Another day of sun

Tôt le matin, le soleil réveillait Nathaniel et les mêmes questions lui retournaient l'esprit. Qu'avait-il fait ? Rien de bon, en tout cas. Ayant pris les habitudes des diurnes de tout analyser, il repassait les évènements dans sa tête, espérant y tirer des meilleures conclusions que les fois précédentes, malheureusement, elles étaient toujours systématiquement aussi déprimante que les fois précédentes et Nathaniel ne voyait rien qui lui permettrait de sortir de ce brouillard d'idées sombres.

Heureusement, au milieu de toutes ses emmerdes, la librairie fonctionnait normalement. Bien sûr, elle restait un lieu calme et peu fréquenté, mais Nathaniel n'espérait pas que cela change, il avait besoin de cette librairie comme couverture pour la Guilde, surtout depuis qu'elle était devenu un lieu de ralliement ou de protection pour les pierres qui en seraient dans le besoin. Cette librairie, cachée dans l'une des étroites ruelles, n'était pas visible depuis les grandes places ou rues largement fréquentées. Ce n'était un lieu que pour les connaisseurs et on se transmettait l'adresse par bouche à oreille, ce qui laissait encore plus de temps à Nathaniel pour se morfondre.

Ce matin-là, il faisait un grand inventaire, totalement inutile puisqu'il l'avait déjà fait le mois précédent et celui d'avant encore, mais c'était la seule manière qu'il avait trouvé pour rester occuper sans se ronger les sangs. Alors qu'il catégorisait tous les livres commençant par des auteurs aubéens, voilà qu'il tombe sur l'une des oeuvres de poésie d'un diurne anonyme, mort des années plus tôt. Il laisse tomber l'inventaire, prend le livre et pose une chaise dehors pour lire, sous le soleil éclatant de la Cour du Jour, les poèmes d'amour pour cette nation. La plume est délicate, plein de douceur et de formes, et malgré un thème simple, ces poèmes renferment beaucoup d'amour. Cet auteur aimait réellement cette terre et Nathaniel est obligé d'y voir son propre abandon de la Cour du Printemps. Ses yeux se mettent à briller quand le diurne se met en route pour trouver une autre occupation et cesser de s'apitoyer sur son sort.

Déambulant dans les rues, les pas de Nathaniel le porte bien trop naturellement vers une boutique qui n'ouvre que le soir, quand la nuit tombe et que les affaires illégales s'exportent. En réalité, Nathaniel n'a pas besoin d'acheter de l'alcool fort venant d'autres Cours, mais il laisse ses pas le guider et le voilà devant la boutique. La toile est relevée et il entend des voix. Curieux - et légèrement idiot - il s'avance, comme s'il avait le droit d'être là. Il connait assez bien le propriétaire, et s'imagine que cela suffira pour l'attirer aux devant des ennuis. Quand les deux visages se tournent vers lui, il sait qu'il vient de faire une connerie. Il reconnait immédiatement le Suprême de sa Cour, Ehsan Gafa, en pleine discussion avec le fameux propriétaire. Craignant une fermeture de l'établissement, Nathaniel s'avance d'un pas assuré et tend le livre de poème, qu'il portait toujours à la main.

« Je suis venu vos rendre vos poèmes, ceux pour lesquels on avait prévu de monter un spe... » Le propriétaire, passablement agacé, le coupe immédiatement. « Je suis fermé, Zaher, j'ai juste une affaire en cours... » L'indécision se lit sur le visage de Nathaniel qui s'arrête net, rougissant légèrement. Le livre toujours tendu, il recule doucement. « Et bien, je... vais retourner dehors, navré de vous avoir dérangé. Monsieur le Suprême. » finit-il, ne sachant pas réellement ce qu'il convient de faire dans ce genre de situation et il incline délicatement la tête vers le bas avant de rapidement tourner les talons.

La honte gravé dans le coeur, Nathaniel s'éloignait rapidement, comment avait-il pu être aussi idiot ? Il n'était pas un chevalier servant, il n'était pas un héros, juste un homme incapable de lire entre les lignes. Il se sentait de trop, alors il s'était éloigné rapidement... et c'est là qu'il avait été rattrapé par le Suprême du Jour lui même, accompagné de ses guerriers d'élites.

Pendant un instant, Nath s'était demandé s'il n'allait pas se pisser dessus, mais la voix du Ghafa n'était pas plus impétueuse que n'importe quel autre homme, il lui parlait gentiment, sans le menacer de quoique ce soit. Ainsi, Nath se dit que, peut être, il n'avait pas commis une bourde. Il sourit, s'avance d'un pas, tout en restant à distance des armes pointues des Zodiaque et s'inclinant légèrement - il ne savait même pas qu'elle était la conduite à adopter malgré tous les bouquins de politique qu'il avait lu - il ouvre les mains.

« Bien sûr, tous les instants qu'il vous faut. »

Nathaniel n'était vraiment pas versé dans la politique. Il savait se cacher derrière un masque et écouter les conversations des autres pierres, en consignant les défenses. Il savait conseiller un livre à n'importe qui. Mais parler poliment à un Suprême en faisant preuve de politesse était au-delà de ses cordes. Pour sa défense, il avait vécu toute sa vie dans une plantation d'agriculture au fin fond de la campagne printanière. Et la seule noble qu'il cotoyait régulièrement était Neréis Taellim qui passait son temps à le faire boire, comment aurait-il eu les clés ?

« Enfin, je voulais dire je suis à votre disposition. Puis-je vous aider ? »

Pitié qu'il lui demande conseil sur un livre de poésie, là Nathaniel pourrait retrouver la parole et former des phrases cohérentes, logiques et intelligente. Car à l'instant, il devait juste avoir l'air d'un idiot qui ne pas faire une phrase sans qu'on puisse y lire des sous-entendu sexuel. Même si bien sûr, Nathaniel n'avait rien voulu dire d'autre qu'il n'avait rien à faire tout de suite.

Oh par la Mère, il fallait que le Suprême ouvre la bouche et mette fin à ses souffrances !

La tension ne quittait pas les épaules du diurne qui sentait bien qu'il n'avait rien à faire là. Bien sûr les rumeurs de la noblesse arrivait jusqu'à lui, il savait que certains Suprêmes étaient plus proche du peuple que d'autres, que certains n'étaient pas aussi coincés dans leur bulle de pouvoir et inapprochable, mais entre le savoir et le vivre c'était deux choses différentes. Et là, il avait l'impression d'être un gamin pris en faute. Il ne savait pas comment la discussion allait tourner et s'il fallait qu'il trouve une parade pour s'en sortir.

Déglutissant, il patiente, jusqu'à ce que la voix grave du Suprême reprenne la parole. Officiellement présenté, comme si Nathaniel Zaher, un ancien membre de la Cour du Printemps, uniquement lié à celle du Jour par sa défunte mère, qui tenait une pauvre librairie, était utile aux yeux d'un Suprême qui gérait une cours entier. Il acquiesce pourtant à ses mots, la mémoire photographique des diurnes ne leur font jamais défaut. Ils se sont déjà croisés. Même si c'était plus simple pour Nathaniel d'en garder une souvenir de cette rencontre fortuite - il rendait un livre, soit l'histoire de sa vie - qui l'avait impressionné, que pour le Ghafa. « Je suis Nathaniel Zaher, un simple libraire. » Voilà qu'il se présente, comme il a cru devoir le faire. Est-ce que c'était bien le sous-entendu fait par le Suprême ? « Vous, pas besoin de vous présenter. » C'est idiot, c'est naïf, c'est Nathaniel.

Il se racle la gorge, regardant autour de lui. « Ma.. ma librairie est à quatre minutes par là, est-ce un endroit privé ? » Des suppositions aussi affreuses les unes que les autres lui passent par la tête. Pourquoi aurait-il besoin de voir Nathaniel en privé ? Et comme ce quartier est résidentiel, un endroit privé mais publique n'existe pas vraiment. Aucun café avec des salles fermées ou autre tavernes discrètes. Et ils ne vont pas aller sonner chez des particuliers.

Prenant la direction de sa librairie, il attend de voir si on le suit et, il faut reconnaître, c'est assez perturbant quand un Suprême et quelques gardes du Zodiaque hyper entraînés suivent derrière. Nathaniel essaie de ne pas trop réfléchir durant ces quelques minutes de trajets, se concentrant sur les poèmes qu'il lisait, jusqu'au moment tant attendu où il déverrouille la porte de la petite boutique.

Et là, tout lui revient d'un seul coup dans la figure : que va-t-il se passer maintenant ? « Nous... voilà au calme. » Il tend la main vers les deux fauteuils dans le coin de la pièce. « Vous voulez un thé ? Une boisson plus forte ? » Il songe à ses meilleures réserves qui l'attendent dans un coffre de son appartement au-dessus.