sun & storm || ft. kora

Il y a quelque chose dans cette obscurité qui appaiserait presque celui qui s’y voit noyé, qui lui a déjà vendu son âme et qui en a embrassé la foi. Elle a quelque chose de l’Obscure, cette féline danseuse, s’en fait presque personnification dans l’esprit de celui qui ferme les yeux pour mieux en sentir le parfum et la chaleur, les griffes acérées qui s’approprient son derme, son bras, son torse. Sur l’autel de cette ruelle miteuse, il lui semble s’offrir à la sombre déité, se prend à lui adresser une prière au fin fond de son esprit en sentant Son souffle brûlant lui caresser la nuque. Qu’Elle fasse s’étirer cette nuit un peu plus, cet instant davantage, que la féline demeure à ses côtés et continue de lui faire préférer sa compagnie à la perte de conscience qu’il espérait avant elle. Il lui glisse une vérité, sa vérité, ce jeu auquel il joue avec la Mort et qui le maintient en vie. Le silence qui s'ensuit rend les battements de son myocarde plus bruyants que jamais contre ses tempes, et toute l’attention du divergent se braque sur l’absence de réponse de l’inconnue dont la torture cesse un instant. Elle ne dit rien, laisse planer un silence lourd de sens qui la lui rend plus intrigante encore tant leurs âmes brisées semblent résonner.

Il ne dit rien non plus, laisse cet instant se graver au fin fond de leurs esprits, et frémit sous ces mains qui le tournent vers elle. Le voilà qui sort enfin griffes et crocs, se jette littéralement à la gorge de la diurne qu’il plaque contre le mur de pierres froides, pense déceler une certaine étincelle dans ce regard qu’il soutient alors qu’il la provoque encore une fois. Presque. C’est un euphémisme. Aucun coup du videur n’est encore parvenu à lui faire gagner pareil regain de vitalité, la danseuse l’a définitivement surpassé, mais le divergent n’est pas prêt à l’admettre, préfère écorcher l’égo de la séductrice qu’il voudrait voir rétorquer, l’attaquer de plus belle. « Mmmh, ça s’rait pas pour m’déplaire. » Qu’ils continuent ce petit jeu qu’elle aime tant, qu’il aime tout autant. S’il desserre sa main, cette dernière n’en quitte pas la mâchoire dessinée pour autant, son pouce en remontant l’arête pour venir effleurer la lèvre inférieure de celle qui ne devrait décidément pas perdre son temps avec lui, devrait s’en retourner là dedans à satisfaire le client, entendre tinter les aeskells et finir sa soirée alourdie d’un bon paquet de pièces. Au lieu de ça, elle fait courir ses doigts sur ce torse malmené par ses soins qui arborera un jour la promesse qu’il lui fera.

Une chose est certaine, les portes du cabaret sont à présent définitivement fermées à l’impertinent divergent qui ne regrette qu’à présent la plus regrettable des conséquences de ses actes inconsidérés; c’est là la dernière fois qu’il l’aura vue se produire sur cette scène. mais la voilà qui semble chercher à le faire revenir dans les bonnes grâces de son garde du corps, fait s’étirer les lèvres blessées dans un sourire amusé, satisfait. « M’dis pas que j’vais t’manquer ? » Sa main glisse sous la mâchoire, s’empare du menton et lève le visage de cette envoyée de l’Obscure vers le sien. Par ses dons, par son être, par sa race qu’il lui semble deviner en ayant remarqué l’arrondi de ses oreilles, il la sait dores et déjà bénie par la déesse qu’il sert, à moins qu’elle ne soit le réceptacle de sa déesse désireuse de venir à la rencontre de ses fidèles. Elle n’a qu’un mot à dire, la Sombre déité, et son fidèle cavalier saura lui prouver tout son dévouement.

Les traits du faux estival se parent d’une expression faussement embêtée alors qu’il hausse les épaules. « Eeeh, j’en sais trop rien.. » L’ironie dans sa voix et ses gestes est on-ne-peut plus évidente, comme l’amusement dont il ne peut se départir. « À t’avoir eue aussi près pour moi tout seul, t’voir te trémousser d’en bas au milieu d’une dizaine d’aut’ gars ça aura pas l’même goût. » Cette envie de ne l’avoir que pour lui, c’est étrange, c’est nouveau, c’est l’Obscure qui guide ses désirs, et ceux-ci s’animent pour la belle féline vers qui il se penche, ses lippes venant effleurer l’oreille arrondie. « Mais j’s’rais pas contre une représentation privée… » Qu’ils se cassent d’ici, qu’elle se barre de cet endroit loin d’être à la hauteur de son talent et de sa sensualité, et que l’Obscure les guide pour le restant de la nuit.

Elle est douce, cette peau sous ses doigts, elle est chaude, aussi, malgré la fraîcheur de la nuit qui les enrobe, que le divergent atténue d’un courant d’air chaud venant les caresser. Il n’en sent que mieux ce parfum enivrant qu’elle dégage, celui dont il ne pourrait plus profiter si elle montait sur scène, et qu’il restait au pied de cette dernière. Oh, il la regarderait danser, pour sûr, elle a l’air d’en avoir tout autant envie que lui, s’attire une moquerie du printanier, y rétorque sans ciller. Et Athimbod de rire doucement. « Ça t’plairait, hein ? » Qu’il soit à ses pieds, comme la moitié de ces hommes se rendant au cabaret, qu’il la fantasme et la désire avec l’espoir qu’elle leur adresse un seul regard, un seul sourire. Mais il a déjà eu tout ça, et bien plus encore, son derme rougi en est la preuve, leur proximité la promesse de bien plus. « Et c’est d’bon cœur qu’tu veux m’faire rentrer, ou c’est parc’que j’manqu’rais à ton parterre d’admirateurs ? » Elle n’aura rien de ce que ces derniers ont à lui offrir, n’obtiendra de lui qu’une adoration sans borne, qu’un amour inconsidéré et sans conditions que même les obliviateurs ne parviendront à effacer de son esprit. Elle n’est pas son  me Soeur et, pourtant, leurs êtres se font si parfaitement écho que ce qui les liera sera tout aussi fort, bravera le temps, la perte et l’oubli, perdurera malgré les tragédies et demeurera sous la bénédiction de l’Obscure.

Il fait la fine bouche, ne tombera pas à ses pieds si facilement, à la suivre où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse, à ne dépendre que de sa grande bonté et de la bonne volonté d’un videur pas près de vouloir revoir sa gueule cabossée. Athimbod fait peut-être partie du petit peuple, de cette masse grouillante dans laquelle il se complaît dont il sait tirer profit, il sont des fois où le divergent n’aspire qu’à se détacher du reste, des autres, malgré le risque que cela comporte. C’est qu’il est traqué, le fratricide, l’hérésie sur laquelle le Crépuscule cherche à mettre la main, son propre frère le premier. Alors il a tendance à faire profil bas, mais ne peut pas s’empêcher de flamber pour autant. Après tout, plus c’est gros, plus ça passe, non ? Alors, oui, l’exclusivité d’une performance lui étant dédiée lui paraît une plaisante idée, et le printanier se doute bien que la belle ne  verra aucun attrait pécuniaire dans la proposition qu’il lui fait. « Ca a pas l’air de t’déranger… » Il le sent, qu’elle aime plaire, ça se lit dans son regard satisfait, s’entend dans sa voix sensuelle, se devine dans ce balancier qu’entament lentement ses hanches sur lesquelles il pourrait si facilement poser les mains. Mais il n’en fait rien, garde ses bras le long du corps quand ce sont ses opales azurées qui se baissent sur la silhouette qui se balance devant lui, se mordant la lèvre inférieure à sa constatation. « T’vois ? T’es déjà en train d’danser. »

La réponse qu’elle lui donne ne le surprend en rien, fait sourire le divergent qui se donne un air peiné en relevant les yeux vers l’incarnation de l’Obscure qui se défile. Il sait pertinemment ce que les filles sont amenées à faire là dedans pour arrondir leur salaire de misère et, s’il n’a aucun regard sur ce que tout un chacun choisit de faire de son corps, il n’a jamais eu recours aux services de ces dames, préférant encore la gratuité de quelques mignonnes qu’il trouve toujours sans grande difficulté. Il se doute, pourtant, que certaines se voient contraintes d’exécuter bien plus que ces performances auxquelles il assiste, toute liberté de choix que le cabaret puisse leur faire miroiter en les y incitant fortement. Et il a déjà vu celle-ci s’éclipser avec certains clients pas bien frais, pour ne plus revenir de la soirée. « Oh, s’cuse-moi, j’me suis dit qu’t’envisageais pas d’faire carrière dans c’trou à rats. » C’est avec son tact habituel qu’il souligne la réputation de l’établissement. « Mais si ça t’plaît d’vendre ton cul et laisser l’patron profiter d’la moitié d’ton pognon, tant mieux pour toi.  » Car comment le tenancier de l’établissement garantirait autrement que ses filles restent pour une paie de misère ? Athimbod n’en sait rien, en réalité, mais a suffisamment été témoin et acteur d’un trop grand nombre de vices pour imaginer un seul instant qu’un proxénète fasse ça honnêtement. Doucement, une main fraîche se pose sur la hanche de la danseuse dans un contact aussi sensuel qu’intimiste. « T’vaux mieux qu’ça, et tu l’sais, ma belle. ‘Suffit d’t’avoir vu r’muer sur scène pour savoir qu’tu peux qu’trouver mieux ailleurs. »

Il n’y a aucun jugement dans sa voix, pourtant, du moins pas envers celle qui l’a sommé d’être patient. Oh, patient, il sait l’être, si tant est qu’un feu ne se déclare pas entre ses reins. Et celui que la nymphe sombre commence à y faire naître n’est pas près de s’éteindre. Un sourire narquois étire ses lèvres alors qu’il se redresse pour la toiser, la narguer du regard alors qu’il semble la défier de se montrer aussi sauvage et imprévisible qu’elle semble vouloir le laisser paraître, toute attachée qu’elle est à ce taudis qui la tient par les aeskells. « Mais si y’a qu’le pognon pour t’faire partir, on peut s’arranger. » Sa main libre qui plonge dans la poche de son pantalon de modeste facture en sort une pièce dorée scintillant sous les lumières orangées et dans les iris de la diurne lorsqu’il la glisse entre leurs visages, comme la promesse de bien d’autres si elle se décidait à sauter le pas.. « Qu’est-c’que t’en dis ? J’te présente ses p’tites sœurs ? »  

Peut-être Franck l’a-t-il finalement plus amoché qu’il n’y paraît déjà, l’a secoué, frappé à un point tel qu’il en a troublé les capacités cognitives, au divergent qui voit l’ombre divine de l’Obscure animer cette nymphe qui maîtrise pourtant la lumière. Elle l’intrigue, bien plus que d’autres ont pu le faire, suscite son intérêt et une compassion étrange faisant se dire au printanier qu’elle n’a pas sa place ici. Qu’il est capable de l’en sortir. Qu’elle est faite pour suivre la voie de la Mère Noire, et que cette dernière n’attend qu’elle. Le fervent fidèle sourit à la belle, à ce qu’elle lui affirme et que cet amour qu’ils se voueront bientôt démentira violemment.
Lève la dextre dont l’index pointe, tapote légèrement le sternum de la beauté diurne. « Oh, t’en as un là d’sous, j’en doute pas ma grande. » Y étale ses doigts, sa paume chaude contre celle de l’inconnue avec qui il se montre foutrement familier. « T’as juste pas trouvé d’quoi l’faire battre. » Il a trouvé la solution, lui, celle de frôler la Mort au plus près, d’en caresser les doigts froids et le souffle gelé pour sentir son palpitant s’emballer et sa volonté de vivre le tirer de ses griffes. Pense que c’est là tout ce qui continuera de le faire tenir, cette lâcheté qui le retient ici bas par peur de rejoindre sa sombre entité. Et sous sa main, sous ses yeux, sous le souffle chaud d’un vent qu’il génère, se tient celle qui vaincra ce spectre sordide, qui terrassera la grande faucheuse et se fera maîtresse de ce myocarde qui ne cognera plus que pour elle, sous le regard bienveillant de la Mère Noire.

La dextre se retire finalement, la nymphe se met à onduler atrocement près du divergent qui voudrait en sentir les mouvements, comme envoûté par ce simple mouvement de balancier parfaitement exécuté par ce corps à se damner. Elle s’échauffe, elle l’échauffe, lui sourit de plus belle, entend le double sens qu’elle donne à ses mots. « Loin d’moi l’idée d’nuire à ta performance ma belle. » Pour sûr, ce qu’elle semble insinuer serait bien loin de déplaire à cet amateur de courbes féminines et d’aventures éphémères, serait là la candidate idéale à entraîner dans un coin discret pour se perdre en elle quelques heures durant, et l’abandonner au petit matin. Mais elle… Elle, elle lui donne cette envie de la tirer de là, de ce bordel qui s’assume pas, l’instinct du divergent qui lui crie qu’elle appartient à l’Obscure, elle aussi. Et s’il y a bien une seule et unique chose que cet abruti écoute sans réfléchir, c’est son instinct, ses tripes, cette impétuosité qui le fout constamment dans la merde sans qu’il la remette jamais en compte. Elle l’a mené où il est aujourd’hui, dans cette foi qu’il embrasse, cet anonymat qui le maintient en vie. Face à celle qui se fera sa femme et dont il se met à parler la langue en agitant cette pièce dorée en lui en promettant bien plus.

Elle s’en empare, en réclame le restant de la fratrie, récolte un sourire satisfait et provocateur de celui qui lui en veut soudainement bien moins d’avoir remplacé ce gros lourdaud de Franck. Il frémit sous la griffure de la féline, pose enfin ses mains sur ses hanches si bien dessinées, lèvres entrouvertes alors qu’il s’apprête à lui répondre quand la porte du cabaret s’ouvre brusquement sur la silhouette du bourreau qu’Athimbod avait choisi pour la soirée. Oh, en voici une situation qui ne doit pas lui plaire, sa précieuse danseuse et ce petit con si près de s’enlacer qui lui adresse un large sourire lorsque leurs regards se croisent de nouveau. « Hey, Francky, ça m’fait plaisir d’te r’voir. » Mais le plaisir n’est visiblement pas partagé. Le colosse enrage, hurle et se rue sur le divergent déjà prêt à se détourner de la diurne pour contre-attaquer, à présent qu’il a trouvé une raison bien plus plaisante de rester en vie ce soir. Et l’obscurité se fait, main chaude se referme autour de son poignet et l’entraîne hors de portée du videur fou de rage vers lequel il se retourne une dernière fois. « T’embras’ras ta mère pour moi ! » D’une bourrasque violente qui jaillit de sa main libre, dirigée vers l'impasse qu’ils sont en train de quitter, le divergent projette l’assaillant dans ces mêmes caisses ayant accueilli sa carcasse quelques minutes plus tôt, comme précaution et dernière preuve que celui qui se faisait encore rosser par l’estival qui atterrit douloureusement avant de les insulter copieusement.

Mais ils sont déjà loin, courent à en perdre haleine, transportés par cette adrénaline qui semble les faire voler au-dessus des pavés. Malgré son état, malgré son ébriété, Athimbod demeure agile et inébranlable par ces dons n’étant pas ceux de sa Cour d’origine. Durant leur course, il se défait de la main de la cabaretière pour en saisir l’avant-bras à son tour, l’entraîner dans son sillage dans un dédale de rues et ruelles qu’il ne connaît que trop bien, jusqu’à une bicoque à l’enseigne de dispensaire, dont l’intérieur est éclairé. Il le contourne avant de lâcher cette peau halée presque à regret, et il soupire, le fugitif. S’adosse à un mur en reprenant difficilement son souffle, la faute à ce rire qui le prend et soulève son torse marqué de soubresauts. Il y a, là-dessous, son cœur qui bat à tout rompre, et sur son visage levé vers un ciel sombre une expression de plénitude totale, prémices de tout ce que la Shomari lui inspirera lorsqu’ils se laisseront aller à des sentiments jusqu’ici refusés. « Aaah, préviens la prochaine fois… » Une main sur ce torse contusionné au travers duquel il sent s’emballer son myocarde, son éternel sourire se pare d’une grimace de douleur dont il se défait rapidement tant il y est habitué. Et ses yeux amusés de trouver ceux de cette femme devenue sa complice, et qui le sera pour bien plus longtemps qu’ils ne peuvent tous deux l’imaginer, avant de se lever vers le bâtiment dont l’entrée secondaire se dresse devant lui. « S’tu permets, j’vais m’faire r’mettre quelq’côtes en place, ‘pis j’te présent’rai mes copines… »

Comme une envie qui naît dans son esprit, celle de voir s’étendre un peu cet instant rien qu’à eux, elle sous la paume de sa main, celle-ci qui sent bien battre le palpitant qu’elle nie loger là. Athimbod ne connaît que trop bien ce sentiment de vide, ce néant pesant dans sa cage thoracique alors que rien ne semble avoir de sens autour de soi. Ce myocarde qu’il s’efforce de faire battre au plus près de la Mort, c’est à la Mère Noire qu’il le dédie depuis de longues années, seule entité qu’il se permette d’adorer, au détriment de ses amantes auxquelles il refuse de s’attacher. Elle pourrait bientôt faire partie de celles-là, la belle cabaretière, ne semble visiblement pas fermée à l’idée d’un rapprochement physique, mais elle dégage une force, une obscurité auxquelles le divergent n’est décidément pas insensible. Il le voit à ses oreilles doucement arrondies, le sent, dans ses yeux jusque dans son aura, qu’elle aurait sa place aux côtés de sa sombre entité.

Les yeux baissés vers la féline ondulant sous ses mains lui tenant à présent les hanches, il lui répond, entretient cette tension brûlante s’étant instaurée entre eux et dans laquelle ils semblent tous deux se complaire, jusqu’à l’arrivée du vigile que la présence de l’importun fait sortir de ses gonds. Athimbod est cette fois prêt à l’affronter, lui faire face malgré l’état dans lequel il se trouve, encore confiant de ses capacités estivales, de sa volonté à toute épreuve. Le colosse est imposant, mais encore jeune. Illyrien à n’en point douter, quand le fae, malgré son comportement pour le peu puéril, cache derrière ces traits encore inaltérés près de quatre-vingt dix années passées à survivre à ce monde qui n’a jamais voulu de lui. Mais l’obscurité se fait, et la danseuse s’empare de son poignet pour l’entraîner hors de portée de la montagne de muscles qu’il projette violemment. « Bah alors ? T’en pinces pour moi ? » Qu’il moque dans un large sourire. Elle aurait pu le laisser là, se raviser et retourner danser plutôt que de placer sa confiance dans les mains d’un pauvre type qu’elle a découvert le visage en biais, à se faire cogner et à en redemander. Si l’instinct de survie du fae est proche du zéro, il rivalise sans peine avec le manque de jugement de celle qu’il entraîne à son tour.

Leur course effrénée les mène dans l’étroit cul-de-sac donnant sur l’entrée secondaire d’un dispensaire sans prétention, tenu par une famille d’aubéens peu regardants sur l’origine des maux de celles et ceux leur passant sous les mains. La faible lueur orangée qui parvient des fenêtres les surplombant éclaire avec peine les visages rougis des deux fugitifs. Main posée sur son torse, le divergent sent ce palpitant qui se remet, sourit à ce flux d’adrénaline qu’il perçoit encore, à cette beauté diurne qui feint s’excuser d’être venue à son secours. « T’as bousillé toutes tes chances d’retourner là-bas, tu l’sais ça ? » Elle a tout plaqué en se faisant sa complice, fait doucement ricaner le divergent qui se plaît à en admirer les traits, malgré tout adoucis par ce rire harmonieux qui résonne encore dans sa caboche. « T’avise pas d’me foutre ça sur le dos. » Un clin d’oeil complice, et Athimbod lève les yeux vers le bâtiment qui leur fait face. Elle s’y réchaufferait, lui s’y ferait remettre quelques côtes en place, voilà une étape plus que bienvenue dans ce périple qu’est devenue leur soirée.

Le fae repousse le mur et se dirige vers une petite porte en bois à laquelle il frappe dans un rythme appris par cœur que suit un silence, puis des légers bruits de pas provenant de l’intérieur. Le judas s’ouvre brusquement, laissant apparaître une paire d’yeux en amande dont la douceur n’a d’égale que l’animosité qui l’anime en découvrant le visage d’Athimbod. « Qu’est-ce que tu fous là Bod ? » Une voix mélodieuse qu’entache une inimitié certaine envers le divergent qui ne semble pas en tenir rigueur. « Heeey, Lin, ma douce, ça m’fait tel’ment chaud au coeur d’te r’voir ! » Les sourcils de l’autre côté de la porte se froncent. « Oooh, m’regarde pas com’ça ma belle, on croirait qu’tu m’en veux ! » « Ça fait jamais que trois mois que tu t’es barré en pleine nuit et me laissant en plan au milieu de nulle part, connard. » Ah, oui, c’est vrai. « Trois moi ? Tant qu’ça ? » Un air pensif sur la figure du fae à la mémoire courte et à la gueule cassée. « J’suis terriblement désolé ma belle, j’ai pas pu faire autrement, t’sais comment sont les affaires… ‘Pis si ton père l’avait découvert… » Passe une main par l’ouverture étroite, chasse une mèche noire d’un front de porcelaine. Elle est mignonne, Lin, petite poupée de porcelaine au tempérament bien trempé, au destin si proprement tracé par son paternel qu’elle s’est laissée tenter quelques mois durant à une liaison interdite avec le divergent. Elle n’a certainement pas choisi le moins con de ses patients.

La belle soupire, doit bien lui concéder qu’ils auraient risqué d’être compromis s’ils avaient continué à se voir. A envie de croire celui qui lui offre son plus beau sourire sous toutes ses contusions. Et ses yeux noirs dévient vers cette femme inconnue qui se dresse derrière lui, beauté sans pareille à la peau de bronze outrageusement dévoilée par une étoffe déchirée.  « C’est qui celle-là ? » Rien que la future femme, celle qui saura faire de lui le plus loyal des époux. Athimbod se retourne vers elle dans un sourire complice. « Rien qu’une âme héroïque qui m’a sauvé d’une mort atroce et qui m’a ram’né à toi, ma douce. » Use des événements de la soirée et des dernières paroles de Kora pour embellir la vérité, la romantiser pour attendrir le coeur de l’aubéenne qui, dans un nouveau soupir, déverrouille enfin la porte qu’elle ouvre en grand, les invitant tous deux à rentrer. D’un hochement de tête, Athimbod enjoint la danseuse à le suivre jusqu’à une petite pièce éclairée par une cheminée, faisant office de salle de consultation, s’assied sur la table en bois qui trône en son centre et profite de la légère avance prise sur celle qui referme la porte. « Elle m’retape, tu t’réchauffes, et on s’casse. » Le restant de la bicoque est silencieux, le patriarche et son épouse ayant laissé la garde nocturne à leur fille qui s’attarde encore un peu, pour revenir avec quelques herbes et un broc d’eau qu’elle vide dans une théière métallique qu’elle pose sur les braises. « Ça vous réchauffera. » Promet-elle à Kora vers qui elle se dirige et, s’emparant de quelques bandages dans la commode près de la diurne, qu’elle met discrètement en garde envers le divergent à qui elle tourne le dos. « Je ne sais pas ce qu’il a pu vous promettre, mais vous devriez vous méfier de celui-là. Il n’a vraiment que sa belle gueule pour lui. »

Instant étrangement complice qu’ils partagent dans cette ruelle étriquée, sous les lueurs faiblardes des derniers candélabres en état d’éclairer quoi que ce soit. Athimbod en viendrait presque à apprécier la simple compagnie de cette danseuse au tempérament aussi impulsif que le sien, à présent que leurs dermes ne s’effleurent plus, qu’il ne ressent pas la délicieuse douleur de ses ongles s’enfonçant dans sa chair. Il la met en garde; il n’est en rien responsable de la décision qu’elle a prise par elle-même. Et la réponse qu’elle lui offre lui arrache un sourire tirant un peu trop sur les lésions courant sur ses lèvres. « J’ai jamais dit qu’c’était une bonne idée. » Se redresse, et, dans un clin d’oeil narquois, rejoint la petite porte en bois.

Les nuits printanières encore fraîches rendent bienvenue la chaleur dégagée par les braises conservées tout au long de l’année en ce foyer indispensable au fonctionnement du dispensaire. On y prépare potions et onguents, on y stérilise instruments et fers à cautériser lorsque la magie de l’Aube ne s’avère pas suffisante. Et, heureusement pour le patient improvisé en cette froide nuitée, les dons de celle ayant fini par les faire entrer, lui et son invitée, sauront suffisamment le retaper sans qu’il n’ait à subir toute autre forme de torture.
Ils gagnent tous deux cette salle de consultation que le divergent ne connaît que trop bien, dans laquelle il évolue avec une familiarité trahissant ses multiples passages en ces lieux, entre les mains de celle qui a su mettre de côté ses ressentiments et qui les accueille tous deux.

La diurne semble sur la même longueur d’ondes que celui dont elle approuve le plan, dont les lèvres laissent échapper cette seule syllabe qui le fait sourire de toutes ses dents. Bod. L’envie de l’entendre encore qui se fait sentir, alors qu’il n’a pas idée à quel point il finira par chérir cette voix qui l’appellera. Dans ses soupirs, ses pleurs ou ses colères, il n’y a que dans le chagrin de sa disparition qu’il ne l’entendra pas, alors qu’il hurlera le sien de désespoir avant qu’il ne soit plus qu’un écho lointain lorsque les Obliviateurs le mettront sous scellé au plus profond de sa psychée. « Ravi qu’tu sois d’cet avis. Kora. » Lui rend son propre nom, deux syllabes sèches et douces à la fois, une sensation de chaud au fond de la gorge, une envie de le répéter quand l’occasion se représentera. Mais Lin les interrompt, chargée d’une théière qu’elle place sur le foyer, puis de bandages et d’onguents récupérés dans cette commode devant laquelle elle passe plus de temps qu’il n’en faut.

Ce n’est pas faute de tendre l’oreille, de se douter de ce que l’aubéenne peut bien glisser à la danseuse, mais Athimbod n’entend que des murmures se perdant des les craquements des braises dans la cheminée derrière lui. Au regard résigné de la soigneuse, le divergent croit deviner que la diurne l’a remise à sa place, et n’en finit pas de voir son intérêt grandir pour cette dernière. « Je saurais pas dire lequel d’entre vous est le plus stupide. Toi pour ce que tu es, ou elle qui te suit malgré ça. » qu’elle lui glisse en dégage son torse de ce hayon qui le recouvre, puis le pousse sans ménagement. Dans une grimace de douleur provoquée par cette main volontairement peu délicate, Athimbod s’allonge et rit doucement, la tête tournée vers celle dont l’attention semble happée par la danse des flammes dans l’âtre. « T’es pourtant bien placée pour savoir qu’c’est impossible d’me résist… AAAAH ! » Douleur soudaine à laquelle se cambre le patient dont les côtes se ressoudent sous la pâle lueur émanant des mains de celle qui semble prendre un malin plaisir à lui faire prendre conscience qu’il n’est pas éternel, pas immortel, et que la rancune d’une femme comme elle n’est pas une chose à prendre à la légère. « Te céder, c’est une chose, Athimbod. Te le faire payer en est une autre. » La main ferme du divergent s’est refermée sur le poignet gracile de celle qui semble pourtant respirer l’innocence. Leurs regards se soutiennent silencieusement de longues secondes avant qu’il ne cède finalement, l’arrière de son crâne heurtant la table alors que sa poigne libère la soigneuse qui se remet à sa tâche, un sourire satisfait aux lèvres.

De longues minutes passent durant lesquelles les flancs et le visage du divergent reprennent leur forme et leur teinte originelles. Assis sur le rebord de la table, Athimbod rouvre les yeux lorsque la chaleur de l’aubéenne quitte son arcade sourcilière pour venir s’attaquer à la brûlure circulaire sur sa clavicule et aux griffures qui l’encadrent, avant de se faire interrompre par un fae requinqué dont le poing se referme sur son avant bras, un regard dissuasif posé sur elle. « Ça, ça reste là. » Aucune moquerie dans ces propos tenus à voix basse, mais une fermeté qui surprend la guérisseuse qui se défait de l’étau printanier dans une expression exaspérée. « T’es complètement taré mon pauvre gars... » Au sourire qu’il lui rend, le divergent lui fait savoir qu’il est parfaitement au courant. Un simple onguent fait alors l’affaire sous quelques bandages sommaires lui prenant le haut du torse, et Athimbod saute enfin de cette foutue table pour rejoindre la diurne à côté de laquelle il s’accroupit tandis que Lin s’éclipse pour finir de ranger son matériel. « Alors, comment tu m’trouves ? »