{Cataluz} - Se changer les idées

J’ai toujours été une femme de passion et surtout de débat. Je ne reste jamais positionnée sur une seule idée, adore apprendre des autres, ou me placer comme avocate du diable quand personne ne peut le faire. J’aime voir les idées s’affronter, les reliefs du cœur s’exposer aux autres. Et Cataleya et certainement une personne intéressante à écouter, elle qui a tant voyagé. Elle a aussi rencontré tout un tas de gens que je ne côtoie pas forcément, et qui lui ont certainement offert une sagesse que je ne connais pas non plus. Alors j’adore l’écouter, dans l’espoir de grappiller un peu plus d’ouverture d’esprit que les gens que je côtoie au quotidien – nous sommes plutôt d’avis de faire parler le fer avant le cœur, ce qui est aisément compris vu la teneur de mon métier. « Nul n’est parfait, Cataleya, mais au moins tu essayes de te remettre en question, ce qui est déjà plus qu’une grande majorité de gens. » On ne peut pas me considérer vraiment comme une grande sociale – j’aime faire la fête, oublier mes problèmes, mais je ne suis pas quelqu’un qui s’attache beaucoup aux autres. Ils sont soient stupides, soit de potentiels traîtres. Oui, je ne suis pas quelqu’un de très optimiste dans la vie, mais quand mon propre frère m’a vendue comme une foutue génisse… « Je suis contente d’entendre que tu as trouvé une certaine forme de paix intérieure. » C’est peut-être pour ça que c’est agréable d’être avec elle – elle n’a rien à prouver.

Et elle sait quand me brosser dans le sens du poil. À deux doigts de ronronner à ses mots, mais je me contente d’étirer mes lèvres en un sourire de fleur s’épanouissant en plein printemps après un trop long hiver. « Oh, je crois que tu as une trop haute opinion de moi. Mon impulsivité me coûte parfois cher. Mais le versant de la médaille, c’est que je ne reste jamais sur mes acquis et que je vais chercher ce dont j’ai besoin à la force du poing. L’inaction peut parfois être très meurtrière. » Je l’avais moi-même expérimenté sous des commandements trop mous ou inexpérimentés. Aux compliments sur mon physique, je hausse un sourcil, amusée et touchée. « Tu as tout pour plaire. — Eh bien, espérons que je plaise à celui qui vient de faire mon acquisition. » L’alcool commence à détendre mes muscles et mon esprit. Je suis moins stressée ou sur le qui-vive. Autant en rire, n’est-ce pas ? J’ai déjà trop pleuré.

Le serveur revient vers nous, nous demande si nous avons choisi, ce qui fait écho à la question de mon amie. J’acquiesce, et lui demande de me mettre le plat du jour – j’aime la découverte, l’inconnu et lâcher prise dans ce qui ne revêt pas d’importance. J’aime découvrir et profiter. Je suis sûre que ce sera parfait.

Je m’amuse souvent du lien de l’actrice avec l’Automne – elle est pourtant plus calme qu’un soleil d’été. C’est peut-être pour ça qu’elles s’entendent bien ; le feu ne nourrit pas le feu, et elle est plutôt apaisante sur ce côté-là. « Ne jamais reposer sa main tant que l’on peut agir pour notre bien, tant que l’on peut faire ce qu’il faut. » Même si c’est une bonne maxime, ce n’est clairement pas ce que j’ai toujours fait ; en enterrant les non-dits avec Cesare, en fuyant mes responsabilités de future épousée… mais je préférais tout mettre sous le tapis, dans l’espoir que ça finirait par disparaître. Même si je suis d’accord avec elle, son mode de vie lui permet aussi plus aisément de suivre ce précepte : elle ressemble à un feu follet qui saute de contrée en contrée, qui a l’action dans le sang et qui se trouve sans chaînes.

Bientôt, les miennes seront brisées aussi, car je me retrouverai dans les contrées de l’Hiver pour découvrir un tout nouveau monde. Une toute nouvelle moi, certainement, même si je doute qu’elle soit très fréquentable. Instable et colérique ne font pas bon ménage avec l’étiquette.

« Si tu ne lui plais pas, alors rien ne pourrait lui plaire, mieux vaudrait pour lui de finir aveugle. » J’éclate de rire face à sa spontanéité. « Au contraire, peut-être qu’il vaudrait mieux pour moi que je ne lui plaise pas, il pourrait me rendre à mon frère, m’amusé-je. » Après tout, Espen est considéré comme un enfant capricieux par certains aspects. Peut-être qu’il pourrait l’être en ce qui me concerne… « Tu es une femme fatal, et le premier qui dira le contraire mériterait la prison, crois-moi. » Je ris denouveau, enthousiasmée par sa passion. J’aurais aimé être assez fatale pour le bel Hivernal qui hante mes pensées, mais il faudrait apparemment qu’il finisse en prison selon les dires de Cataleya, car je le laisse de marbre. « Et toi, pas de belle aventure dont me conter les rebondissements ? » Même si elle bouge beaucoup, peut-être que son cœur a trouvé preneur. « J’aime les pièces de théâtre mais j’aime encore plus les histoires vraies, la taquiné-je, soudainement curieuse. »

L’enthousiasme de Cataleya à l’idée de m’enlaidir est un peu trop passionné alors j’éclate de rire à son idée. Voilà donc ce qui lui fait le plus peur : avoir de la moustache ? « Oh merde, tu crois que tu pourrais me prêter des accessoires de ta troupe pour cette mission de sauvetage ? » Évidemment que mon futur mari m’a déjà vue, je suis une ombre silencieuse à chaque fois que nos familles se réunissent. Et j’imagine que mon physique ne l’a pas repoussé – il repousse rarement les gens, en dehors du Strenström glacial qui repousse mes avances depuis dix ans. « Mais je crois que je pourrais faire une bonne actrice, j’ai beaucoup appris aux côtés des Monteserre. » Après tout, être la sœur du Suprême m’a propulsée au devant de la scène géopolitique et il faut faire des courbettes, des sourires, toujours masquer ce que l’on ressent… Même si le but n’est pas de divertir, mais plutôt de masqer ses sentiments. « Je crois que je n’aspire pas à avoir de prétendant, en réalité. J’aime tellement mon indépendance. Mais je crois que tu sais de quoi je parle, non ? » À moins qu’elle ne s’acoquine avec des membres de sa troupe, elle est toujours sur les routes et en vadrouille, il est complexe de conserver une relation durable dans ces conditions…

Quoi qu’elle pourrait certainement faire gober n’importe quoi à n’importe qui, et déclamer de belles déclarations enflammées à ses différents amants, comme les marins ont leurs conquêtes à chaque port. Et elle me donne raison quant à sa manière de papillonner. « Mais si tu réussis à le faire abandonner, je veux bien me marier avec toi en compensation. » J’éclate de rire en portant mon verre de vin à mes lèvres. Je suis tellement contente d’avoir accepté ce repas avec elle, c’était exactement ce qu’il me fallait pour me changer les idées. « Bon sang, tu viens de me vendre les bienfaits d’une vie de papillonnage et ensuite tu veux m’épouser ?! Petite goujate, tu filerais vite me tromper dans les draps d’un beau noble dans une autre Cour, et tu aurais bien raison. » Je lui donne une petite tape sur la main, pour la remettre dans le droit chemin. « Et puis, je crois que je finirai vielle fille moi aussi, je n’avais aucune envie de me marier avant que mon frère s’implique dans l’histoire. Je préfère partager ma vie avec ma lame. » Je continue de grignoter, retrouvant soudainement l’appétit. « Tu crois que ça pourrait le repousser, ça, que je dorme avec une dague dans le lit ? » Je risquerais peut-être de le poignarder dans la nuit. Oupsi ?