(Fenrys) In the bleak midwinter

Fenrys se baladait continuellement avec un nuage de pluie au-dessus de sa tête depuis plusieurs jours. Les festivités de Yule n'étaient pas ses favorites, et déjà l'an passé, il avait répudié à fêter l'occasion, bien qu'il se plia à le faire à cause de ses devoirs de seigneur. Cette année, il avait un peu plus embrasé son nouveau rôle et les responsabilités qui en découlaient, mais les apparitions publiques n'étaient toujours pas ce qu'il aimait... et les fêtes non plus. Surtout quand celles-ci concernaient la famille, le fait de se sentir reconnaissant d'être bien entouré. Il aurait mille fois préféré être avec des soldats qui ne fêtaient pas Yule, avec qui il passait toujours ces jours en accomplissant leurs tâches quotidiennes, puis en passant le temps en jouant aux cartes, ou en discutant sur quelques souvenirs. Pour la seconde fois, il se retrouvait seul dans cette demeure qui avait, un jour, abrité toute sa famille. Il sentait leurs fantômes qui s'appuyaient de tout leurs poids sur ses épaules, qui rajoutaient de son fardeau. Il n'y avait que quand Ellinor passait à Skogen qu'il parlait un peu plus et se détendait, mais une fois l'illyrienne repartie, c'était comme s'il prenait d'un coup dix ans dans la tronche.

Aujourd'hui n'échappait pas à la règle. Il avait ordonné à son intendant d'organiser les festivités de Yule, et de lui dire quand il devait accueillir qui et se montrer à quel évènement afin de remplir son rôle. En vérité, il avait passé toute la nuit à ruminer dans son lit, tournant et se retournant dedans, alors que sa jambe lui hurlait de cesser tout mouvement. Il avait à peine dormi, les yeux rivés sur le plafond, puis sur une pile de livres qui trainait sur sa commode. Il aurait dû les ranger depuis longtemps, mais il n'avait jamais pu s'y résoudre. Quand il en avait eu marre de tourner en rond, il s'était levé, s'était rhabillé et avait pris un des livres, s'était dirigé vers son bureau, s'y enfermant.

Le livre n'était nullement nouveau, acheté il y a quelques années. Cet exemplaire avait du vécu, il l'avait racheté à un fae diurne, qui se débarrassait de certains livres suite à une collection beaucoup trop volumineuse. A cette époque, il aurait été prêt à affronter ciel et terre pour obtenir n'importe quelle copie de ce livre. Il s'en souvenait très bien, c'était un jour où ils s'étaient baladés dans une des forêts hivernales, sans but précis si ce n'était passer du temps ensemble, et Revka lui avait parlé d'un livre dont elle ne se souvenait plus du titre, l'intrigue était floue dans ses pensées. Il avait fait de nombreuses recherches lorsqu'il était en repos, en fin de journée quand il n'était pas de garde, pour retrouver le titre du livre et l'offrir à la blonde. Malheureusement, le livre ne quitta jamais les affaires de Fenrys, le mot déjà écrit à l'intérieur dès qu'il l'avait reçu, sans savoir ce que la Mère leur préparait. Lorsqu'il avait relu ce qu'il avait écrit, son cœur s'était serré au sein de sa cage thoracique. "Un retour en enfance pour la guerrière de l'esprit que tu es ; en espérant que ça t'empêchera de me battre aux cartes la prochaine fois. Jusqu'à présent, je maintiens que je te laisse gagner." Un mot écrit sous le ton de la plaisanterie, car ce matin là, elle l'avait encore battu aux  cartes et en riant, il l'avait accusée de tricher, puis avait dit qu'il était gentilhomme car il la laissait gagner. Les deux étaient faux, elle était juste meilleure que lui à ce genre de jeu. Ce fut sous l'impulsion de ce souvenir qu'il ordonna, aux premières lueurs de l'aube, qu'un domestique apporta le livre à Revka. Un présent pour Yule.

Ensuite, que fit-il ? Il resta cloîtré dans son bureau, à ressasser le passé et le regretter. Entre ses mains, il tint régulièrement une lettre écrite par sa jumelle, Freya, à laquelle il n'avait jamais répondu. Il en était venu à craindre sa relation avec la moitié de lui-même, parce qu'il ignorait qui elle était maintenant. Il avait passé plus d'années loin d'elle que proche d'elle, et les liens familiaux s'étaient étiolés, subissant aussi chaque perte. Le nombre de Helvar avait drastiquement réduit, pourtant, Fenrys s'obstinait à mettre de la distance entre lui et les soeurs qui lui restaient. Solveig était toujours auprès de Sanna, avec qui elle avait certainement un lien plus profond qu'avec lui, et il laissait Freya à sa place de prêtresse. Il ne cessait de les repousser, comme si c'était dans sa nature - il craignait que ce fut la vérité. Que son père avait tellement ancré les paroles qu'il lui avait crachés toute son existence, qu'il était indissociable de ce manque de mérite qu'il ressentait dès qu'on lui tendait la main.

Les heures passèrent et jamais la paperasse de Skogen ne fut aussi inexistante. Il s'était occupé de tout ce qui demandait son attention ces derniers jours, échappatoire pour éviter de penser à Yule, à ce que ça signifiait. Maintenant, il s'inventait du travail, tout bonnement. Il préparait aussi des argumentaires pour défendre son choix d'inclure les illyriens dans la vie de Skogen, en leur proposant du travail honnêtement rémunéré, ainsi que la possibilité de survoler la ville. Il savait très bien que certains n'hésiteraient pas à montrer leur opposition, alors il devait se tenir prêt.

Fenrys revint seulement à la réalité, où sa solitude était tangible, lorsqu'un domestique lui annonça l'arrivée de Revka Stenström. Pendant un instant, il resta penaud. Elle n'avait pas osé ? Quelle question. Bien sûr que si, elle avait osé venir jusqu'à Skogen suite à son cadeau. Ça avait été un geste insensé et stupide de lui offrir ce livre après tout ce temps qui leur rappelait un passé où la possibilité d'un avenir heureux avait été une réelle option. Il passa une main sur son visage avant de lui dire de la laisser entrer et de l'emmener dans le plus petit des salons, et en congédiant toute personne qui s'y trouverait à proximité.

Quitte à se disputer à nouveau, autant ne pas faire subir ça à son personnel. Il resta quelques minutes en plus à son bureau, triturant un coin de la lettre de Freya, peu sûr. Il pourrait ne jamais sortir de cette pièce et la laisser repartir. Cependant, il savait qu'elle ne lâcherait pas le morceau si facilement. Si le bureau avait changé de place suite à quelques réaménagements pour éviter des complications avec sa jambe, il ne doutait pas un seul instant qu'elle avait assez de culot pour venir le trouver. Avec un soupir, il se leva de sa chaise et se munit de sa canne, et la vision de Revka devant la porte lui prouva qu'il avait raison.

-Je suis presque sûr d'avoir demandé à ce que tu sois accompagnée dans le petit salon. Des gens se sont faits punir pour moins que ça, fronça-t-il les sourcils avant de secouer la tête. Avançons jusque là, tu connais déjà le chemin.

Tandis qu'il fermait la porte derrière lui, il rattrapa Revka qui, il notifia, marchait plus lentement qu'à l'accoutumé. Par réflexe, il posa une main contre le bas de son dos pour la guider, mais il la bougea quelques secondes plus tard en réalisant ce qu'il venait de faire, s'excusant à mi-voix auprès de son âme sœur. Quand ils arrivèrent dans le plus petit des salons, qui ne pouvait contenir que quatre personnes - et encore, trois si on comptait Fenrys dedans, qui valait bien deux personnes en terme de corpulence -, il posa enfin réellement les yeux sur Revka. Il avait appris son retour au sein de l'Hiver, sans pour autant vouloir en savoir plus. Les blessures étaient toujours vives, mais il avait senti qu'elle était plus proche dorénavant.

-Je peux t'aider ?

Bien sûr, il prétendrait jusqu'au bout que ce n'était pas lui qui lui avait envoyé un cadeau. Sur un malentendu, peut-être qu'elle ne mettrait pas les pieds dans le plat, mais... Mais il n'y avait personne de mieux placer qu'elle pour le confronter, aussi.

Il aurait dû la conduire vers le grand salon. Ou écourter leur rencontre, prendre le cadeau et la renvoyer chez elle, puisqu'ils avaient été clairs la dernière fois, parce que c'était trop tard et que Fenrys ne voulait pas la revoir, parce que quand il n'y avait plus de distance entre eux, il était paumé et il n'arrivait plus à lui en vouloir pour ce qui s'était passé entre eux. Il avait même demandé à Sacha de les tenir à distance, de ne surtout pas laisser Revka l'approcher, mais il avait fait foirer lui-même son plan en lui envoyant un ancien cadeau. Et maintenant elle était là, et il s'était senti si seul ces derniers jours, si désespéré face à aux fêtes de Yule qui normalement se déroulaient en famille, qu'il serait prêt à l'implorer de rester, juste pour ne pas se retrouver seul à nouveau. Mais il ne pouvait pas céder, et se doutait que de toute façon, elle le fêterait déjà avec sa famille, puisque la sienne était encore là, à Fornheim. Et lui, il serait à tout jamais un autre fantôme de Skogen, même s'il était actuellement fait de chair et que du sang coulait dans ses veines, qu'il sentait son cœur battre trop rapidement depuis que Revka était là, depuis que sa main avait effleuré son dos et que les souvenirs étaient revenus. Dans d'autres circonstances, quand elle s'était retournée, il l'aurait embrassée en rentrant dans la pièce, la poussant un peu plus vers le confort d'un canapé, mais il n'en fit rien, parce que les circonstances n'avaient pas changées depuis la saison sociale.

-Le cadeau aurait pu être envoyé à mon insu. C'est un ancien présent, après tout, souffla-t-il avant de secouer la tête. Mais j'ai demandé à ce que tu le reçoives.

Au moins, il avouait cela. Peut-être parce qu'elle l'avait à nouveau appelé Fen, que ce surnom n'avait plus prononcé par ses lèvres depuis si longtemps qu'il eut l'impression de retourner quelques années en arrière, quand il lui volait des baisers entre deux arbres, lorsqu'il chassait toujours la neige de sa chevelure blonde, inlassablement. Les souvenirs semblaient particulièrement tenace ces derniers jours, plus encore que les fantômes qui le hantaient, et il prit le cadeau de Revka avec incertitude, son regard allant du paquet jusqu'à elle, qui évitait soigneusement son regard. Il savait, évidemment, que c'était un livre, mais le loup se demandait quelle était cette histoire pour qu'elle le lui donna. Il connaissait assez bien la jeune fae pour savoir qu'elle ne lui offrait jamais par hasard un livre, il y avait toujours un message derrière. Mais il fit le choix de ne pas le découvrir maintenant et posa le cadeau sur la table basse présente.

-Je ne comprends pas non plus pourquoi je te l'ai envoyé. Très honnêtement, je n'ai plus dormi depuis des jours, j'ai tellement mal à la jambe que j'en suis au point où je ne sens même plus la douleur, et j'essaye de résoudre des problèmes qui mettront des années à être résolus. Alors, je ne sais pas pourquoi je l'ai fait, mais je l'ai fait. Désolé de cette réponse, mais je n'en n'ai pas d'autre.

Et ça se voyait qu'il était fatigué. Il était un peu plus pâle que d'habitude et avait moins soigné son apparence, lui qui pourtant ne jurait que par celle-ci, parce qu'il était soldat et il devait toujours être impeccable. Il avait eu bon prendre des douches chaudes, la douleur à sa jambe lui créait des décharges électriques qui le traversaient jusqu'à son dos, au point qu'il entendait parfois battre son cœur dans sa jambe, comme si c'était une blessure mortelle. Pourtant, ce n'était pas les cachets qui manquaient dans le tiroir de son bureau ; il pourrait en prendre et oublier la douleur, se sentir surpuissant pendant quelques heures, prétendre que tout allait bien. Mais il avait peut-être envie de sentir ce mal durant les fêtes, parce que c'était ce qu'il pensait mériter.

Il passa une main sur son visage et regarda si le fauteuil derrière lui était dégagé. Parce qu'il savait ce qui trainait ici, et il eut raison de vérifier avant de s'installer. La couverture, en boule, n'était pas un détail négligé de ses domestiques, mais plutôt un animal capricieux qui aimait beaucoup se cacher pour dormir. Le souci, c'était qu'il sentait bien que sa jambe lâchait et il avait peur qu'en bougeant le chat qui dormait dans la couverture, il se retrouva rapidement à manquer d'équilibre, et ça n'allait certainement pas être Revka qui serait en mesure de le rattraper. Il se mit alors sur le côté et montra à Revka la couverture rouge qui dissimulait l'animal.

-Est-ce que tu peux, délicatement, mettre cette couverture vers l'extrémité du fauteuil ? C'est un deux places mais ce chat a vraiment le don de se foutre au milieu de tout alors qu'il est petit, maugréa-t-il à l'encontre de cet habitant contre qui il avait beaucoup râlé, avant de finalement autoriser qu'il resta. Lorsque Revka lui rendit ce service, il s'installa à la place libre et fouilla la couverture pour révéler un chat roux, tigré, aux yeux oranges, les paupières qui battaient avec fainéantise tandis que Fenrys venait de réveiller la pauvre petite bête de sa sieste. C'est Misc. Il a fait de la peine à une des domestiques parce que c'était un chaton perdu, et puisqu'elle s'en occupait, j'ai autorisé qu'il reste momentanément. Force est de constater qu'il a vu les choses autrement et qu'il a décidé que Skogen ne serait pas mauvais, surtout quand il a droit à plus de restes qu'il ne le devrait. Misc a une petite particularité, regarde. Il prit une des pattes du chat, qui râla vaguement, et montra à la Stenström le coussinets du chat ; il lui en manquait un, ce qui faisait qu'il n'en n'avait que trois. Il a ça à son autre patte avant mais les pattes arrières vont bien. Il a quelques soucis d'équilibre et il est plus sensible à ce niveau, mais il s'en sort pas si mal au sein de l'Hiver.