envie de voir la lune encore plus que pleine (ft. Ehsan)

Son père était un homme d'égo, et Devika n'était pas sans le savoir depuis des années. Si vous saviez comment le flatter, vous pouviez aisément passer entre les mailles du filet. Cependant, Deen n'était pas pour autant un idiot, et il fallait savoir varier les flatteries et la manière de les faire, sinon il finissait pas vous rappeler à l'ordre. C'était un art subtil qu'elle avait appris avec le temps, mais ce n'était pas pour autant qu'elle échappait toujours aux colères de son père. De temps en temps, elle faisait exprès de dépasser les limites, parce que ça lui permettait de voir jusqu'où il pouvait aller ; parce que, parfois, il fallait savoir éviter des situations qui pourraient être extrêmement pires. La colère de Deen, lorsque Ehsan avait refusé la proposition d'épouser Devika, n'était rien comparé à ce qui aurait pu arriver s'il s'était approché d'un tel pouvoir. Si elle concevait parfaitement le fait de devoir épouser un homme pour consolider son pouvoir lorsqu'elle serait Dame, elle ne ferait pas l'erreur de prendre un parti qui arrangeait plus que nécessaire son père. Au moins, ce refus avait coupé toute discussion entre le Suprême et le Seigneur, ce qui faisait que lorsqu'il fallait rendre les comptes du Cercle du Commerce, c'était Devika qui s'en chargeait. Cette tâche lui convenait particulièrement, puisque ça lui permettrait de pouvoir manigancer sans même qu'il se douta de quelque chose.

Pourtant, elle eut la boule au ventre quand elle entra dans le Palais des Sables. Elle commençait à emprunter un chemin peu sûr, qui mènerait soit au pouvoir, soit à rien du tout. Elle finirait juste comme ses parents, ses vrais parents : éliminée. Alors, ça serait à Akshara de connaître cette vie qu'elle lui cachait. Deen ne se souciait que très peu de sa vraie fille, tant qu'elle ne faisait pas des frasques, et préférait de loin garder Devika à ses côtés, certainement parce qu'il avait réussi à la modeler. Il n'avait même pas eu besoin d'essayer, finalement ; elle avait toujours vu en lui un sauveur, n'avait pas douté de ses intentions pendant des années. Pour elle, il l'avait aimée et s'était occupée d'elle sans faire aucune différence concernant le sang qu'ils ne partageaient nullement, tandis qu'il avait dit l'inverse au monde entier. Mais les Najjar étaient des menteurs, et Devika n'échappait pas à cette règle. Akshara était peut-être la seule qui était trop franche, ne comprenant pas l'envergure que la vérité pouvait avoir, quand on vivait dans l'illusion.

Elle était plus inquiète pour sa sœur que pour elle-même. C'était la peur de la perdre à tout jamais, qui lui nouait le ventre, et qui la faisait marcher à reculons face à ses plans. Pourtant, elle avait lancé le processus et faire marche arrière n'était pas possible. Le peuple diurne souffrait trop de ce que Deen prenait sans jamais rendre, et ça la rendait de plus en plus malade de constater ça dans les rues. Il avait profité du Fléau pour augmenter les prix des matières premières, de la nourriture, des petits plaisirs que certains s'offraient parfois. Il avait prétexté le fait que les frontières avaient été fermées, la rareté des accords durant ces temps, que les autres cours avaient eux-mêmes demandés à changer les accords passés ainsi que les prix. Il y avait une partie de vérité, mais le reste était un mensonge ; mais qui aurait pu le contredire, quand les seuls fourrés dans les carnets de compte, ce sont Deen et Devika ?

Elle pourrait dire quelque chose. Mais il lui fallait plus qu'un "merci" à la fin. Lorsqu'elle arriva devant les portes du bureau d'Ehsan et que les gardes s'assurèrent qu'elle pouvait bien passer, elle leur offrit un grand sourire et les remercia pour la compagnie jusqu'à là ─ qui avait été silencieuse, mais la remarque n'était pas lancée sans ironie ─ avant de se tourner vers le Suprême du Jour, le saluant en bonne et due forme. Elle n'avait pas été aussi polie, lorsque son père était venu avec elle dans l'espoir de forger une alliance, et elle s'était montrée franchement médisante. Jusqu'à présent, elle n'avait pas tellement fait l'effort de corriger cette rencontre, profitant du fait qu'il ne regardait pas tellement vers les Najjar pour pouvoir récolter les informations dont elle avait besoin.

-Votre Suprématie, le salua-t-elle en s'approchant calmement, lui tendant le livre des comptes qu'elle maintenait à jour. Les nouvelles sont bonnes. Si le Fléau a freiné le commerce, il semblerait que les Cours soient dorénavant plus ouvertes et nous avons pu récupérer des marchés en ce début d'année. De plus, certaines familles ont réussi à payer leurs dettes, je ne peux qu'imaginer un avenir où de plus en plus de personnes y arriveront. Malheureusement, le prix de certaines marchandises reste astronomique, présenta la Najjar en le laissant consulter les pages.

Évidemment, c'était le livre des comptes officiel, qui ne contenait rien d'anormal. Celui de Deen était toujours caché, il le remplissait lui-même, bien que Devika y avait accès. Puis, il y avait le sien. Il concernait ce qu'elle passait comme accord et marché dans le dos de son père, ainsi que non seulement les paiements de ses espions, mais ce qu'elle recevait pour révéler ce qu'elle savait. Le silence s'achetait, mais la vérité aussi. Enfin, il y avait aussi le nom de familles et leurs dettes, qu'elle parvenait parfois à effacer presque totalement. Il était difficile de partager également les sommes qu'elle ramassait pour aider son peuple, parce qu'il ne fallait pas non plus que ça parut louche aux yeux de Deen. En attendant, c'était à petits pas qu'elle avançait ; et elle espérait qu'une fois au pouvoir, elle pourrait faire des sauts. Après quelques minutes de silence, elle songea que si elle ne parlait pas maintenant, elle ne le ferait jamais. Elle espérait que Ghaliyah avait glissé quelques mots en son honneur auprès du Suprême, sinon elle aurait du mal à arrondir les angles.

-Pourrais-je vous parler d'un sujet ? Ceci concerne le sujet des illyriens, et le refus du Seigneur Najjar, mon père. C'est un tort que j'aimerais corriger, si vous me le permettez.

Les papiers s'empilaient sur le bureau du Suprême, tandis qu'il chipotait silencieusement, la pointe d'un crayon entre les lèvres. Son regard scrutait les rapports sous tous les angles, mais il était évident que quelque chose n'allait pas. Ce malaise le taraudait depuis un certain temps, comme une ombre persistante. La fermeture des frontières de la Cour du Printemps avait révélé de nombreux incidents, jusqu'alors étouffés dans le silence. Des rumeurs avaient commencé à circuler, des histoires murmurées dans l’obscurité des couloirs, et il sentait que ces informations, bien que vagues, portaient le poids d’une vérité troublante.

Reposant le crayon, Ehsan inspira lourdement, passant une main sur son visage pour tenter d’apaiser la tempête qui grondait en lui. Il se sentait coupable, rongé par le remords de ne pas avoir remarqué l’état désastreux de l’économie de sa cour. Depuis combien de temps, son peuple souffrait-il ainsi, invisibles dans l’angle mort d’un suprême aveugle ? Le cœur serré, il plongea de nouveau son regard dans la paperasse éparpillée sur son bureau, cherchant désespérément à comprendre d’où provenait le problème avant que les responsables ne trouvent le moyen de lui glisser la vérité d’entre les doigts. Quelque chose n’allait pas. Pourtant il avait beau tourné les chiffres de droite a gauche, tout semblait impeccable. Les chiffres donnaient une réalité qui ne se reflétait pas sur sa cours et le suprême était particulièrement embêté par la situation. Quelqu’un mentait, mais qui ?

Il releva la tête, observant silencieusement la silhouette qui venait vers lui. Devika, son argentière.

Lorsque la proposition des Najjar, concernant la main de la diurne, était venu s’échoir sur son bureau, Ehsan avait été surpris. Il devait s’y attendre. La fille aînée de son seigneur était un bon parti. Elle possédait tout le support familial qu’une dame avait besoin, les connaissances et l’éducation nécessaire pour remplir un devoir qui n’était pas moindre. Elle ne semblait avoir aucune lacune, si ce n’était qu’Ehsan était incapable de lui faire totalement confiance. Il doutait, ne la connaissait pas suffisamment pour lui accorder aveuglement quelques chose d’aussi précieux. Alors la prendre pour épouse ? C’était impossible. Ehsan avait refusé l’offre, se retenant d’expliquer a son seigneur les véritables raisons de son refus. Quel tête aurait eu Deen s’il avait su qu’en fait Ehsan espérait encore faire un mariage d’amour ? A quel point son conseil lui aurait forcé la main, pour prendre au plus vite une épouse, peut importe lequel ? Ehsan inspira. C’était irrationnel, pourtant l’idée que la vie pouvait lui offrir un lien sincère, basé sur des sentiments amoureux et de confiance, persistait comme une lueur fragile dans son coeur. Il ne voulait pas d’une maison froide ou il mangerait avec une étrangère..

«Votre Suprématie, Les nouvelles sont bonnes. Si le Fléau a freiné le commerce, il semblerait que les Cours soient dorénavant plus ouvertes et nous avons pu récupérer des marchés en ce début d'année. De plus, certaines familles ont réussi à payer leurs dettes, je ne peux qu'imaginer un avenir où de plus en plus de personnes y arriveront. Malheureusement, le prix de certaines marchandises reste astronomique»

Ehsan tendit la main et récupéra doucement les papiers sur lesquels son regard s’attarda un instant. À première vue, et comme le mentionnait Dev, les nouvelles semblaient relativement encourageantes, mais une ombre persistait. Le prix des marchandises refusait obstinément de retrouver un taux plus régulier, ce qui compliquait grandement la situation. Il devrait éventuellement aborder le sujet avec le conseil. Trouvé un moyen de faire descendre la pression, mais l’idée de se présenter avec des informations partielles ne le satisfaisait que très peu. Quelques chose n’allait pas. Les informations que le printemps dispersais durant les rencontres du concordat ne correspondait pas a ce qu’ils avaient remarqué en temps réel. Ehsan inspira, déposant le livre contre le bureau.

«Pourrais-je vous parler d'un sujet ? Ceci concerne le sujet des Illyriens, et le refus du Seigneur Najjar, mon père. C'est un tort que j'aimerais corriger, si vous me le permettez. »

Ehsan se redressa dans sa chaise, se posant plus confortablement pour observé la femelle qui se tenait devant lui. Hochant doucement, il lui fit signe de prendre place alors que les mots se joignaient à ses gestes «Je vous prie, prenez place, mademoiselle Najjar» il l’observa de nouveau, la curiosité piquée «Vous savez nombre de diurnes ne sont pas d’accord avec ma vision des choses, cela inclut votre père… » ses prunelles brillèrent de douceur alors qu’il la couvait avec son attention «Mais je suis curieux d’entendre ce que vous avez a me dire sur ce sujet»