laisser de côté des détails ; appelez ça de la paranoïa, elle avait payé le prix du sang pour être générale, et elle n'avait pas désiré le perdre pour des bêtises. L'ironie de la vie avait voulu qu'après tout ça, elle décida de partir de son plein gré.. ou peut-être un peu par dépit. Parce qu'elle avait voulu quelque chose qu'on ne pouvait pas lui offrir, et qu'à défaut d'attendre, elle avait voulu se créer une nouvelle voie. Parce que maintenant, elle savait ce qu'elle n'aurait jamais dû savoir. Ce n'était pas pour rien que les divergents se retrouvaient avec leurs souvenirs d'enfance effacés pour privilégier la loyauté à leur nouvelle cour, mieux se conformer à ce qu'on attendait d'eux. Qu'étaient-ils, si ce n'était une arme de plus dans une Cour ? Elle n'avait pas pensé à quel point ça aurait changé la donne, que Cesare lui avoua la vérité quant à ses origines. Certainement que ça aurait été plus facile si elle était issue d'une famille du peuple, qui n'aurait certainement pas survécu au Fléau. Mais elle avait passé une décennie aux côtés du Suprême de l'Automne, à le suivre comme son ombre... et à croiser les Dugu. C'était peut-être ça, le pire : avoir été si proche de d'eux sans le savoir. Et maintenant qu'elle les avait revu, elle les fuyait. Elle suivait sa voie, seulement accompagnée de Lazar, qui n'était pas un compagnon si terrible que ça. Quand il ne prétendait pas trop être quelqu'un qu'il n'était pas. Mais l'aventure ne serait pas possible sans lui et ses bavardages qui lui permettaient d'avoir, sans qu'il ne voulut réellement, des informations qui pourraient être utiles à Rym.

Jusqu'à présent, l'ancienne générale n'avait parlé qu'à peu de divergents. S'il était peu possible de cacher sa divergence, la plupart d'entre eux ne souhaitaient pas en parler et menaient une vie monotone, qu'ils préféraient garder ainsi. Plus ils se faisaient discrets, mieux ça se passait pour eux. Même si elle comprenait ce point de vue, ça la faisait fulminer. Elle ne pouvait pas être la seule qui avait soif de plus de droits, plus de reconnaissance ? Qui en avait marre d'être définie par ce nom de famille ? Est-ce qu'un jour on la citerait même dans l'Histoire, elle qui avait été la générale de Cesare Monteserre ? Est-ce qu'on mentionnerait les conseils prodigués qui avaient sauvé des vies, toutes les fois où il s'était reposé sur elle ? Elle en doutait. On l'oublierait, on l'effacerait, et ça serait comme si elle n'avait jamais été là. C'était quelque chose qu'elle refusait. De temps en temps, elle songeait qu'on la retiendrait, et peu importe que ce fut pour les bonnes ou les mauvaises raisons.

Mais avant de tomber dans de telles actions extrêmes, elle se devait d'y aller de la manière la plus pacifique possible. La plupart des gens pensaient qu'être générale, c'était envoyé tout le monde à la mort et se convaincre que c'était pour le bien de la Cour. Ce n'était peut-être pas faux, elle avait toujours pensé que ses actions avaient été pour le bien de sa Cour, mais si on voulait protéger un peuple, il fallait aussi savoir protéger ses propres soldats. Rym était une stratège, et quand on retournait une situation assez longtemps dans sa tête, on pouvait éviter des pertes. Elle ne comptait pas abandonner cette idée, encore moins lorsque ça serait peut-être des divergents, qu'elle enverrait vers une mort certaine. Elle en avait déjà assez tué ainsi.

Assise à une table d'une taverne dans la Cité de Braises, sans grande surprise, son quartier favori d'Elysium, elle attendait la divergente qui avait accepté de la rencontrer. C'était à force de parler avec Lazar, de tendre l'oreille et de remonter à la source qu'elle avait réussi à contacter une fae de l'Été, qui avait typiquement des traits aubéens. Au moins, ça leur ferait un point commun, et qui sait, ça la pousserait peut-être à parler. Cependant, elle douta de cette information lorsqu'elle reconnut un peu trop bien la tête qui s'approchait de sa table. Elle fronça les sourcils et se raidit par instinct, soudainement un peu plus aux aguets.

-Si j'avais su que c'était toi, j'aurais apporté les plans de la Maison des Bois, ironisa-t-elle alors qu'elle inspectait visuellement l'estivale. Tu donnes la sale impression que tu t'es faite tabasser pour autre chose qu'une intrusion.

Rym Ash'han, la subtilité incarnée. Il fallait dire que le fait que Ninon fut une des rares personne qui réussit à s'échapper d'un combat avec elle, ça n'invitait pas tellement Rym à prendre des pincettes pour lui parler. Mais d'un côté, elles étaient dans le même bateau en tant que divergentes et elle avait vraiment besoin d'informations ainsi que de soutien. Alors elle ferait peut-être preuve d'un peu plus de gentillesse... sans pour autant la quitter des yeux ou se reposer un seul instant.

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La convalescence est longue. Ninon reste alitée longtemps, en proie à une agonie aussi douloureuse qu'exquise, le front perlé de sueur et la mâchoire crispée dans une parodie des sourires mystérieux qu'elle peut habituellement offrir. Sa poitrine reste douloureuse longtemps après cette soirée maudite, longtemps après la chirurgie que Sôta lui a fait subir pour drainer le sang dans son poumon et ralentir l'infection qui commençait à se répandre dans ses veines, mais elle se remet doucement, lentement, avec des gestes délibérés et une série d'entraînements qui cherchent surtout à faire revenir sa souplesse et sa tonicité naturelles.

Le travail est long, toutefois. La frustre volontiers quand elle se heurte à un mur invisible, et elle doit s'admettre soulagée que Sôta ne soit pas là en ce moment, qu'il soit perdu dans les forêts magiques de l'Aube, sur les traces de son propre passé. Ce gamin a plus de courage qu'elle n'en aura jamais.

La conversation qu'elle a eue avec le seigneur Fujihara la ronge de l'intérieur, la garde éveillée parfois la nuit, à songer à des et si sur lesquels elle ne s'était jamais attardée auparavant. Les seuls et si qu'elle a pu avoir ont toujours été centrés sur Sylas, des regrets avec lesquels elle a appris à vivre depuis longtemps, mais cette conversation fortuite dans les sous-sols d'Elysium a ébranlé les fondations de son être tout entier, et la sensation n'est pas des plus agréables.

Elle n'a toujours pas parlé à Obéron.

Alors Ninon essaie de se distraire comme elle peut. Elle se concentre sur sa convalescence, et sur son travail avec le Triumvirat, pour une fois. Si ses camarades s'étonnent de la voir autant, elle qui est habituellement aussi insaisissable qu'un banc de brume, elle met ça sur sa blessure récente avec un sourire un peu tendu qui signale clairement qu'elle ne veut pas en parler.

Quoi qu'il en soit, elle essaie de se distraire. Donc quand l'invitation arrive, elle saute sur l'occasion sans trop réfléchir aux conséquences, ni au fait qu'on la recherche sûrement après cette infiltration au cœur de la sacralité du Crépuscule. Une invitation qui l'amène tout droit au cœur de la cité de braises, dans une taverne qu'elle a rarement fréquentée. Ses pas l'amènent plus volontiers à la cité des étoiles, après tout, mais l'invitation a été acceptée, sans savoir où elle la mènerait, ni vers qui.

Reconnaître les traits de Rym Ash'han, de toutes les personnes qu'Evanor peut compter, lui fait marquer une pause.

La seule fois où elle a eu affaire à la générale du Suprême de l'Automne, elle s'était glissée au cœur même de la Maison des Bois. Par effraction, évidemment, et par pure curiosité, parce que les ambitions du Monteserre sont difficiles à décrypter même pour le plus doué des Chevaucheurs. Elle avait espéré en sortir avec quelques informations, n'en est partie qu'in extremis, et uniquement grâce à des réflexes aiguisés par des dizaines d'années d'entraînement. Alors la retrouver en plein cœur d'Elysium, les sourcils froncés et le dos raide, la met un peu sur ses gardes.

Jusqu'à la remarque pleine d'ironie. Les mots de Rym arrachent un rire à Ninon, qui se transforme rapidement en une quinte de toux douloureuse et une grimace qui la pousse à porter une main à ses côtes malmenées. « Ah, me fait pas rire comme ça, » qu'elle se plaint — avec humour, toutefois, alors qu'elle se glisse dans la chaise en face d'elle avec précaution. Malgré tous les étirements qu'elle peut faire à longueur de journée, elle a encore un peu de mal à se déplacer, surtout au bout de quelques heures. « Oh, c'était une intrusion. Dans un endroit autrement plus dangereux que la Maison des Bois, ne t'en déplaise, et qui s'est finie avec une dague dans le poumon et trois semaines au lit. Tu m'excuseras si je ne fais pas de courbettes ce soir, hm ? »

Pas qu'elle en ait fait un jour, à qui que ce soit. Le respect de Ninon se mérite, et bien peu nombreux sont ceux qui ont réussi à l'obtenir.

Un soupir, alors qu'elle se cale un peu plus confortablement contre le dossier de sa chaise et qu'elle fait signe à un serveur pour passer commande. Elle a besoin d'un remontant, c'est évident sur ses traits, dans les cernes qui soulignent ses yeux. « Alors ? Qu'est-ce qui t'a poussée à me contacter ? Même si je doute sincèrement que tu savais que c'était moi, sinon j'ose supposer qu'on ne serait pas là. » Après tout, ce n'est pas comme si elles s'étaient quittées en très bon termes...

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Parler avec autant de gens en si peu de temps était une chose étrange pour Rym. Elle avait soudainement l'impression d'apprendre à nouveau à parler, à communiquer avec les autres sans hiérarchie, sans partir du principe qu'elle donnait immédiatement des ordres, parce qu'elle était la générale du Suprême de l'Automne. Elle n'avait jamais été une grande bavarde, préférant de loin le silence et la tranquillité de ne pas devoir s'accommoder plus que ça de la dure tâche de devoir faire des efforts de sociabilisation. Mais depuis son départ, elle avait bien été obligée d'en raconter un peu trop. Elle avait appris qu'on ne pouvait pas juste demander aux autres ce qu'ils vivaient et garder jalousement chacun de ses secrets ─ bien ce n'en n'étaient pas vraiment. Mais elle avait passé sa vie à mettre de côté ce qu'on lui avait fait subir parce qu'elle courait inlassablement dans la même direction, chemin qui virait presque à l'obsession tellement elle avait voulu s'élever. Être meilleure. Tout ça pour retourner à la case départ, tout en suivant pourtant la même obsession : la grandeur au point de s'en cramer la gueule s'il le fallait. Elle avait tellement fait ça toute sa vie qu'elle ne se rendait pas compte qu'elle faisait la même chose, sans voir les dangers qu'elle encourait.

Mais Rym avait très souvent ignoré les dangers face à elle, parce qu'elle était bornée. Et peut-être un peu aveugle quant à son propre caractère. Et elle continuerait à l'être, même face à Ninon, qui devait plus ou moins tirer la même tronche qu'elle. La meilleure option aurait été de juste se lever et partir, mais abandonner n'était pas non plus dans les habitudes de l'automnale. En plus, l'estivale semblait mal en point, alors Rym estimait qu'elle avait toutes ses chances cette fois-ci, surtout qu'elle avait déjà vu comment elle se battait. Ninon était plus agile et était toute en finesse, alors que sa force à elle était de la force brute. Il s'agissait de taper fort, en espérant que ça fasse assez mal à la personne en face pour en tirer des avantages.

C'était fou comme elle avait d'abord songer à si elle devait se battre avec l'autre divergente, avant de songer à parler comme des faes bien élevés. Des mots sortirent de la bouche de Rym, loin d'être polis, mais un sourire en coin se tira sur son visage tandis que l'autre femme riait, avant de subir les conséquences de ce rire.

-Visiblement, j'aurais dû songer à une carrière au sein d'un cirque, rajouta-t-elle avant d'écouter les péripéties de Ninon, ignorant bien soigneusement la pique au sujet de leur première rencontre. Elle fronça les sourcils un instant ; elle n'était visiblement pas la seule à ne pas savoir se conserver face au danger apparent de ses actions. A force de jouer avec les limites, on reçoit ce qu'on mérite, elle haussa alors les épaules. Il ne manquerait plus qu'elle eut pitié d'elle, tiens. C'est dingue, récemment je m'attends à ce que tout le monde s'agenouille devant moi et personne ne daigne le faire. J'en suis déçue.

Finalement, un air blasé apparut sur son visage. Ce n'était pas comme si c'était tellement à elle qu'on adressait des marques de respect lorsqu'elle était aux côtés de Cesare. Du moment où elle se trouvait seule, c'était comme si plus rien de ce qu'elle avait accompli n'avait de valeur, et que seulement le Ash de son nom primait. Ceux qui la connaissaient de par son rôle la saluaient simplement d'un "générale Ash'han", avec des intonations parfois de respect, parfois de désintérêt, souvent de dédain. Aujourd'hui, elle n'aurait certainement plus que du dédain.

Jusqu'à récupérer son nom, peut-être. Si elle le récupérait un jour, en tout cas. C'était malheureusement une décision qui ne lui revenait pas, mais elle comptait bien faire peser tous les arguments en sa faveur pour pouvoir être nommée Dugu. Il n'y avait que son vrai prénom, Lin, qu'elle rechignait à reprendre. Elle était habituée à être appelée Rym, et si les deux prénoms n'étaient que peu éloignés dans leur prononciation, elle trouvait que celui qu'on lui avait attribué à son arrivée à l'Automne était plus tranchant. Éloigné de la douceur qu'elle aurait dû être, si elle avait hérité des pouvoirs de l'Aube et grandi parmi sa famille.

L'automnale leur laissa le temps de prendre commande avant de reporter son attention sur Ninon. C'était étrange de vraiment faire attention à son physique maintenant, car elle savait qu'elles avaient les mêmes origines. Elle se demanda dans quel quartier elle aurait pu vivre, auprès de quelle famille, est-ce qu'elles se seraient connues, est-ce qu'elles se seraient appréciées avec d'autres caractères que ceux qu'elles avaient là, forgés par une vie à être un paria de la société.

-Je veux parler au concordat des droits des divergents. Mais j'ai besoin de témoignages et de soutien. Je cherche juste un témoignage de ta part, pour savoir à quel point la plupart des gens se sont comportés comme des connards, et j'éviterai de mentionner que t'as le don pour t'introduire là où il faut pas. Rien de plus, rien de moins.

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C'est étrange, de se retrouver autour d'une table dans une situation presque détendue, quand on considère les circonstances de leur première rencontre. Elles auraient dû se retrouver dans un duel, les armes à la main, et pas autour d'un verre dans une taverne d'Elysium. Rym n'aurait pas dû lui arracher un rire aussi surprenant que soulageant et douloureux, appréciable en dépit de la main qu'elle porte à ses côtes encore tendres et de la façon un peu maladroite dont elle finit par s'asseoir sur sa chaise. Et pourtant, les voilà face à face, prêtes à avoir une conversation... presque civilisée, il semblerait. « Boarf, je pense que ta carrière au sein de l'armée automnale est bien plus jolie que n'importe quelle carrière humoristique. Sans vouloir te vexer. »

Rym Ash'han ne montre aucune pitié, encore moins de compassion. Ninon ne s'en vexe pas, se contente d'un sourire en coin et d'un haussement d'épaules vaguement déconcerné. « C'était une promesse. J'ai tendance à tenir mes promesses, et j'ai du mal à refuser certaines choses à cette personne en particulier. » Sans doute que si Sylas lui demandait de sauter du haut de la Tour du Chaudron pour lui, elle le ferait. Sans hésiter. La seule chose qu'elle lui a toujours refusé aura été une vie normale, à deux, ensemble, parce qu'elle a trop besoin de sa liberté pour la sacrifier. Même pour lui.

Mais peu lui importe. Ce n'est pas le sujet, après tout.

Un nouveau rire, mais elle ne rebondit pas sur le sarcasme dont fait preuve l'automnale, préfère plutôt s'enquérir de leur présence ici à toutes les deux. Rares sont les invitations d'une personne aussi haut placée, même si Ninon s'est tenue au courant des dernières aventures en Evanor et est parfaitement au fait de son départ de sa cour d'adoption. Ca en a fait les gorges chaudes d'Elysium, et la chevaucheuse doit s'admettre curieuse de ses raisons... et du pourquoi de cette petite sauterie improvisée.

Donc elle demande. Et s'autorise un haussement de sourcils surpris à l'explication donnée, la chope de bière de Reistra oubliée un moment devant elle, avant qu'elle ne l'attrape pour s'enfiler une bonne rasade. Ca fait mieux passer l'information, lui tire un petit soupir ravi et un claquement de langue satisfait. « Sacrée entreprise que tu as là. Je connais certaines personnes qui seraient intéressées de te compter comme alliée pour cette cause. » Sylas serait sûrement intéressé, mais elle n'a pas vraiment envie de mettre Rym entre les griffes des Sandmen... ou inversement.

Mais elle songe, Ninon. Repense à des années sur lesquelles elle n'aime pas trop s'attarder, la mine qui s'assombrit malgré elle, le regard qui se perd un instant dans la couleur ambrée de sa bière, qui a un goût soudainement bien amer. Elle se demande, l'espace d'un instant, si elles auraient pu grandir ensemble, si elles n'avaient pas été étiquetées divergentes — les traits de Rym sont aussi aubéens que les siens, un peu moins marqués peut-être, et avec ce qu'elle a appris récemment...

Mais ça ne sert à rien de s'attarder sur ce qui aurait pu être. L'estivale a toujours préféré se concentrer sur l'instant présent, et ce retour vers un passé qu'elle préférerait laisser loin derrière lui fait un peu grincer des dents. Mais elle soupire. Inspire un bon coup. Et raconte, finalement.

« Je suis partie de mon orphelinat à trente-deux ans. J'avais plus rien à y faire et les gens s'intéressent pas à une gamine aussi vieille, de toute façon. Ils préfèrent les mômes encore faciles à modeler à leur propre image. » Ses ongles tapent un rythme nerveux sur la surface de la table, un rythme qu'elle n'a pas utilisé depuis des années, pas depuis qu'elle a quitté les Sandmen, pas depuis la dernière fois qu'elle a vu Velinka. « J'ai dû mentir sur mon âge pour trouver du boulot à Elysium, et encore je crois que c'est uniquement parce que je faisais pitié au patron de la taverne qu'il a accepté de m'embaucher. Mais il refusait de me payer au même tarif que les autres, donc j'étais quand même obligée de voler à la tire pour pouvoir me payer plus qu'un seul repas par jour. »

Puis elle a trouvé Sylas. Ou Sylas l'a trouvée. Ils se sont trouvés, et les débuts de son histoire personnelle se sont amorcés, mais les années avant ça... Elle n'aime pas trop s'y attarder. Et franchement, elle n'a pas eu une existence si dégueulasse que ça, quand elle y repense. Mais peut-être que...

Un moment de pause. « J'ai parlé de ça à personne, mais... » L'hésitation est claire sur le visage de Ninon, qui laisse un doigt tracer le bord de sa chope de bière, avant que finalement elle n'en prenne une bonne gorgée pour fortifier sa volonté. « J'ai... rencontré quelqu'un. Un Fae qui dit être mon frère jumeau. » Obéron sera sans doute vexé de ne pas être le premier au courant, mais tant pis. « Si j'en crois ses dires, notre père aurait fait effacer les souvenirs du reste de notre fratrie pour ne pas avoir à gérer la honte d'une divergente dans la famille. Si ça peut te donner quelques idées. »

Un soupir. Puis elle se laisse aller contre le dossier de sa chaise, une grimace aux lèvres et une main qui se ramène par réflexe à son flanc douloureux, mais elle finit par laisser ses épaules se détendre un minimum, par faire rouler sa nuque et ses poignets. « Si je peux me permettre, qu'est-ce qui t'a poussée à vouloir faire valoir les droits des divergents ? » Depuis le temps qu'elle était au service de Cesare Monteserre, elle aurait pu le faire depuis... longtemps. Plus longtemps que ça, en tout cas. Elle a dû avoir un déclic.

Reste à savoir lequel.

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-T'en fais pas, c'était pas comme si l'humour était ma qualité première, elle renifla légèrement dans une sorte de rire.

Ou alors, il fallait apprécier l'humour particulièrement piquant. Lazar était sa cible favorite, et elle était déjà chanceuse qu'il ne se vexa pas à chaque fois, sinon leur amitié ne tiendrait certainement pas la route. Notons que son égo préférait largement savoir qu'elle était reconnue pour sa carrière plutôt que ce qui pouvait sortir d'entre ses lèvres quand, de temps en temps, elle se sentait d'humeur à bouger ses lèvres pour autre chose que de brèves interactions et des sons qui ressemblaient plus à un animal mécontent qu'autre chose.

Rym arqua légèrement un sourcil. Si elle devait se baser sur ce qu'elle savait, et ce qu'elle voyait, Ninon ne semblait pas être le genre de personne à se plier aisément à la volonté des autres. Cependant, elle non plus, et pourtant elle aurait été prête à s'immoler si Cesare le lui avait ordonné ; elle l'aurait même fait avec plaisir, en pensant qu'elle accomplissait quelque chose pour lui. C'était assez effrayant de voir à quel point on pouvait si aisément se résoudre à tout perdre pour une personne ─ en même temps, qu'est-ce que les divergents avaient vraiment ? Si elle n'avait pas été choisie par lui, il était certain que le reste de son existence aurait été vaine, à être méprisée à l'armée malgré son savoir-faire. A partir de ce fait, ça avait été facile de non seulement s'attirer la loyauté la plus féroce de Rym, mais aussi une dévotion que certains fanatiques de la Mère avaient.

La divergente ne répondit rien, mais elle croisa le regard de l'estivale et ses orbes foncées parlèrent pour elle. Je te comprends, qu'elles disaient, alors qu'il y avait une douleur sous-jacente dans ce regard. C'était certainement un regret qui l'alimenterait toute sa vie, qui était déjà remplie de "et si". Peut-être que si elle avait été normale, elle n'aurait jamais rencontré Cesare et elle n'aurait pas eu besoin de se dire qu'elle aurait dû lui dire il y a longtemps, qu'elle l'aimait. Que ça aurait peut-être changé quelque chose. Mais elle savait très bien que ce n'était pas le genre d'histoire qui, par nature, se finissait bien. Rien ne servait de continuer à vivre dans ce qui aurait pu être dans une autre vie, parce qu'elle ne vivrait que celle-ci, elle en était parfaitement consciente. Pourtant, son cœur chantait une toute autre chanson.

Toujours aussi silencieusement, elle écouta ce que Ninon avait à lui dire. Elle voulait lui demander s'il n'y avait pas plus, mais elle aurait été mal placée pour lui tirer des tirer les vers du nez, étant donné qu'elle ne parlait rarement aussi de sa vie avant son rôle de générale. Le souci, c'était qu'elle avait mis des années à comprendre qu'on ne pouvait pas enterrer le passé ; le silence ne réparait rien. Le silence n'avait effacé aucune cicatrice, ni n'avait rendu sa condition plus facile à vivre. Elle but alors, en quête des mots qui allaient suivre, mais l'estivale enchaîna sur un sujet qui serait plus fâcheux à aborder avec un non-divergent. Rym se raidit un peu sur sa chaise en essayant d'avaler sans que ça passa par le mauvais trou et, en déposant sa chope, pinça ses lèvres entre elles. Elle observa les alentours, en quête de quelqu'un qui pourrait potentiellement écouter leur conversation, mais tout le monde paraissait occupé à papoter dans son coin, certains jouaient même aux cartes en râlant bruyamment.

Deux options se présentaient à elle : soit elle continuait à se terrer et à jouer le même rôle qu'elle avait joué pendant des décennies, soit elle disait la vérité. Elle arrêtait un peu de se mentir à elle-même, et elle se délaissait d'un poids, en partie. Un instant, elle regarda le contenu de la chope, hésitante. Elle était tendue, ça se voyait aisément à ses muscles, elle contrôlait sa respiration comme si c'était un exercice. Enfin, elle soupira et ses épaules s'affaissèrent un peu.

-J'ai commencé à me rappeler de quelques bribes d'avant ma vie à l'Automne. Avec un peu de... perspicacité, j'ai réussi à trouver qui j'aurais dû être. On va dire que les "et si" que je méprisais sont devenus très réels. J'ai passé ma vie à avoir honte de ce que je suis, et à culpabiliser de ce qu'on m'a infligée, comme si j'étais coupable de qui je suis. Et je me suis dit que si j'avais pas porté le nom Ash'han, je me serai jamais rendue compte de ça. Puisque personne d'autre ne semble disposer à prendre la parole, je me dis que j'ai assez de colère pour le faire, elle haussa finalement les épaules.

C'était naturel pour Rym d'être en colère, c'était sa nature la plus profonde, la raison de pourquoi elle n'était pas une aubéenne. Elle était une automnale parce que le feu vivait en elle aussi certainement que du sang coulait dans ses veines, et elle ne pouvait pas faire autrement que l'exprimer par période. Elle avait peur de ce qu'elle pourrait faire si seulement elle exprimait tout ce qu'elle avait contenu pendant des années, mais elle avait encore plus de peur de continuer sur la voie qu'elle avait préféré suivre en ignorant son mal-être ainsi que celui des autres divergents.

-A l'automne, on commence une formation militaire dès qu'on émerge. Je ne me souviens plus de l'âge que j'avais, mais j'avais peu d'amis, voire pas du tout. C'était pas faute d'en vouloir. Autant dire que je suis tombée dans le premier piège et quand un gars m'a séduite, je n'ai pas réfléchi plus loin. J'ai fini avec une superbe cicatrice à l'épaule, à moitié nue, dans une tente où je criais en sachant qu'il y avait peu de chance qu'on vienne m'aider. Bienvenue dans la vie d'un divergent, Rym, se moqua-t-elle finalement avec amertume. J'ai été chanceuse qu'un homme, un fae, m'a entendu et a passé de longues années à m'aider, mais... C'était pas assez, elle secoua alors sa tête.

FT @Ninon Bayl'doren // Mars 838

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« Oh, j’aurais tendance à dire le contraire. Mais je crois que la majorité de la population n’est pas faite pour comprendre ton genre d’humour. » Un humour piquant, plein d’un sarcasme et d’une ironie que Ninon apprécie volontiers, qui lui tire un nouveau sourire avant qu'elle ne donne de vagues raisons quant à cette blessure encore un peu tendre et quant à pourquoi elle a encore eu la bonne idée de s'infiltrer là où elle n'aurait pas dû. Elle ne rate pas le haussement de sourcils de Rym, toutefois, et toute l'expression de l'estivale s'adoucit d'un coup. « Âme sœur. Sans doute que s'il me demandait de sauter d'un pont, je lui demanderais où, quand et comment. » Ninon n'a jamais été du genre à se plier facilement à la volonté des autres, non. Véritable feu follet, son besoin de liberté l'a poussée à sacrifier une partie de son être en brisant un serment solennel, mais dès qu'il s'agit de Sylas, sa volonté a tendance à fondre comme neige au soleil. Elle pourrait tout lui donner, le ferait volontiers, en dehors de quelques principes qu'elle garde encore — cette liberté qu'elle chérit en premier.

Sans doute que Rym doit comprendre. Sa loyauté aveugle envers le Suprême Monteserre n'était pas un secret, après tout, et si aujourd'hui elle s'est séparée de lui pour suivre son propre chemin, difficile d'oublier toutes ces années de service infaillible.

Mais ce n'est pas le sujet. Des questions se posent, des ambitions se dévoilent, et même si Ninon n'aime pas trop parler de sa vie d'avant, avant que Felthran la trouve, avant que les Chevaucheurs deviennent sa famille, avant qu'elle ne rencontre Sylas, elle conte un peu, en quelques mots, les galères qu'elle a pu subir en raison de cette étiquette de divergente qui lui colle à la peau autant qu'à celle de Rym.

Elle passe sous silence les embrouilles multiples avec la milice d'Elysium, les mains aux fesses, les remarques graveleuses qui l'ont longtemps suivie, parce que de toute façon elle n'est qu'une divergente, une moins que rien qui n'a pas les mêmes droits que les autres Faes. Ce n'est pas comme si revenir dessus allait changer le passé, de toute façon, et elle n'a aucun doute que Rym a subi exactement la même chose, à cause de cette étiquette autant qu'à cause de son sexe.

Mais Ninon a ses propres questionnements. Des questions qu'elle pose sans pudeur, sans vraiment s'attendre à une réponse non plus quand elle voit la façon dont l'automnale se tend, les épaules rigides et les sourcils froncés, pourtant elle répond. Franchement, simplement, et l'estivale se contente d'absorber l'information, l'expression pensive et un doigt qui trace le bord de sa chope de bière lentement. Elle ne dit pas tout, loin de là, mais elle en dit assez pour que Ninon soit capable de quelques suppositions qu'elle gardera pour elle-même. Elle préfère écouter, en silence, alors qu'elle se livre un peu plus encore.

C'était pas assez, qu'elle dit. Ce ne sera jamais assez, Ninon le sait. Elle reste silencieuse encore un moment, pensive, le regard qui se perd un moment sur la tablée en train de jouer aux cartes de la plus bruyante des manières. L'un d'entre eux vient de perdre sa mise et fait clairement savoir à qui veut bien l'écouter que ses camarades sont des tricheurs. « J'étais tellement désespérée de trouver quoi que ce soit qui puisse m'accepter telle que je suis que j'ai donné un serment solennel au premier venu. » Rym a offert, après tout. Ninon aime les choses équitables, alors elle offre en retour, même si le souvenir lui tire une petite grimace inconfortable.

Elle cherche clairement ses mots. Elle ne veut pas entièrement trahir la confiance des Sandmen, parce que Sylas en fait encore partie et qu'elle refuse de le mettre en danger, mais il y a certaines vérités qu'elle doit avouer, autant à l'automnale qu'à elle-même. « Il y a un... groupe. Je suis rentrée en contact avec eux un peu par hasard, parce que je voulais voler un truc sur lequel ils avaient les yeux depuis un moment et que j'ai croisé un de leurs agents sur place. On m'avait promis une famille, quelque part où j'aurais pu être libre, où j'aurais pu être moi-même sans concession, mais... » Un soupir, ensuite. Sa tête bascule en arrière un instant pour observer le plafond de la taverne, avant que son regard ne retombe finalement sur le visage de Rym. « Leur leader exige un serment solennel de quiconque souhaite rejoindre cette famille. »

Le mot est craché comme une insulte. Oh, elle a su se trouver un petit noyau dur au sein des Sandmen. Sylas, évidemment, et Velinka, le coeur qui se serre et le visage qui se hante d'une vieille douleur quand elle repense à la blonde. Elle doit tellement la détester maintenant... Mais elle se ressaisit, reprend l'explication, le visage qui se referme soudain. « Je l'ai donné, ce serment, malgré la jugeote qui aurait dû me dire de prendre mes jambes à mon cou et de me barrer le plus loin possible. Je suis restée quelques années avec eux. J'aurais dû m'abstenir. » Elle lève sa tunique, assez pour dévoiler la brûlure sur son flanc qui déforme le tatouage qui prouvait sa loyauté depuis longtemps révoquée. La blessure n'est pas jolie à voir mais elle est vieille, même si elle en subit encore les conséquences. « Après tout, un divergent ferait n'importe quoi pour qu'on l'accepte. »

L'amertume dans sa voix est évidente, et le sourire qui étire ses lèvres manque cruellement d'humour alors qu'elle laisse retomber sa tunique comme si de rien n'était. « Résultat, je n'ai plus d'odorat, je suis à moitié sourde et définitivement pas aussi puissante que je devrais l'être magiquement, mais je suppose que je suis encore en vie. Et j'ai trouvé mieux depuis. » Les Chevaucheurs auront toujours sa loyauté entière et immuable, en dépit du long chemin qu'elle aura eu à parcourir pour les trouver. « Mais effectivement, ce ne sera jamais assez. »

Avec un grognement, Ninon finit par se redresser sur sa chaise, le pli de sa bouche désagréable, les sourcils froncés. « Je ne t'accompagnerai pas devant le Concordat. Il vaut mieux que mon visage reste inconnu, surtout après ce que j'ai fait récemment, mais si tu veux je peux récolter quelques témoignages supplémentaires au sein des miens. Nous avons quelques divergents en dehors de moi, et bien rares sont ceux qui ont eu une vie paisible. » Ce qui ne fait que prouver que les choses doivent changer. Et vite.

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policy of truth

Now you're standing there tongue tied ; You better learn your lesson well — Hide what you have to hide And tell what you have to tell.

we met before but nice to meet you

Une petite grimace apparut sur son visage à sa remarque. Elle était presque du même avis - on va dire que Rym faisait largement partie de ceux qui faisaient de l'humour avec un fond de vérité, parce que souvent ça passait un peu mieux que juste dire la vérité. C'était aussi pour ça qu'elle parlait peu, bien que Lazar commençait un peu trop à s'habituer à ses paroles, et qu'elle arrivait même à ne pas toujours le tacler dès qu'elle ouvrait la bouche. C'était déjà un grand progrès étant donné qu'il pouvait rapidement l'exaspérer ; tout autant qu'il pouvait lui faire plaisir rien qu'en étant là, parce que la solitude l'avait certainement plus affectée qu'elle n'avait voulu lui dire.

-T'en fais pas qu'il y a pas besoin du lien d'âme sœur pour répondre à toutes les demandes d'une personne. Si Cesare m'avait demandée d'annihiler le monde puis de m'immoler, je l'aurais fait sans discuter. Avant.

Elle se sentit obligée de préciser, parce qu'elle ne voulait plus que ça soit vrai. Rym ne voulait plus obéir sans se poser des questions, et par pitié, les bonnes. Et le pire c'était qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de le trahir, parlait toujours du Suprême par son prénom, dit avec amertume et en même temps un sentiment sous-jacent, la tendresse qui se mélangeait à la colère. Elle ne pensait pas qu'elle pourrait totalement tamiser la colère qu'elle ressentait à l'égard de l'automnal, mais elle savait tout aussi bien que c'était égal à ce qu'elle éprouvait d'autre pour lui. Et jusqu'à présent, même si elle avait pris ses distances, rien n'avait diminué.

Mais il fallait que ça change. Peu importe les chemins qu'elle devait emprunter pour ne plus ressentir ça pour Cesare, elle ne comptait pas passer sa vie à pleurnicher après lui. Elle avait fait son choix, et il impliquait de ne plus jamais s'immoler pour personne. C'est peut-être à force d'être face aux mensonges de Cesare qu'elle décida d'offrir une partie de la vérité à Ninon, et de toute façon, les informations manquantes étaient sensibles à dire en public, et encore plus à cause de son serment solennel. Il n'était pas nécessaire d'être un érudit pour savoir qui lui avait révélé la vérité sur ses origines, la seule personne de son entourage qui avait les moyens de le savoir. Le reste de ce qu'elle racontait, c'était une preuve de bonne foi, parce qu'elle avait compris qu'on ne pouvait pas demander aux gens de donner sans rien en retour, si ce n'était une promesse de porter leurs mots et espérer que le Concordat écoute et comprenne réellement ces mots.

Et elle avait eu raison. Elle écoutait attentivement l'histoire de l'estivale qui faisait douloureusement écho à ce qu'elle avait vécu elle-même. C'était assez perturbant comme la plupart des divergents connaissaient la solitude, et même si elle était leur meilleure compagne, ils voulaient la fuir. Ils cherchaient après un endroit où il n'y aurait pas besoin de prétendre, où leur nom n'aurait aucune importance, mais ça en avait toujours. La plupart du temps, ils voyaient une aubaine en chaque proposition parce que c'était rare qu'on leur en fasse, alors ils ne réalisaient pas qu'on leur mentait. Qu'on allait abuser d'eux. Elle avait déjà entendu cette histoire, elle prenait juste les traits d'une autre personne à chaque fois qu'elle entendait un divergent en parler.

Et c'était là que la colère montait. Ce n'était pas quelque chose que Rym cachait aisément, alors ça se voyait, parce qu'elle bougeait un peu plus sur sa chaise, parce que ses doigts tapaient à un certain rythme qui trahissait non seulement son impatience, mais aussi le feu qui ne diminuait jamais chez elle. Il pouvait se calmer momentanément, mais elle ne cachait pas moins un brasier en son sein, et la Mère elle-même ignorait à quel point il pouvait brûler. Puis y avait ce restant d'un serment solennel sur la peau de Ninon, alors soudainement l'automnale se sentit lâche, parce qu'elle avait abdiqué à en prendre un autre, parce qu'elle avait craint ce qui se serait passé si elle avait refusé, si elle avait juste tourné le dos et pris toute sa liberté.

"Et j'ai trouvé mieux depuis." Elle arqua légèrement un sourcil. C'était vraiment possible de trouver mieux pour des gens comme eux ? Elle ne prétendrait pas qu'elle pourrait offrir quoique ce soit à quelqu'un un jour, encore moins à un autre divergent. Pour ça, elle était trop renfermée et froide, et très sincèrement, elle n'aurait jamais voulu avoir une mentor comme elle. Mora avait été excellent et elle n'avait clairement pas hérité de ses techniques pédagogiques, et pourtant, elle avait été une figure de référence.

-Être encore en vie après tout ça est quand même une mince satisfaction quand même, railla-t-elle, parce que ça lui semblait peu, parce qu'elle Rym, même à ses propres yeux, était toujours une arme et tout son corps comptait, ainsi que chacun de ses pouvoirs. Juste écouter leurs histoires et me les rapporter suffira, ça sera déjà plus que je n'ai réussi à dégoter moi-même.

Elle devait bien avouer ça. Faut dire que c'était foutrement étrange que l'ancienne générale apparaisse soudainement au pas de votre porte pour parler de votre divergence, à croire qu'elle faisait un recrutement pour réitérer l'Obélisque. Cette idée la répugnait, mais si quelqu'un utilisait à mal ses recherches, c'était le genre d'évènement qui pouvait encore se produire. C'était pour ça qu'elle essayait de garder le moins de traces écrites possible, mais si sa mémoire était bonne, elle ne pouvait pas non plus se souvenir de tout à l'aide simplement de son cerveau.

-Merci de l'aide. Et évite de t'introduire quelque part où j'suis censée monter la garde, j'aime pas tabasser les personnes en état de faiblesse, elle rajouta avec un grand sourire sarcastique, parce que si Rym ne s'était pas faite tabasser lors de leur première rencontre, eh bien Ninon non plus. Elle lui avait filé entre les doigts comme une anguille et l'automnale avait juste passé des jours à râler comme un cochon à ce sujet. Jusqu'à peu, je n'ai jamais pensé au fait que les divergents sont sans rien. Les faes, ceux qui ont leurs pouvoirs normalement, se retrouvent toujours dans des groupes ou des organisations. Les illyriens ont leurs chefs et organisations aussi. Les hybrides sont beaucoup moins aimés mais certains se fondent dans un groupe où l'autre. Mais nous, on peut aller se faire foutre. A qui se plaindre quand on est traité comme de la merde ? Vers qui se tourner quand on abuse de nous, quand on nous exploite et qu'on a pas le cran de parler pour nous-mêmes ? A croire qu'on existe même pas ou qu'on ferait mieux de nous oublier, comme si on était des erreurs. Je suis venue à penser que la plupart ont peur parce qu'ils savent qu'en nous, tout est possible. C'est une vision plus optimiste, dira-t-on.

FT @Ninon Bayl'doren // Mars 838

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--- But maybe that was

the trick of it: to survive, to dare to stay alive, to forge your own hope when all hope had run out.