all you have is your fire (ft. Dana)

Il y avait beaucoup de choses que Rym n'appréciait pas, c'était vrai. Plutôt d'un caractère rabat-joie et particulièrement stricte à cause de l'armée, mais aussi à cause de sa condition, elle était une personne très penchée sur la discipline. Lorsqu'elle avait commencé à gravir les échelons à l'armée, elle avait dû être exemplaire. Elle avait dû être respectée, et c'était difficile quand on portait le petit "Ash" qui la désignait comme divergente. Il aurait été plus aisé si elle avait été illyrienne, étant donné qu'ils sont traités comme les égaux des faes à l'Automne. Mais elle n'était pas une fae normale, ni illyrienne. Elle était moins qu'eux, et ça lui avait demandé plus de travail. Elle avait été chanceuse d'avoir Mora à ses côtés, mais elle n'avait pas pu se contenter de se reposer sur lui. Le mérite avait une place importante, et elle s'était battue bec et ongles pour chaque grade, chaque récompense. Pourtant, ce n'était pas réellement le mérite qui l'avait conduite à être générale : c'était juste le fait qu'elle avait mieux appris à survivre. Que le feu brûlait si ardemment en elle qu'il ne laissait aucune place au doute, aucune plus à l'idée de mourir. Elle regrettait l'absence de réflexion lorsqu'elle était entrée à l'Obélisque. Elle regrettait d'avoir passé dix ans sans revenir sur cet évènement, le laissant dans le passé, en se disant que c'était eux ou elle. Elle s'était laissée avoir par sa fierté et son désir de grandeur. Ensuite, elle s'était faite avoir par ses sentiments envers Cesare. Mais elle ne parvenait pas à regretter réellement d'avoir survécu. Ce qui était déplorable, c'était la manière dont elle l'avait fait.

De temps en temps, elle regrettait aussi de ne plus pouvoir jouer de son rôle de général, surtout quand elle entendait des chuchotements depuis son entrée dans la taverne. Elle était juste là en repérage, de retour au sein de la maison Kozlov que Lazar lui permettait de squatter, en attendant de savoir où se poser. Rym était un peu plus perdue qu'elle ne voulait l'admettre. Retourner à l'Automne était impensable et serait une erreur, car elle saurait très bien qu'elle finirait par retourner auprès du Suprême. La Nuit n'était pas un mauvais endroit où rester, mais elle ne s'y sentait pas réellement à sa place. Quant à Elysium, elle pourrait peut-être y trouver un certain équilibre, mais encore une fois, ça ne serait jamais chez elle. Certainement qu'être chez soi était un concept abstrait, quand on nous forçait à oublier notre enfance. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle aurait suivi Cesare jusqu'à l'autre bout du monde s'il lui avait demandée. Et pourtant, c'était elle qui était partie.

Rym soupira et passa une main sur son visage, plus du tout concentrée sur son repérage, mais l'esprit obsédé par ce que les ailés racontaient d'elle. Leurs regards lui brûlaient le dos et elle-même commençait à sentir que sa patience vrillait. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait plus senti ça. Généralement, les gens craignaient un peu trop le courroux du Suprême de l'Automne pour oser déblatérer ouvertement sur le dos de la divergente, mais elle était seule, et ça n'allait certainement pas être la réputation de Lazar qui allait la sauver. Le type se retrouvait dans plus de soucis qu'elle n'était capable d'en régler, et elle doutait fortement que ses actions furent bonnes en dehors de ce qu'il faisait pour l'aider. Elle ne pensait pas qu'il était une mauvaise personne, mais il pouvait être une meilleure version de lui-même, c'était une certitude.

Un éclat de rire parvint à ses oreilles. Cette fois, elle perdait son sang froid. D'un geste, elle se détourna du comptoir et se dirigea vers leur table, posant ses mains à plat sur celle-ci, interrompant leur petite conversation. Elle sentait qu'il y avait une source de feu assez proche pour qu'elle sentit l'appel des flammes, pour qu'une voix intérieure lui dit de ne pas laisser passer ces moqueries. Mais elle était un être de discipline, et elle avait appris qu'écouter le feu était rarement une bonne idée. Les regardant un par un, elle arqua un sourcil, ses doigts se mettant à taper en rythme sur le bois de la table.

-Vous aviez quelque chose de drôle à partager ? Non parce que mes grandes oreilles vous ont entendue et je suis très curieuse de savoir si je peux rire avec vous, qu'elle lança avec sarcasme.

C'était bas de rappeler qu'elle était au moins fae, héritage prouvé par ses oreilles pointues, alors qu'eux étaient ailés. Cependant, elle savait très bien qu'ils ne se moquaient pas d'elle à cause de ça, mais parce qu'ils devaient la reconnaître et savoir qu'elle était désignée par son nom Ash'han. Puis, très sincèrement, elle avait bien envie de cogner sur quelqu'un. Et elle ne doutait pas du fait que ça allait très vite arriver si aucun d'eux ne jouait le jeu pour calmer un peu la colère qui commençait à se lire dans son regard.

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@Rym Ash'han

Accoudée au comptoir d’une taverne, Dana ressassait sa conversation avec Lazar en noyant sa déprime dans un verre de whisky. Elle n’avait pas eu l’envie de rentrer n’ayant pas le courage d’affronter les regards interrogateurs des membres de sa famille qu’elle aurait pu croiser. Le patron lui avait servi déjà deux verres et du coin de l’œil, il lui lançait quelques regards réconfortants. Ayant passé sa vie à Velaris, la Volyn connaissait une bonne partie de la population et ce vieux fae était dans le coin depuis quelques dizaines d’années. D’un clin d’œil amical, elle lui assura que ça irait. De toute manière, elle ne prendrait pas de troisième verre ; elle voulait juste se laisser aller à la déprime, quelques minutes supplémentaires. Ce monde était parfois une véritable merde, en enfer ambulant, particulièrement pour les personnes comme elle. Différente. Un nœud se forma dans sa gorge alors qu’elle pensait à son enfance, à l’injustice avec laquelle on lui avait volé le droit de grandir avec ses frères, à l’injustice qu’avait été de devoir dissimuler son identité au milieu de la noble société pour être mieux acceptée et à l’injustice qu’elle ressentait chaque fois qu’un client la rejetait à cause de sa nature d’hybride. Parce qu’elle était moins digne de confiance. Putain, Lazar avait osé ne rien dire, s’en accommoder pour ses propres affaires. Une gorgée de son whisky lui brûla la gorge. Elle détestait le whisky d’habitude mais ce jour-là, elle l’avait préféré au rhum.

Cette mésaventure lui avait rappelé la fois où Fenrys l’avait recueilli à la Cour de l’Hiver. L’hybride ne put s’empêcher un rire à ce souvenir, tout en faisant tourner l’alcool encore présent dans son verre. Le client avait qui elle faisait affaire, à l’époque, l’avait mise dehors dès qu’il avait appris son hybridité, alors qu’il était censé l’héberger le temps de la transaction. C’était l’une des rares fois où Dana s’était sentie effrayée et extrêmement vulnérable ; elle connaissait les traitements réservés à ceux de son espèce à la Cour de l’Hiver et en pleine nuit, toutes les atrocités étaient possibles. La Volyn, de nature bienveillante, n’était pas étrangère aux monstres qui rôdaient dehors, son propre père s’étant fait assassiner dans les rues de Velaris pour avoir fait affaire avec les mauvaises personnes. Un soupir s’échappa de ses lippes. Fenrys l’avait aidé cette nuit-là. Il s’était approché, elle avait demandé l’adresse d’un endroit où dormir. L’hivernal lui avait généreusement offert le gîte et le couvert ; ce fut le début d’une improbable et chaleureuse amitié, avec une dette qu’il lui restait encore à rembourser. Alors que Lazar, qu’elle connaissait depuis l’enfance, avec qui elle était allée à l’école, avait osé lui balancer toutes ces immondices au visage. Quel satané crétin.

Des éclats de rires retinrent l’attention de Dana, coupant le fil de ses pensées déprimantes. Lentement, elle suivit le regard d’un groupe d’ailés qui se trouvaient à quelques tables d’elle, et qui regardait une fae au visage familier. La Volyn resta plusieurs secondes, les yeux fixés sur la femme, essayant de se souvenir où est-ce qu’elle l’avait déjà rencontrée. Les éclats de rires, qui se faisaient de plus en plus forts, l’arrachèrent à sa contemplation et son regard se porte à nouveau sur le groupe d’ailés. Ce n’est qu’alors que la jeune femme s’avança vers eux et décida de les provoquer. Sa tirade provoqua un rire chez Dana, elle l’avait trouvé drôle et particulièrement efficace. Triturant son saphir elle hésita, puis finalement, elle but son verre d’une traite avant de se lever et de se diriger à son tour vers la table des ailés sous le regard accusation du patron de la taverne. L’hybride avait reconnu la fae, le son de sa voix lui rappelant le souvenir de quelques saisons sociales. Sa présence à Velaris soulevait beaucoup de questions mais elles furent toutes effacées par cette simple pensée : encore des imbéciles qui profitent des différences. C’était le mauvais jour, le mauvais moment. D’un coup sec, elle tira une chaise au bout de la table qui s’assit dessus sous le regard médusé des ailés, puis elle adressa un sourire à la fae. « Je m’ennuyais. » Dit-elle simplement avant d’ajouter : « Et puis, je suis particulièrement curieuse, moi aussi, de savoir ce qui vous fait autant rire. Le sujet avait l’air tellement passionnant du comptoir, ce serait dommage que vous le gardiez pour vous. » Un sourire hypocrite, irrité, s’afficha sur son visage. « Oh, moi c’est Dana Volyn. » Qu’elle dit, en montrant toutes ses dents ; tant pour dévoiler son identité à la fae qui se trouvait à l’autre bout de la table, que pour donner une chance aux ailés. Le problème à Velaris, c’était que les bagarres pouvaient facilement arriver aux oreilles du capitaine de milice et que, c’était son frère. Si ces gars n’étaient pas des imbéciles, ils partiraient d’eux-mêmes.

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Rym avait longtemps pensé que les commentaires sur sa nature ne la touchaient pas. Elle avait continué d'avancer, sans prêter attention aux autres ; elle avait reçu une seule cicatrice due à une trahison et c'était hors de question qu'elle en reçut une autre parce qu'elle avait baissé sa garde. Cependant, elle devait bien avouer que prétendre n'était pas une vérité. Chaque remarque avait creusé un peu plus un fossé entre elle et les autres. Beaucoup de gens prenaient ça pour un geste de supériorité, et il était vrai qu'elle avait de l'égo, mais au départ, ça avait été mué par sa crainte des autres. De ce qu'ils lui feraient. Sa condition avait éveillé des insécurités qui n'avaient fait qu'alimenter ses efforts pour être la meilleure, pour prouver ce qu'elle était au delà du nom Ash'han. Un millier de fois, elle s'était demandée pourquoi elle était divergente ; était-ce sa nature profonde qui l'avait menée à être ainsi, ou était-ce le fait d'être divergente qui lui avait demandé d'emprunter des chemins bien différents, plus éloignés de qui elle aurait dû être ? Elle n'avait jamais eu de réponse à cette question existentielle, et elle s'était contentée de se dire que c'était ainsi, qu'elle ne pouvait pas changer qui elle était. Mais maintenant, elle songeait qu'elle pouvait changer la donne pour les autres.

Ça revenait certainement à foncer droit dans le mur. Le Crépuscule avait la capacité de se jouer de tout, et la plupart des gens étaient trop impressionnés pour les contredire. Cependant, elle ne craignait nullement les prêtresses, étant même venue à mépriser la Foi et la Mère elle-même. Si la Mère était foutrement bienfaisante, pourquoi est-ce que Rym était divergente ? Pourquoi l'avait-on oblitérée, pourquoi était-elle dénommée par son nom ? Sans compter les fameuses lois qui leur retiraient des droits. Clairement, ce n'était pas auprès d'elle que la Mère avait la cote, et ça ne s'apprêtait certainement pas à changer. Elle voulait aller à l'encontre même de tout ce qu'on la forçait à être. Elle n'allait ni taire sa condition, ni taire la frustration que ça créait chez elle ─ elle n'allait pas non plus laisser passer ce qui se passait dans son dos.

Néanmoins, elle fut surprise de la personne qui s'installa en bout de table, et qui semblait être particulièrement de son côté. Elle analysa un moment son visage, le resitua. Vaguement croisée lors des saisons sociales, il lui semblait que c'était une nocturne pure souche et qu'elle travaillait dans l'art. Ensuite, sa voix lui rappela un souvenir plutôt vif, d'une dispute... qui était avec Lazar. Elle était partie de la demeure avant d'avoir le fin de mot de cette histoire, s'échappant aisément par une fenêtre, mais elle se souvenait que ça avait été particulièrement houleux. Soudainement, elle douta un peu plus de son soutien.

A l'annonce de l'identité de la Volyn, certains ailés semblèrent se tasser un peu, préférant se faire plus petit. Rym fut légèrement piquée à son égo en constatant que ce n'était pas tellement les représailles de l'automnale qu'ils craignaient, mais bien de ce que ça ferait d'entrer dans un combat en sachant que ça pourrait être une information rapidement partagée. Une grimace passa sur son visage à cette pensée. Est-ce qu'elle devrait réellement dévouer sa vie à prouver qu'elle n'était pas un détail qu'on pouvait aisément négliger ? Pendant un instant, elle se redressa et s'apprêta à faire demi-tour. Mais visiblement, il y en avait un parmi eux qui avait déjà reçu tellement de coups qu'il en avait perdu tous ses neurones.

-On s'demandait juste combien de fois elle avait dû se mettre à genoux face au Suprême de l'Automne pour qu'il oublie c'qu'elle est, et elle entendit la pure moquerie dans sa voix.

Rym s'arrêta brusquement dans son geste. Déjà ses mains lui brûlaient, et un rien de temps, tout son être avait l'impression de se consumer. Mora n'avait jamais cessé de lui répéter que le feu était un élément dangereux, que si on lui laissait trop de place, il dévorait tout, ne laissant que des cendres derrière lui. Elle ne pouvait pas utiliser les flammes dans un endroit fermé, mais ce catalyseur allait lui donner toute la force et l'énergie dont elle avait besoin pour le remettre correctement à sa place. En une fraction de secondes, elle se déplaça et son poing atterrit contre le nez du type, sentant l'os qui cédait, et elle lui laissa le bénéfice du doute un instant.

-C'est peut-être toi qui devrais t'agenouiller face à moi, railla-t-elle en agitant ses doigts, prête à riposter.

Et dans un bruissement de plumes, il se leva à son tour et le chaos s'invita au sein de la taverne, emportant les deux femmes dans un combat.

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@Rym Ash'han

Une grimace fugace passa sur le visage l’ancienne Générale du Suprême de l’Automne. Un instant, elle allait presque faire demi-tour jusqu’à qu’un des voyous qui se trouvaient accoudés à la table ne la retienne par une provocation vulgaire. L’insinuation qu’une femme, peu importe sa nature, soit obligée de s’agenouiller et de s’abaisser à effectuer des actes de plaisirs pour être reconnue, eut le don d’attiser une immense colère chez Dana. La réflexion la ramena quelques heures plus tôt, à sa dispute avec Lazar alors que celui-ci lui avait fait part des réticences du client à lui faire confiance à cause de sa nature. Hybride, illyriens, divergents, ils connaissaient tous le rejet et la maltraitance. Les divergents, sont ceux qui en bavaient le plus ; ils étaient arrachés à leurs familles, puis ils étaient rejetés, ils effrayaient et souvent, ils étaient traités comme des abominations. La Volyn n’y avait jamais vraiment réfléchi, elle s’était laissé porter par sa foi en la Mère et longtemps, elle n’avait regardé que ses propres malheurs. La vision de la Générale ne la ramenait pas seulement à sa dispute avec le Kozlov mais aussi à son propre égoïsme, d’avoir gardé les yeux fermés sur le monde si longtemps. Un soupir s’échappa de ses lèvres alors qu’elle observa la divergente jeter son poing sur le nez de l’idiot. Ces derniers temps, elle se trouvait toujours au mauvais endroit, au mauvais moment. Ou peut-être que ce soir, ce serait le bon endroit au bon moment ? Quoiqu’il en soit, la Volyn se leva et ancrée sur ses deux pieds elle tapota l’épaule de l’homme qui venait de se lever avant de lui envoyer à son tour son poing dans la figure. De toutes ses forces. « Tu devrais me remercier. Les gonflements sur ton visage seront plus harmonieux demain matin au réveil. » Dit-elle un sourire sur les lèvres. Par la Mère, ça faisait du bien de se défouler…

Sans attendre, pendant qu’il était encore sonné, elle crocheta ses pieds alors qu’un autre homme lui attrapa le bras pour la tirer en arrière. « La dame a demandé à ce que tu t’agenouilles, espèce de gros nigaud. » Dit-elle avant de se retrouver face au visage énervé du patron. C’est toute la table qui s’était levée à présent ; certains étaient prêts à entrer dans la mêlée, d’autres essayaient de calmer le jeu. Dana, elle, haussa les épaules. Elle en avait plus que marre d’être sérieuse, courageuse, ou réfléchie. Pour une fois, la nocturne voulait être stupide et impulsive, elle voulait envoyer tout le monde se faire foutre, peu importe si l’incident remontait aux oreilles de ses frères. Alors, le bras toujours maintenue par le patron, un sourire niais sur le visage, elle envoya un clin d’œil à l’ancienne Générale.

C’est l’un des autres ailés qui, touché par la raclée que venait de se prendre son compagnon, poussa un grognement avant de se jeter en direction des deux femmes. Dana se détacha du patron, avant d’esquiver un coup de poing et d’attraper une chope de bière pour l’envoyer dans la tête de ce second adversaire. Plus elle frappait, plus elle agissait de manière irréfléchie, plus ses blessures de la matinée semblaient se refermer. Ce n’était qu’un pansement temporaire mais qui procurait un bien-être précieux. Les bras l’encerclèrent à nouveau pour l’éloigner des ailés. Elle put observer que les mêmes gestes furent appliqués à l’ancienne Générale, alors que le patron avait appelé quelques serveurs en renforts. Certains retenaient les ailés tandis que d’autres poussaient les deux femmes verres la sortie de la taverne. « Oh, oh. Bien sûr, c’est nous qu’on fout dehors, pas eux. » Grogna-t-elle énervée. « Vous devriez avoir honte ! » Qu’elle cracha alors qu’on la poussait dehors sans ménagement. Elle épousseta sa robe, qui par miracle cette fois-ci, était restée intacte. La nocturne poussa un long soupir, alors que son regard se porta vers la divergente qui se tenait un mètre plus loin. La Volyn s’avança d’un pas et brisant le silence qui s’était installé, elle tendit une main, afficha un sourire discret et dit : « De meilleures présentations s’imposent. Enchantée, je m’appelle Dana. » Peut-être qu’elles pourraient se trouver une autre taverne ? Ou alors, se rendre sur les autres de la ville pour profiter de la vue ? Quoiqu’il en soit, elle était bien décidée à faire connaissance avec cette ancienne Générale, qui suite à cette rixe, lui paraissait sympathique.

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Elle avait essuyé des remarques du genre pendant presque onze ans, les ignorant toutes parce que ce n'était pas son affaire. Elle ne pouvait ni se permettre de mettre son rôle en péril pour une réaction impulsive et puérile, ni nuire à l'image de Cesare, bien que ça l'avait souvent démangée de dire qu'elle avait certainement plus mérité sa place que la plupart des gens qui se trouvaient au sein de la noblesse. Rym avait payé le prix du sang pour devenir générale, et depuis, ses mains étaient toujours ensanglantées dans son esprit, dernières traces des divergents qu'elle avait combattue et tué sans la moindre hésitation. Elle ne les connaissait même pas, et elle doutait que quelqu'un remarqua qu'ils avaient soudainement disparu. Qu'étaient des divergents, si ce n'était des anomalies que toute personne voulait éviter ? D'une part, la divergence attirait l'opprobre envers certaines familles, et d'autre part, aucun gosse ne voulait devenir divergent et se faire oblitérer, être modelé aux modèles que les cours estimaient parfaits pour chacune. Pourtant, il fallait bien que ce destin tombe sur certaines personnes. La plupart d'entre eux se contentaient de leurs conditions, mais Rym avait toujours eu une certaine tendance à en vouloir encore plus. Ces illyriens avaient, définitivement, cherché des noises à la mauvaise personne.

Le pire, ça avait été de parler de Cesare. Peut-être que si ça avait juste concerné sa divergence, elle aurait juste grincé des dents et se serait détournée, aurait quitté la taverne sans faire la moindre esclandre. Seulement, le choix du Suprême était toujours une cicatrice ouverte pour elle. Elle n'était pas sûre que sa cicatrice se refermerait vraiment un jour, d'ailleurs. Il avait fait un choix qu'elle aurait pu comprendre, si seulement ce n'était pas à elle d'en pâtir et d'être celle à partir, à rester sur le côté. Mais les sentiments étaient une chose étrange et malgré elle, ils alternaient sa vision des choses. Cette relation avait souvent été un combustible chez Rym, et cette fois-ci, la réaction fut immédiate, la violence qui s'empara de ses muscles, du feu qui la dévorait depuis des décennies ; et un soulagement. Un sourire en coin se glissa même lorsque la brune se leva et accorda la même chose à l'ailé, égalisant effectivement les conséquences de leurs coups sur son visage. Peut-être que finalement, elle allait bien aimer Dana Volyn, surtout si elle continuait à autant abdiquer en son sens face à ces imbéciles.

Cependant, pendant un moment, ils se regardèrent tous en chien de faïence. Il n'y avait pas encore eu de réplique et le propriétaire de la taverne essayait de calmer les tensions, pourtant en regardant autour de la table... la plupart avaient visiblement le sang chaud, ils trépignaient d'impatience, et ce fut l'un d'eux qui poursuivit les hostilités. Rym était dotée d'une force brute, ce qui lui permit de bousculer un des ailés, profitant qu'il fut instable pour lui enfoncer un coup de genou en plein dans le ventre et le laisser se plier en deux, tandis qu'elle se plaçait aux côtés de la brune. Ça faisait longtemps qu'elle ne s'était pas battue à mains nues, et elle savait que ses mains allaient peu apprécier ce moment. Cependant, ça lui faisait beaucoup du bien, de taper sans avoir peur des représailles ou de ternir l'image de quelqu'un. Mais ce n'était pas tellement au goût du tavernier qui finit par appeler ses gros bras. Rym se laissa faire en estimant que c'était déjà pas mal, bien qu'elle ne manqua pas de lancer un regard noir aux deux types qui la tenaient fermement, et elle vit bien qu'ils avaient un moment d'hésitation. Bien. Ils avaient raison de la craindre, car elle pourrait tout aussi vite les frapper aussi. Cependant, elle choisit le silence, laissant Dana vociférer tandis qu'elles se faisaient mettre à la porte. D'un geste désinvolte, elle se libéra de la prise des serveurs et se dirigea elle-même vers la sortie, sans en profiter pour malencontreusement marcher sur quelques uns des imbéciles qui ont eu l'idée de la provoquer.

Une fois toutes deux dehors, Rym regarda un peu le propre résultat sur elle. Elle aurait quelques ecchymoses mais rien de bien méchant, ils n'avaient sorti aucune arme, chacun se contentant d'une simple baston pour une question d'égo. Si elle avait pu leur écraser plus que ça, elle l'aurait fait volontiers. Elle secoua légèrement la tête et dirigea son regard vers Dana qui venait de se présenter à elle, d'une façon moins menaçante. Maintenant qu'elle la situait un peu mieux, elle pouvait glaner quelques informations de ce qu'elle avait retenu au cours de ses années à accompagner Cesare aux saisons sociales. Elle lui serra alors la main, en faisant attention à ne pas y mettre la même force que lorsqu'elle fichait des coups de poing ; elle sentait toujours la tension de ses muscles qui la parcouraient.

-Rym. Merci du coup de main contre ces enfoirés, y a rarement des gens qui s'interposent généralement, qu'elle la remercia avant de ficher ses mains dans son dos, prenant une pose qui reflétait assez bien ses années en tant que soldate. Rude journée, n'est-ce pas ?

La raillerie et l'ironie s'entendaient clairement dans sa voix. Il n'y avait pas que la journée qui était rude pour Rym, mais elle avait appris à s'y faire. Ça avait été juste plus facile cette dernière décennie parce que Cesare avait été là, et qu'on ne pouvait pas s'en prendre impunément à la générale du Suprême de l'Automne. Les risques étaient trop gros, alors que maintenant elle était une divergente comme les autres. Enfin, elle fit quelques pas pour s'éloigner de l'établissement, n'ayant plus tellement envie de traîner tout près après ce qu'elles venaient de faire et subir. Elle n'était pas surprise qu'elles furent celles à être dehors, c'était Rym qui avait frappé la première, mais ce n'était pas pour autant que l'injustice de la situation ne lui donnait pas envie d'y retourner et de mettre plus que les points sur les i avec le patron.

-A votre place, je ne resterai pas plantée devant la taverne. On sait jamais, ils auraient décidé de venir réclamer plus de coups.

Et l'automnale se mit à marcher, parce qu'elle n'était pas vraiment reconnue pour ses talents à sociabiliser, ni encore à se faire des amis. Faute à sa nature de divergente qui l'avait souvent placée dans la solitude ; et, faute aussi, à son caractère qu'elle n'allait certainement pas changer, qui était peut-être déjà là même quand elle était enfant et encore à l'Aube.

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@Rym Ash'han

Les yeux de l’hybride observaient la divergente avec une attention particulière. Malgré ses vociférations à l’encontre du patron de la taverne, ses prunelles n’avaient pas quitté la silhouette de l’automnale. Celle-ci s’était rapidement dégagée de l’emprise d’un serveur pour se diriger d’elle-même vers la sortie. Cette attitude dénotait une certaine une certaine fierté et peut-être, la sagesse de savoir quand se résigner. Il était évidemment que ce combat n’avait pas d’autres issues possibles que celle d’être jeté dehors comme des mal propres. Si Dana avait réussi à se frayer un chemin sans se heurter à trop de discriminations quotidiennes et de regards mauvais malgré sa nature d’hybride, il était plus facile pour elle de se fondre dans la masse. La première raison, c’était grâce à son apparence de grande-fae. La seconde raison, c’était que les hybrides étaient mieux acceptés que les divergents. Leur sort était loin d’être enviables. Les divergents étaient non seulement arrachés à leur famille et ça, Dana pouvait facilement s’imaginer la douleur, mais ils avaient aussi la mémoire effacée. Un nouveau départ pourrait être synonyme d’une vie paisible mais c’était loin d’être le cas, car la société méprisait les divergents. Le bruit de la porte qui claquait ne fit pas sursauter la nocturne. Elle resta quelques secondes à l’observer, se demandant combien de divergents, d’hybrides, d’illyriens, s’étaient retrouvés dans la même situation. Elle savait, malgré son passé difficile, que d’autres connaissaient un sort bien pire. Ses yeux se tournèrent à nouveau vers la divergente et Dana lui tendit la main, affichant un sourire. Ce soir en tout cas, elles étaient dans le même panier.

Un rire rauque s’échappa de la gorge de la nocturne. C’était une putain de rude journée. Ça avait été une rude année. En fait, Dana ne comptait plus depuis les moments de désarrois et d’injustices qu’elle avait connu. Elle s’était habituée. Longtemps, ça avait été simple d’ignorer et de fermer les yeux, parce qu’en suivant l’éducation de son grand-père, elle avait vécu en tant que grande-fae. Ce n’est que lorsqu’elle s’était mise à se dévoiler, à vivre telle qu’elle était, au retour de ses frères, que l’illusion s’était évaporée. Rym n’avait pas à la remercier pour ce geste qui devrait être naturel. Personne ne devrait entendre des propos comme ceux, abaissants, qui avaient été prononcés par ce groupe d’ailés. « J’aurai aimé qu’on s’interpose plus souvent pour moi aussi. » Elle aurait aimé de Lazar ne signe pas ce contrat, qu’il ferme la porte au nez d’un client pour la défendre. Au moins une fois. Ils se connaissaient depuis l’enfance et si même des personnes si proches n’avaient aucun scrupule à se servir des injustices, alors qui s’interposerait ? Une boule n’avait pas quitté la gorge de Dana depuis cette discussion avec Lazar. « En fait, quelques heures à peine avant que je vous rencontre, j’aurai aimé qu’on le fasse. J’étais certaine que… » Dana s’arrête, puis elle pousse un soupir. Rym était une inconnue. Elle avait ses propres problèmes. Lazar n’était pas un ami. Ni un ennemi. Bon. « Peu importe. Parfois, les gens nous déçoivent. » Termina-t-elle par dire. « A défaut, j’essaie de ne plus décevoir, ni moi-même, ni les autres. » C’était bien triste. C’était difficile.

L’hybride emboita le pas à la divergente sans faire plus de commentaires. Elles devaient former un beau duo vu de l’extérieur, même si elles étaient ressorties plutôt indemnes et en bon état de cette légère altercation. Rym s’enfonça dans les rues de Velaris au hasard, Dana sur les talons. La Volyn pensa à ses nombreuses fois où elle avait pu observer l’automnale à distance pendant les saisons sociales sans qu’elles ne s’adressent jamais la parole. Peu de ses connaissances faisaient parties de la Cour de l’Automne et Dana n’avait, de toute manière, jamais eu aucune raison de parler au Suprême. Il n’était donc pas étonnant qu’elles se soient croisées sans avoir établi de liens. L’étrangeté de la situation lui donna envie de rire. « Nous nous sommes déjà croisées pendant les Saisons Sociales. Peut-être que vous ne vous en souvenez pas… » Commenta la Volyn d’un ton neutre. Ils étaient nombreux à ces événements, ce ne serait pas étonnant. « Vous êtes, ou étiez, la Générale du Suprême de l’Automne, n’est-ce pas ? » Demanda-t-elle simplement pour avoir une confirmation. La question fut posée sans préjugés, sans arrières pensées. Dana appréciait simplement de savoir avec qui elle se trouvait. Elles continuaient à marcher dans les rues de Velaris, sans but précis ; simplement, dans l’attente que l’air frais décontracte les muscles et apaisent les émotions. Un regard autour d’elle permis à Dana se repérer. Un soupir s’échappa de ses lèvres. « Eh bien, Rym. Que diriez-vous d’un verre dans une nouvelle taverne où nous sommes certaines de pouvoir rester jusqu’à plus soif ? » Proposa-t-elle en souriant. « Je vous invite. » Ajouta Dana en haussant les épaules. « Peut-être pourrons nous échanger sur nos rudes journées. » Lancer quelques insultes aussi, s’il le fallait pour que l’amertume des événements passés s’estompent. La Volyn désigna un établissement au coin de la rue. C’était un endroit familier qu’elle avait l’habitude de fréquenter avec sa meilleure amie, Hestia. L’alcool y était bon et un feu était toujours allumé dans la cheminée. Les fréquentations étaient différentes que celles de l’ancienne taverne, le patron lui-même était un hybride. Les tables cachaient dans certains recoins permettant des discussions plus intimes ne manquaient pas. C’était l’endroit idéal.

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Rym ne tenait pas vraiment à commencer à avoir une réputation de bagarreuse de taverne ; déjà parce qu'elle avait toujours horreur des tavernes et des gens qui y allaient, mais il fallait bien avouer que c'était un lieu pratique pour glaner des informations et rencontrer des gens sans trop de soucis, mais aussi parce qu'elle avait un égo plus imposant qu'on ne pourrait le croire. Elle avait déjà sa réputation pour avoir servi un peu plus de dix ans le Suprême de l'Automne, et elle l'aimait bien, malgré ce qui se chuchotait sur elle : si elle voulait mieux comme réputation, elle ne devait certainement pas s'emporter pour si peu. Pourtant... Elle restait une automnale, peu importe les traits qu'elle affichait. L'armée l'avait canalisée, mais elle était en roue libre depuis la dernière saison sociale, ça allait forcément avoir des répercussions sur ses actions. Et, malheureusement, ce n'était pas en brûlant un établissement qu'on réglait ses soucis. Pas qu'elle n'en n'avait pas déjà rêvé, mais au moins, on pourra dire que Rym Ash'han était une personne raisonnable... En dépit de ce qu'elle pouvait faire et de ce qu'elle savait.

Pour ceux qui n'étaient pas strictement des grands faes, selon leur vision des choses et ce qu'ils définissaient être leurs critères, la journée était toujours rude. C'était marcher en sachant qu'on leur crachait dans le dos, mais trouver la force de ne pas toujours se retourner. C'était mettre de côté ses différends tout le temps, parce que c'était impossible d'éviter les faes, de ne pas travailler avec eux. Elle savait qu'il y avait des clans illyriens très renfermés, mais ils devaient vraiment vivre dans un coin paumé d'Evanor, pour ne pas voir d'oreilles pointues et des airs supérieurs. Ce qui enrageait plus que Rym, c'était qu'elle avait failli être comme eux. Mais la Mère avait prévu un tout autre destin pour Dugu Lin.

Un sourire amer apparut sur le visage de Rym au commentaire de Dana. Pour avoir des gens ayant le cran de s'interposer, il faudrait déjà une réalisation des injustices du quotidien, et c'était pas demain la veille que ça allait se produire. Elle-même ne s'en était pas rendue compte aisément, malgré sa nature de divergente. La vérité l'avait frappée lorsque Cesare lui avait dit la vérité concernant son identité, lorsqu'elle se mit à réfléchir à la vie qu'elle aurait pu avoir et ce qu'elle avait eu. Lorsqu'elle avait songé à ce que sa nature lui avait fait faire, en pensant que c'était normal.

-Le souci avec le fait d'être déçu, c'est que ça peut que venir des gens qu'on connait déjà. La journée a donc été rude, constata-t-elle avec un brin de voix moqueur, non pas contre l'hybride, mais contre cette vérité.

Certainement que si elle savait que la brune parlait de Lazar, elle serait un peu plus en colère. Parce qu'elle ne plaçait pas facilement sa confiance entre les mains de quelqu'un, et malgré son caractère peu stable, le nocturne avait réussi cet exploit, à force de soutien et de gentillesse envers Rym. Elle lui avait même proposé de former une sorte d'équipe pour avoir assez de témoignages et d'informations pour plaindre la cause des divergents.

-On va dire que votre action vous a évité de vous retrouver avec un nez cassé aussi, souffla-t-elle.

L'automnale était un peu ravie que l'ailé aurait une blessure de sa part, qui la poursuivrait certainement à vie s'il n'allait pas voir un soigneur, quelqu'un pour remettre ce qu'elle avait cassé.

Elle fronça légèrement les sourcils lorsque Dana la suivit. Elle aurait bien envie de s'arrêter et se stopper pour la fusiller du regard, mais ce n'était pas comme ça qu'on arrivait à avoir gain de cause. Et elle pensait que n'importe quelle aide honnête serait la bienvenue pour ses plans. Mora lui avait dit qu'elle ne pourrait pas passer toute sa vie à prendre autant de distance par rapport aux autres et elle avait maintenu que plus elle se trouvait loin d'eux, mieux elle se portait. Elle aurait dû écouter le vieil homme plus souvent, et maintenant elle ressentait un pincement au cœur à chaque fois que ses leçons lui revenaient en tête.

-J'étais. J'ai démissionné, c'était le ragot de la saison passée à ce qu'on m'a dit.

Rancœur clairement audible dans sa voix. C'était toujours aussi dérangeant de ne pas savoir cacher ce qui concernait celui qui avait été au centre de tout pendant une décennie, mais c'était trop tard pour paraître comme si de rien n'était. Dana pourrait juste penser qu'elle prenait toujours mal le fait d'avoir perdu son titre ainsi que son rôle. Enfin, Rym ralentit le mouvement et passa une main sur son visage. L'adrénaline du combat était en train de retomber et la colère qui l'avait saisie aussi, ne laissant qu'un picotement sur ses mains et le vide qui revenait toujours quand les flammes s'éteignaient. Elle s'arrêta et laissa définitivement la brune l'accompagner, et Rym tenta de se détendre réellement. Elle regarda la direction dans laquelle se trouvait la taverne que Dana proposait, la jaugeant du regard. Elle avait vu pire.

-Je vous préviens, je casse un nez une fois par jour, pas deux. C'est la règle, avertit-elle avec un sourire en coin alors qu'elle indiqua à Dana de montrer le chemin.

La soldate la suivit jusqu'à la taverne, analysant l'intérieur par réflexe. Personne ne fit attention à elles plus que ça quand elles rentrèrent et ça la mit étrangement mal à l'aise. C'était inhabituel, mais pas pour autant déplaisant, c'était juste qu'elle se méfiait toujours de ce qui n'était pas commun. Et son commun, c'était qu'on ne la ratait que rarement. Les deux s'installèrent à une table un peu plus reculée, et comme toujours, Rym se mit contre le mur, de façon à voir l'entrée et qu'on ne puisse pas la prendre par surprise.

-Je suis pas trop bavarde. C'est pas contre vous, mais j'ai jamais aimé discuter de la pluie et du beau temps, elle haussa les épaules, signalant à Dana qu'elle serait certainement la seule à mener la discussion, ou du moins, à lâcher plus d'une dizaine de mots à chaque dialogue. Je ne vous avais pas vu depuis longtemps. Aux saisons sociales, je veux dire.

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@Rym Ash'han

Un air absent s’installa dans les yeux de la nocturne. Les paroles de Rym remuaient des émotions dont elle n’aimait pas ni à penser ni à discuter. Le souci avec le fait d’être déçu, c’est que ça peut venir des gens qu’on connait déjà. Dana aurait dit que ça venait toujours des gens qu’on connait déjà. C’était difficile d’être déçu des inconnus, il fallait avoir des expectatives pour l’être et pouvait-on réellement attendre quelque chose d’une personne inconnue ? Peut-être d’un dirigeant, d’idées sociales, ; peut-être que de la frustration ou de l’énervement pouvait facilement se confondre. Mais la déception, la vraie, telle que Dana l’avait ressenti quelques heures plus tôt, seul une personne proche aurait pu lui apporter. Elle acquiesça, silencieuse face à cette triste affirmation avant qu’un soupir ne s’échappe de ses lippes. « Je dirai même, que ce sont malheureusement toujours les gens qu’on connait déjà qui ont le pouvoir de nous décevoir le plus. » Ils ont ce déchirant honneur de nous blesser, n’ajouta-t-elle pas, comme si c’était une évidence. Alors elle hocha les épaules et elle emboita le pas de la divergente. Un petit rire sorti de sa bouche, Dana était évidemment heureuse de ne pas avoir le nez cassé mais pas impressionnée ; elle en avait vu d’autres. Lorsqu’Aslan l’avait ramassé il y a quelques mois après son altercation sur le Port D’Elysium, elle était bien amochée et si c’était la première fois qu’elle se battait aussi violemment, elle avait déjà reçu quelques coups accidentels mais douloureux avec son entraineur dans sa jeunesse.

Les ragots de la Saison Sociale de l’année précédente lui revinrent en tête. Elle n’y avait plus pensé depuis longtemps. Cette année avait été marqué d’autres occupations chez les Volyn. Les fiançailles du son frères avec la Suprême avait été sur toutes les bouches d’Evanor, tout comme leur rupture quelques mois plus tard. Tout le savait que Neven était son frère dans les salles de réception de Saisons Sociales et tout le monde savait à présent son statut d’hybride. Si elle avait continué à fréquenter quelques réceptions pour rencontrer ses clients ou élargir son réseau, elle ne s’était jamais attardée ni avait cherché à participer plus que nécessaire l’année passée. Dana n'aimait pas être au centre de l’attention. Son regard noisette se tourna vers le visage de l’ancienne Générale, dont le ton de la voix était rempli d’une rancœur non dissimulée. Ce n’est qu’après lui avoir montrer la taverne que la nocturne répondit à cette information. « Nous devrions aussi trinquer à nos déceptions. » Le ton n’était pas curieux. Dana ne chercherait pas à en savoir plus si Rym ne disait rien, elle ne forcerait une discussion que la divergente n’avait pas envie d’avoir. Elle eut cependant envie de préciser : « Je n’étais pas très au fait des rumeurs l’année passée. J’ai eu tendance à les fuir autant que le fléau. » L’hybride passa la porte de la taverne en premier, adressant un sourire au patron qui se tenait derrière le comptoir du bar à essuyer quelques verres.

Dana laissa Rym s’installer où elle le souhaitait, prenant le siège en face d’elle. Un serveur ne tarda pas à venir à leur table. « Comme d’habitude Dana ? » Elle acquiesça en souriant, laissant la divergente choisir sa boisson. L’hybride venait très souvent dans cette taverne avec sa meilleure amie, Hestia ; les serveurs connaissaient ses habitudes. Dana appréciait avec des endroits familiers, où le temps semblait ne pas avoir d’emprise. Peu importe que le contexte politique, les changements mondains, le fléau, cet endroit été resté le même. Rassurant et réconfortant. Dana adressa un sourire entendu à la divergente. Elle avait bien compris que Rym n'était pas une grande bavarde et la nocturne n’avait jamais été effrayée des silences, elle se complaisait dans ses moments de calme. Les boissons arrivèrent et Dana ne recula, s’appuyant plus confortablement sur le dossier de siège avec les lèvres pincées. Cela faisait effectivement un moment qu’elle ne fréquentait plus autant les Saisons Sociales. Si la raison de son absence l’année dernière semblait évidente, notamment pour une personne du statut de l’ancienne Générale, censée être au courant des annonces politiques – et des fiançailles avec une famille ayant été déchu de son statut de baron et hybride, c’était politique -, elle se doutait que sa disparition progressive au fil des années était plus compliquée à comprendre. « C’est vrai. » L’affirmative ne donnait pas plus de renseignements. Le silence s’installa de nouveau entre les deux faes. Un soupir s’échappa des lippes de Dana. « Je n’ai jamais trop aimé être au centre de l’attention et mon frère a pris beaucoup de place l’année précédente. Le nom des Volyn était un peu trop sujet aux rumeurs à mon goût. » Ce n’était pas peu dire. Ses yeux se portèrent sur le feu qui crépitait dans la cheminée. Elle pensait à son grand-père. « J’ai longtemps été présente aux Saisons Sociales pour l’ambition de mon grand-père. » Précisa-t-elle pour répondre à Rym une vérité qu’elle ne disait pas à beaucoup de monde. Longtemps, elle avait refusé d’en parler mais dernièrement, l’hybride s’ouvrait de plus en plus. « On y prend goût. J’apprécie certaines choses dans ces réceptions. J’y ai passé de bons moments mais… Il est facile de se perdre à trop jouer. » Dana aimait la mode, l’art, les parures, elle était douée pour jouer des apparences et sens des mots. Les Saisons Sociales, c’était un jeu, c’était de la politique et une aubaine pour le commerce. Mais Dana avait fait tout ça, sans avoir le droit d’être elle-même et elle avait eu besoin de se retrouver, plus encore, de se trouver. « Mon grand-père aimait que les apparences soient parfaites, sans aucune… tares. Disons que j’étais obligée d’y participer et que j’avais mon propre rôle à jouer. » Le silence s’installa à nouveau, Dana pensa aux changements de ces dernières années. « Il est décédé. J’ai pris du recul. » C’était un résumé très court, trop peut-être. Rym penserait ce qu’elle voulait. La nocturne prit une gorgée de bière en observant la divergente. « Je suppose que les Saisons Sociales ne vous manquent pas beaucoup également ? » Demanda Dana, un sourire amical sur les lèvres. Elle n’était pas dupe, Rym avait dû en baver. Beaucoup plus qu’elle, cent fois plus. Le sort des divergents n’étaient pas enviable.

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Une grimace amère apparut sur le visage de Rym. Elle ne pouvait pas nier ce fait. Elle n'était jamais déçue de la manière dont les gens la traitaient parce qu'elle en avait l'habitude et ne s'attendait à rien venant de leur part. Par contre, quand on commençait à se rapprocher de quelqu'un, on avait forcément des attentes. Ça avait été d'autant plus flagrant pour Rym parce qu'elle ne laissait que peu de personnes entrer dans sa vie. Beaucoup connaissaient la générale Ash'han, l'épée à la ceinture et toujours prête à agir avec honneur, mais peu de personnes pouvaient se vanter de connaître Rym, qui était peu bavarde mais qui savait faire peser ses mots, qui possédait un sens de l'humour bien à elle et qui ne manquait jamais un appel à l'aide. Même ceux qui étaient silencieux. Certes, comparé à ce que son pouvoir pouvait laisser croire, elle n'était pas la personne la plus chaleureuse, mais une fois qu'on découvrait le feu qu'elle pouvait produire... Elle n'était pas que destruction. Elle ne laissait pas que la mort dans son sillage. C'était ce qu'elle voulait et devait croire, sous peine de céder à ce qu'il y avait de pire.

Peut-être que c'était plus facile de se convaincre de cela quand elle laissait entrer des gens dans sa vie. Ce n'était pas tellement qu'elle ne pensait pas avoir besoin d'eux, mais elle avait passé sa vie à être sur ses gardes parce qu'elle ne savait que trop bien ce qui se passait quand elle faisait confiance. Généralement, elle finissait par avoir si mal au cœur qu'elle avait l'impression qu'il allait être réduit à rien du tout, que ça calcinait de l'intérieur.

-Je préfère trinquer aux nez cassés. Ils guérissent plus vite que les déceptions, souligna-t-elle alors qu'elles s'installaient.

Et ça disparaissait plus vite que des rumeurs, aussi. Elle ne savait pas encore tellement si elle croyait Dana concernant le fait qu'elle n'écoutait que peu les rumeurs, mais il était vrai qu'elle ne l'avait pas beaucoup vue lors des dernières saisons sociales. Son frère Neven avait été un sujet de discussion suite à sa relation avec Assya Ozerov, Suprême de la Nuit, et Rym avait assez étudié les autres cours pour en savoir plus sur leur famille, mais ce n'était pas à eux, dans leur caractère, qu'elle s'était intéressée. De toute façon, ce n'était pas elle qui changerait la vie à la cour de l'Automne, alors elle laissait volontiers le reste à Cesare, ne lui donnant son avis que lorsqu'il le demandait, ou quand elle trouvait qu'il faisait fausse route. Elle remplissait encore ce rôle quelques mois auparavant, mais maintenant qu'elle y songeait, on aurait dit que c'était une toute autre vie.

Visiblement, elle n'était pas la seule à avoir l'impression que certaines choses dataient d'une autre vie. Après avoir passé commande, demandant un soft puisqu'elle n'aimait vraiment pas les effets de l'alcool ─ et que Lazar avait déjà pris plaisir une fois à la voir ivre, elle ne lui offrirait pas de seconde occasion ─, elle creusa le cas de Dana sans le vouloir. Chassez le naturel et il revient au galop, c'était certainement vrai pour Rym. Ce n'était pas comme si elle allait faire grand chose de ces informations, de toute façon. Elle n'avait aucun pouvoir à la Nuit, et elle savait bien que la brune était une hybride, la personne qui serait certainement la mieux placée pour savoir ce que ça faisait d'être un paria tout le temps. Elle n'avait que des oreilles de fae et pas d'ailes, alors elle pouvait se faire passer pour une fae aussi aisément que Rym. Le souci c'était qu'elle avait rarement pu omettre son nom lorsqu'elle était à l'armée, alors ça s'apprenait vite qu'elle était divergente, là où c'était peut-être plus facile pour Dana de se faire totalement passer pour quelqu'un d'autre.

Mais elle comprenait ce que l'hybride lui racontait. Prétendre être quelqu'un d'autre était peut-être pire que d'assumer ce qu'on était, parce qu'on ne pouvait jamais être totalement sincère. Et il fallait dire que la noblesse se prêtait particulièrement à ce jeu de faux semblants, alors que chacun traînait ses casseroles mais préférait dire que non. Ou alors, que c'était pour la bonne cause. Est-ce que l'automnale avait vraiment tué d'autres divergents pour la bonne cause ? Le doute s'insufflait de plus en plus dans son esprit, remettait en cause ce qu'elle avait accompli aux côtés de Cesare. Pour qui avait-elle fait tout ça, finalement ? Le peuple de l'Automne, elle-même, ou lui, le Suprême qui l'avait choisie et fait se sentir si spéciale ?

-Il avait l'air d'être un homme particulièrement charmant votre grand-père, maugréa-t-elle alors que les doigts de sa main droite tapaient en rythme sur la table, le soldate ayant du mal à rester assise sans rien faire ─ du moins, lorsqu'elle ne lisait pas un bouquin, ce qui occupait généralement assez bien son esprit. Pas tellement, non. Entre ceux qui me regardaient comme si j'étais une abomination et les insultes à peine cachées à mon passage, on va dire que c'est déjà miraculeux que j'ai tenu pendant dix ans, se moqua-t-elle ouvertement.

Bien sûr elle était en colère à cause de ce qu'on avait dit à son sujet, mais elle savait aussi qu'elle ne pourrait pas changer ce qui s'était murmuré quand elle était aux côtés de Cesare. Et ce n'était pas ce qu'on pensait d'elle, et seulement elle, qu'elle voulait changer ; elle voulait changer ce qui se pensait sur les divergents. Elle, elle pourrait continuer à vivre en sachant ce qui avait été dit. Un jour, elle serait même prête à se montrer à Elysium lors d'une saison sociale et les toiser, marcher devant eux en ayant la tête haute parce qu'elle avait sa place là-bas. Parce qu'ils allaient chuter de leur piédestal et elle serait l'origine de leur chute. Mais d'abord, il fallait s'élever.

Rym fut interrompue dans sa réflexion lorsque le serveur revint avec leurs boissons. Un sourire en coin apparut sur son visage tandis qu'elle levait son verre.

-Et si on trinquait plutôt pour un monde avec moins de connards, où on tentait de faire de notre mieux plutôt que de faire notre pire ? demanda-t-elle.

Parce qu'elle, elle voulait faire mieux. Rym ne pouvait pas fondamentalement changée : elle serait toujours une arme qui avait été brisée trop de fois et réparée tout autant, ce qui ne l'avait rendue plus que létale. La rancœur qu'elle nourrissait envers Evanor ne changerait pas, pas plus que son passé et les décennies qu'elle venait de vivre. Mais il y avait peut-être quelque chose à faire avec tout ça, transformer le mauvais en des expériences qui permettaient d'apprendre pour tendre vers le meilleur. Ça mettrait du temps, mais ce n'était pas impossible. Alors, elles trinquèrent, et Rym se persuada que les choses iraient certainement mieux à l'avenir.

-Y a encore quelques temps, j'étais persuadée de ce que je faisais en tant que générale. Mes convictions se sont ébranlées et j'ai préféré partir en me disant que ça serait pour un mieux. J'étais pas sûre que je ferais mieux en dehors de mes anciennes fonctions, mais je commence à croire que j'ai peut-être choisi le meilleur moment pour changer mon optique des choses, et que plus de gens ont besoin que les choses changent que je ne le songeais encore l'année passée.

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La réflexion de l’ancienne générale amusa Dana. Un nez cassé guérissait plus vite que les déceptions. Souvent, la douleur était aussi bien moins vive mais la Volyn garda cette triste pensée pour elle-même. La nocturne ne fit pas de remarque lorsque Rym commanda un soft, elle se fichait pas mal des choix de boissons, ça n’était révélateur de rien sauf peut-être d’une tendance à ne pas aimer les effets de l’alcool sur le corps, perdant tout contrôle, ou simplement, une question de goût culinaire. Dana tournait au rhum la plupart du temps. C’est ce que le serveur déposa face sur la table. Elle aimait le goût et elle sirotait parfois un seul verre longtemps. La nocturne se gardait les pintes de bières pour les soirées plus festives. Son doigt glissait sur le rebord du verre, tandis qu’elle écoutait les dires de la divergente. La vie était drôle. Quelles étaient les probabilités pour qu’elle se retrouve face à l’ancienne générale du Suprême de l’Automne, dans sa taverne préférée, après une bagarre en plein cœur de Velaris, à discuter des mauvais traitements vécus par l’une et l’autre ? Faibles. Les probabilités étaient très faibles. La réputation qui collait sur le dos de la divergente n’était pas des plus glorieuses également, on disait d’elle qu’il s’agissait d’une fae peu recommandable, peut-être à cause de son lien avec le Suprême de l’Automne. Dana ne s’y était franchement jamais réellement intéressée, d’autant qu’elle savait par expérience que les réputations étaient vites faites et déformées. Elle-même n’était pas toute blanche, la Volyn passant de nombreuses heures chaque mois à s’adonner au recel d’œuvres d’arts et à s’enrichir illégalement.

Un rire rauque s’éleva de la gorge de Dana à la mention de son grand-père. Aslan lui avait fit presque exactement la même phrase lorsqu’elle lui en avait parlé la première fois. Tous deux avaient raison. Ses yeux fixèrent l’ancienne générale, une ancienne colère luisait au fond de ses yeux noisette. « C’est peu dire. » Le ton était moqueur. « C’était un homme hautain, imbu de lui-même et aux idées restreintes. » L’homme avait été coincé dans ses préjugés, réfutant d’être lié à la moindre différence. Un passé auquel Dana n’aimait pas penser, des dires qu’elle n’aimait pas se souvenir. La Volyn reporta son attention sur la divergente qui continua à répondre. La discussion était plutôt fluide pour une personne qui n’aimait pas discuter de la pluie et du beau temps. Un sourire franc s’étira sur le visage de l’hybride, qui prit une première gorgée de son verre de rhum. Dana acquiesça aux dires de l’ancienne générale. Elle avait conscience des mots qui étaient murmurés dans les couloirs des lieux de réception des Saison Sociales. Les divergents étaient ceux qui ne pouvaient pas se cacher, ils ne pouvaient que supporter les insultes et les regards de travers. Dana se rappela le coup de poing que Rym avait adressé à l’illyrien quelques minutes plus tôt. Un caractère de feu. Il était étonnant effectivement qu’aucune réception n’ait terminé en bain de sang en la présence la divergente. « Ou peut-être que votre esprit était occupé par d’autres activités. » En tant que générale, elle avait dû avoir bien d’autres affaires durant les réceptions que celles de se pavaner et de manger les petits fours. C’était, il semblait, certainement la seule chose qui aurait pu retenir Rym ne pas casser le nez à tous ces crétins.

Un nouveau rire s’échappa des lèvres de Dana, mais cette fois, il était chaleureux. La Volyn leva son verre pour rejoindre les dires de l’ancienne générale. « Trinquons à moins de connard et à nos nouvelles résolutions ! » Répéta-t-elle avec entrain en prenant une gorgée de son verre. Bien qu’elle ne sût pas véritable comment faire, Dana avait envie d’agir. Est-ce que la guilde pourrait intervenir ? Elle avait du réseau, elle n’avait pas froid aux yeux et elle savait jouer un rôle, se battre ou dissimuler des objets aux yeux des autorités – après tout, Dana faisait passer des œuvres d’arts et autres objets précieux dans tout Evanor. Ses pensées furent mélangées aux dires de la divergente et une lueur de surprise passa dans le regard de l’hybride. Peut-être que la clé se situait justement dans de nouveaux alliés ? Peut-être qu’elle devait simplement s’entourer des bonnes personnes, faire savoir qu’elle voulait se battre elle aussi pour créer un meilleur Evanor et moins d’injustices. Si Dana était contre les attentats perpétrés récemment, qui touchaient des innocents, elle ne pouvait que comprendre la colère. De ses yeux noisette, elle fixa l’ancienne générale, hésitante. La discussion qui s’engageait était de celles qu’il ne valait mieux pas avoir dans des lieux publics mais elles étaient suffisamment à l’écart des autres tables. « Je n’étais persuadée de rien. » Avoua-t-elle, presque honteuse. « J’étais aveugle et je suivais les idées de mon grand-père sans aucune autre réflexion que l’idée d’élever à nouveau ma famille dans la noblesse, comme il le souhaitait. » Il y avait même eu ce jeu de manipulation entre Ilya Ozerov et elle, dont les deux faes riaient de bon cœur à présent et heureusement. « J’étais égoïste. Je n’ai jamais rien fait pour aller contre ses idées même si ma mère était illyrienne et qu’il a rejeté mes frères. J’ai pleuré longtemps, puis je l’ai laissé me dicter ma conduite parce que c’était plus facile que de le confronter. » Sa gorge se noua, alors elle but une gorgée de son verre. « J’ai mis longtemps à accepter Evanor tel qu’il est. J’ai mis vraiment longtemps à m’accepter telle que je suis. » Les mots de son grand-père avaient résonné trop longtemps. « Mes yeux sont grands ouverts maintenant. Je ne veux plus ni me cacher, ni être passive. » Elle refusait que d’autres vivent ce qu’elle a vécu. Chacun méritait sa place. Les familles ne devraient pas être séparées. Un fae ne devrait pas être maltraité parce qu’il était né différemment. Ses pensées dérivèrent vers Lazar. « Un ami proche… » Était-il un ami ? Non. Oui. Ce serait plus simple de le présenter ainsi. « Je suis négociante en art. Nous sommes compétiteurs, si on veut. Un de mes clients est parti chez lui parce qu’il ne fait pas confiance aux hybrides. J’étais déçue et énervée. » L’explication sur son comportement, plus tôt, est courte mais suffisamment claire. « Finalement, il n’a rien fait de plus que ce que je faisais avant. Je ne peux pas le lui reprocher. » Ça lui avait coûté de dire ça, mais Dana prenait toujours le temps de se calmer et de relativiser chaque situation, de se remettre en question si besoin. Il aurait pu la défendre, mais elle savait que les Kozlov avait besoin d’un contrat et si ça n’avait pas été lui, un autre négociant en aurait profité. « Plus les mœurs changeront, moins ces injustices arriveront. On dirait que les choses changent, c’est vrai. Parfois, j’aimerais simplement savoir comment participer moi aussi, pour ne plus être ni spectatrice, ni victime. » Soupira-t-elle en prenant une gorgée de son rhum.

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