Pour la peine

Il lui offre une moue désabusée.

« Facile à dire, moi j'suis hyper doué pour me plaindre. »

Oui, Lazar est doué avec les mots, avec l'inaction et avec son job. Tout le reste est plus compliqué, il sait faire semblant, bien sûr, mais à long terme ça devient épuisant et sa relation Neréis le bouffe beaucoup trop.

Il grimace à la mention du surnom, parce qu'il est sorti de leur cercle de deux. Si ce n'était que Sacha, ok, mais Neréis s'en amuse aussi. Enfin, elle a été vexée au début, et Lazar l'avait pris pour ce que ce n'était pas : de l'intérêt pour lui. Or, elle a été catégorique là-dessus. Le nocturne se passe une main dans les cheveux et force un sourire à s'inscrire sur ses lèvres.

« Si, c'est bien le même. »

Et peut être comprend-elle avec ce mot combien il a dépensé d'argent pour l'obtenir, mais il s'en fiche, déjà elle mérite qu'il se décarcasse pour elle. Et ensuite, maintenant, pour une raison encore obscure aux yeux de Lazar qui n'a pas voulu creuser dans les secrets de sa soeur, il est riche.

Il lève les mains en la regardant. « OK ok, message reçu ! » s'exclame-t-il pour lui faire comprendre qu'elle et lui ont une façon de pensée totalement différente, et qu'il se range à son avis, quel qu'il soit. Enfin, pour cette conversation évidemment, pas pour toujours, mais ça, elle s'en doute, elle est loin d'être bête.

Alors qu'elle prend sa veste, Lazar a un léger mouvement de recul. Lui, sa veste d'extérieur, il ne l'a pas quitté en intérieur. Il risque d'avoir froid. Très froid. Tant pis, il le fera tout de même. Il finit d'une traite l'eau chaude infusée et se redresse.

« En route pour l'aventure ! » Puis, après une légère pause. « Sur la route, j'suis sûr qu'on va croiser un magasin d'alcool qui empêche le froid de rentrer à l'intérieur, n'est-ce pas ? »

C'est une forte suggestion, mais que voulez-vous, Lazar est fragile et il n'aime pas avoir froid.

Peut être est-ce la présence de Sacha qui lui réchauffe le coeur, ou le fait de ne plus mourir de peur de se faire rejeter par l'hivernale, mais Lazar n'a plus si froid une fois le pied posé à l'extérieur. Il est presque guilleret. Après tout, il aime les nouveautés et visiter une ville hivernale peut être une expérience fascinante.

Il était hyper doué pour se plaindre ? Je levais les yeux au ciel avec un long soupir.

« Il se passe quoi quand tu te plains pas ? T’as un chapelet hémorroïdes qui te pousse ? »

Je soupirai un peu avant de le questionner sur le peintre. Visiblement c’était le même qu’au musée. Est-ce que c’était le moment de lui rappeler que c’était un bon souvenir pour moi ? Qu’on avait passé un très bon moment tous les deux dans un placard ? J’étais presque sûre que c’était une mauvaise idée ! Bien, c’était le même artiste. Parfait. J’inclinai la tête.

« Bien. C’est la seule décoration de ma chambre. Si tu veux tout savoir. »

Je n’avais pas de décoration personnelle… Vraiment pas. Je n’étais pas très douée avec tout ça, je laissais faire les autres pour décorer mes appartements… Ce n’était pas du tout le même. Et non je ne voulais pas être payée pour ce que j’avais fait. Ce n’était pas la peine. Vraiment pas la peine. Une vie ne devrait pas avoir un coût à mes yeux. Et pourtant, j’étais là, à protéger quelqu’un, et être payée pour ça. C’était ironique, pas vrai ? J’attrapais ma veste pour me préparer à sortir et je tournai la tête vers lui à sa remarque. Je haussais un sourcil à ses remarques.

« Tente de picoler devant moi, et je regarde à quelle vitesse tu tombes si je te lâche du haut d’une falaise. »

Je lui offris un regard sérieux, est-ce qu’il voulait tester si je plaisantais ou non. L’alcool et se noyer dedans était le meilleur moyen de finir au bout d’une corde, et à défaut d’autre au fond d’un trou. J’inclinai la tête sur le côté.

« On te trouvera quelque chose de chaud. Comme un chocolat, à boire »

L’alcool, quand il était avec moi il pouvait aller se faire foutre. Je sortis à pas souples de l’endroit avant de l’attraper par les épaules pour le garder proche de moi.

« Tu vas aimer ce que tu vas voir. »

J’avais envie d’étendre mes ailes et m’envoler, mais je ne pouvais pas, n’est-ce pas. Je marchai ici, dans cette ville, j’étais chez moi. Je montrai l’endroit à Lazar sans honte aucune, lui décrivant quelques anecdotes de l’endroit avant de lui désigner une pâtisserie.

« Tu veux une brioche chaude ? Ou une brioche perdue ? C’est bon. »

Et chaud.

Malheureusement, il doit se retenir de rire, puisque vu l'air saoulé de Sacha, il n'est pas sûr que ça lui plaise, pourtant elle vient bel et bien de faire une vanne ? Non ? Bon, elle est au détriment de Lazar, mais malgré son égo surdimentionné, il sait rire de lui. Parfois. Pas toujours, il faut l'avouer. Heureusement, elle n'insiste pas et continue la conversation vers la peinture.

« Bien sûr que je veux tout savoir sur toi, Sacha ! s'exclame-t-il même si ce n'était pas ce qu'elle attendait. J'en suis très heureux et un peu triste. Tu en veux d'autres ? »

Elle se fiche certainement de la décoration de chez elle, Sacha n'a pas une âme de décoratrice d'intérieur, mais si elle veut engager Lazar pour ce faire, il le fera ! Il déblatère deux secondes avec humour en continuant sur sa lancée quand l'ailée le regarde avec un air ... si froid, qu'il se met à trembler de la tête au pied. Il fait un salut militaire.

« Compris chef, un chocolat chaud sera parfait. »

Il est surpris en réalité, il ne savait pas quelle vouait une telle haine à l'alcool. Etrange qu'elle compte Neréis dans ses amis, puisque c'est tout de même l'alcolo de service. Enfin, il ne dira rien, pas besoin d'envenimer la paix durement acquise.

Quand elle s'éloigne à nouveau, à grand pas bordel, elle peut pas marcher moins vite ? il se remet à respirer. Vraiment, elle lui a fait peur, et elle a titiller sa curiosité. Il veut comprendre pourquoi elle a un avis aussi tranché. Y a-t-il eu une mort autour d'elle ? Il ne peut clairement pas la questionner d'un air badin, elle va se renfermer sur elle-même.

La visite de la ville est succincte, comme Sacha l'est toujours. Elle est efficace, droit au but. C'est reposant parfois, mais Lazar est bien trop curieux et friand de détails pour que ça lui convienne. Il veut des dates, des anecdotes, des détails inintéressants, mais qui rendraient la ville plus unique. Il pose quelques questions, essayant d'aiguiller Sacha à lui raconter où elle a pris son dernier repas en ville, quelle est la couleur la plus belle du soleil, à quel moment de la journée elle préfère marcher - si un tel moment existe vu qu'elle vole le reste du temps. Il voit ses ailes frémir d'ailleurs. Peut être qu'il lui proposera de voler, elle lui avait promis un vol non ?

« Tu m'as eu à chaud, je t'avoue que je prendrai tout ce que tu me conseilles ! »

Et même plus, il est curieux Laz, mais quand on parle de bouffe, il ne s'arrête plus ! La boulangerie est petite, mais agréable à l'intérieur. Pas chaude comme il l'aurait aimé vu qu'ici ils n'ont pas sa frilosité, mais il est content d'être dedans. Les plats n'ont pas l'air des délices de la cour du printemps, là-bas, ils savent y faire en fioriture inutile, mais Lazar est content de voir ces différences et vu que Sacha trouve ça bon, il goûtera.

« Un peu de tout. » demande-t-il à la boulangère en sortant sa monnaie.

Depuis l'étrange arrangement de sa soeur, ils sont riches, alors il en profite. Puis Sacha mérite bien ça.