Everything I Do ((Lupin))

Everything I Do

tw: Ø | 13 octobre 838 | @Lupin Valois

Ulysse s’était rendu à Cairlond en toute discrétion. Il n’était pas rentré par la grande porte et portait des vêtements passe partout. Il avait voulu se fondre dans le décor de la cité. Il avait désiré passer inaperçu, sans risquer que l’un ou l’autre des Valois ne puisse lui tomber dessus. Eux où l’un de leur plus proche collaborateur. Il avait eu sa discussion avec sa Suprématie Valois, avait expliqué les raisons qui le poussaient à briser ses fiançailles avec la cousine du Suprême printanier. Mais Ulysse n’était pas fier pour autant. Il n’était pas fier de beaucoup de chose, pour être tout à fait honnête. Des fiançailles, de la façon dont il avait géré la chose avec son entourage. L’idée même de se marier avait chamboulé sa vie, et ses relations. Il avait mis de côté certaine personne qui avait compté pour lui. Il avait été obnubilé, le de Péone, par ses objectifs. Pour sa famille, pour les de Péone, pour le domaine. Le sacrifice qu’il avait été prêt à faire restait, malgré tous les changements prévus pour ce milieu de mois d’octobre, bien ancrés dans sa peau.

Car les choses étaient presque claires dans la tête du trésorier : il ne pouvait épouser Circé. Il ne pouvait abandonner Louve, la mettre de côté, la décaler dans un coin sombre de sa vie. Et il ne voulait pas sacrifier un bonheur déjà compliqué. Le peu de chose qu’il possédait encore, Ulysse désirait le conserver. La cause qu’il avait si bravement défendue face à ces adelphes s’était écroulée face à la réalité. Le temps avait fait son œuvre, le doute s’était installé. La discussion avec Achille, celle avait Ambroise. Tout cela avait mené à la décision qu’il rendrait officielle d’ici quelques jours. Le de Péone avait déjà prévenu Circé. Il avait mis longtemps à trouver les mots, à les ancrer sur un parchemin portant les armoiries de sa famille. Mais la lettre avait finalement été envoyée, l’annonce partagée avec sa fiancée. Ulysse manquait de courage. Il aurait dû lui rendre visite, la voir en personne pour lui faire part de cette nouvelle. Mais il avait craint les réactions de la tempête Valois. Ou peut-être avait-il surtout craint les siennes ?

Ulysse foulait le pavé d’une rue de la cité, les bras ballant, perdu dans ses pensées. Rien ne semblait faire sens, dans son esprit. Tout avait basculé d’un côté qu’il n’avait jamais envisagé. D’ici quelques jours, tout serait officiel. Ses fiançailles avec Circé seraient terminées, et celles avec une certaine Hortense Rossignol commenceraient. Ulysse avait souri, lorsque Louve lui avait proposé ce nom. Un nom qui remontait à leur première rencontre. Un nom qui tournait dans son esprit comme une douce mélodie de piano. Mais le futur ne s’annonçait pas simple pour autant.

Alors il réfléchissait, sans faire attention aux visages qu’il croisait, sans faire attention à la direction qu’il prenait. Il laissait son instinct parler pour lui, ses habitudes reprendre le dessus. Il se retrouva, après quelques longues minutes, devant la porte grande ouverte de l’une des tavernes les plus huppées de la cité. Une taverne qu’il avait de nombreuse fois fréquentée, avec des amis, ou d’autres. Il observa quelque instant la devanture, accorda un sourire détaché à un client qui sortait et se décida finalement à entrer. Il soupira à la chaleur qui se dégageait de l’endroit, et plus encore à la mélodie qui s’élevait d’un étage. Sans vraiment réaliser, il se rapprocha de l’origine du piano. La musique se fit plus forte, a mesure qu’il avançait et lorsqu’il releva enfin les yeux pour découvrir le pianiste, Ulysse quitta définitivement ses pensées et s’ancra dans la réalité. Il aurait dû se douter que la tendresse qu’il décelait dans la mélodie ne pouvait être que celle de Lupin. Il retrouvait bien la patte du Valois.

Le de Péone s’était immobilisé, à la vue de son ancien amant, prit de court de tomber sur lui. Interdit, ce qu’il avait fait subir au pianiste lui vint en tête. Les fuites, le manque d’information. Du jour au lendemain, Ulysse s’était mis un point d’honneur à ignorer l’artiste. Par facilité, surement. Et s’il y avait une autre réalité, le de Péone s’efforçait de l’ignorer. Sur certain sujet, le déni était bien plus simple à gérer que tout le reste. Le printanier s’apprêta à opérer un demi-tour lorsque les prunelles du Valois s’ancrèrent aux siennes. Que dire ? Que faire ? La musique s’était arrêtée. « Tu joues toujours aussi bien.. » souffla la pivoine, ne pouvant décemment plus fuir malgré le malaise qui s’était emparé de son âme toute entière.  Il s'était même approcher, malgré lui, jusqu'à poser ces deux mains sur le bout du piano.

Everything I Do

tw: Ø | 13 octobre 838 | @Lupin Valois

La vision était étrange. Douce et douloureuse à la fois. Lupin avait toujours été particulier, pour le de Péone. Une évasion sereine. Auprès du Valois, Ulysse avait pu être qui il voulait. L’amant passionné. Le politique fatigué. Le pianiste avare des conseils d’un autre artiste. Un lien calme, sans prise de tête, sans questionnement. Du moins, le temps que cela avait duré. Le temps qu’il s’était laissé allé à cette relation. Comme une parenthèse bienheureuse dans le chaos de tout le reste. Dans les obligations des premiers, dans le stress quotidien de cette jeune trinité régnante dans laquelle il avait une part importante. Ulysse s’était senti, auprès de Lupin, loin de ces responsabilités. Il avait apprécié. C’était abandonné à ces moments-là. Surement que d’autres émotions avaient traversé l’âme de la pivoine. Et très certainement qu’il n’avait jamais ni réalisé, ni creusé la question. Il s'était simplement satisfait, complut dans l’habitude de la tranquillité de son amant.

Malgré tout, malgré la fuite en avant qu’il avait opéré depuis le début de l’été, Ulysse était incapable de détourner le regard. Incapable de faire volte-face, et de partir. Peut-être était-il conscient des regards qui s’étaient posés sur eux. De l’expectative de certains membres présent. La taverne était réputée. Lupin était réputé. Ulysse, aussi, était loin d’un anonyme. Deux pianistes qui, s’ils avaient caché au monde mondain leur relation, n’avaient pas non plus empêchés les ragots, ou les discussions. Certaines personnes étaient douées, dans l’ombre, pour observer et déceler les relations particulières qui pouvaient unir une âme avec une autre. Ulysse ne pouvait qu’imaginer le fait que des paroles avaient courues sur lui et Lupin.

Ulysse s’appuya plus encore sur le piano noir, alors que son regard glissa sur le visage du Valois. Il sembla ailleurs, pensif, alors qu’il notait l’effort esthétique de l’artiste. Il détourna enfin les yeux, lorsque l’artiste lui répondit, lui demanda s’il allait bien. Ulysse porta une main à ces cheveux, se gratta légèrement le crâne et poussa un soupire bruyant. Allait-il bien ? Pouvait-il aller bien ? Tout se qui se passe de manière globale, lui soufflait que non. A un niveau plus intime, il sentait peu à peu le poids de son mariage avec Circé se lever. Mais le reste demeurait encore, et tout ce qu’il avait fait - ou pas fait - ne pourrait pas disparaître du jour au lendemain. Être face à Lupin, d’ailleurs, ravivait tout cela. Il savait, le trésorier, l’importance que leur relation avait eue. S’il se voilait la face sur ces propres émotions, il était bien au fait de celles de son ancien amant. Et n’avait-il pas vécu ça, lui ? D’être largué ? Eros avait au moins eu le courage de le faire de vive voix, là ou Ulysse s’était contenté de fuir. Un manque de courage qu’il déplorait lui-même, mais qui lui faisait économiser un certain nombre de temps. Et d’énergie. Le politique en lui qui optimisait ne faisait pas dans la dentelle.

Enfin, il lui semblait bien qu’il était moins à même d’optimiser qu’avant. L’idée de se sacrifier pour sa famille l’avait plus inquiété et choqué qu’autre chose. Et la prise de pouvoir par le crépuscule n’avait pas arrangé ces affaires. Quelques longues secondes passent sans qu’Ulysse ne fut en mesure de répondre. Puis, il détourna les yeux, trouva un point d’intérêt sur le piano. Une poussière qui passait par là. Une rayure sur le bois. « Ca peut aller, au vu des circonstances. » souffla-t-il, avant de relever ces orbes sur le visage rosé de son ancien amant. « J’ai appris pour tes cousins, je suis vraiment navré. Ce qui est arrivé au bal des Marées n’aurait jamais dû se passer. » admit-il, se rappelant lui-même la peur qui l’avait empêché de faire quoique ce soit. Sans Louve, lui et sa famille ne serait probablement pas en vie. Ou, du moins, dans un état bien pire que celui actuel. « J’ai aussi appris pour ta blessure, fit-il remarqué, le regard cherchant un signe sur le corps longiligne de Lupin. Tu vas mieux ? Vous avez pu faire venir des soigneurs de l’Aube ? » s’enquit-il. Parce que pour déjà rejouer du piano, Lupin devait faire parti de ceux qui ne s’en sortaient pas mal.

Everything I Do

tw: Ø | 13 octobre 838 | @Lupin Valois

Le temps était suspendu, pour les deux printaniers. Ulysse cherchait quelque peu ses mots et il sentait bien que son ancien amant en faisait autant. Ils n’auraient pas dû se croiser. Le de Péone aurait dû faire plus attention. Se laisser guider par son inconscient, par son instinct, était une erreur qu’il ne faisait d’ordinaire pas. Avec ces obligations pour les Premiers, ces nombreuses escapades nocturnes, et tout ce qu’il avait pu faire de mauvais pour sa réputation et celle de sa famille, rares étaient les fois ou il se laissait vraiment aller. Lui qui était venu pour rencontrer un pair de son culte, lui qui s’était voulu discret sur le domaine de Cairlond, au milieu de cette ville, repère d’une famille qu’il avait l’impression d’avoir bafouée ... Il aurait dû faire attention. Et il se retrouvait, à présent, pris dans un piège dont il ne savait comme se défaire. Lupin n’y était pour rien, évidement. Il était aussi victime de l’inconscient d’Ulysse.

Mais Ulysse ne pouvait décemment pas opérer un demi-tour. La politesse, le bon sens.. Toutes ces choses dont il s’était détaché concernant le Valois s’imposaient à lui à présent. Comme une obligation qui le rattrapait après ces quelques mois de liberté. Et la culpabilité était lourde. Assourdissante. Il en prenait la responsabilité, évidement. S’il était venu là en suivant ses instincts, sans s’en rendre réellement compte, il avait fui Lupin, durant la saison sociale, en toute connaissance de cause. Fuir une situation qu’il n’aurait pas été à l’aise à gérer de suite. Une situation qu’il aurait été douloureux d’affronter. Et Ulysse, lui, n’était pas courageux. Il faisait au mieux, savait placer ces cartes et se retirer lorsqu’il était nécessaire de le faire. Aujourd’hui, il s’était fait avoir, et se retrouvait dans une situation particulière qu’il n’était pas certain de savoir comment gérer.

Ulysse s’en tenait maladroitement aux politesses, aux choses basiques. A défaut de savoir comment aborder le reste. Parce qu’il ne doutait pas qu’ils devraient en parler. Peut-être que cette rencontre était due au destin ? La Mère se serait-elle mêlée de tout ça ? Un soupire s’échappa des lippes du trésorier. Elle en avait déjà assez fait, s’il devait être tout à faire honnête. En mettant Louve sur sa route. En lui présentant son âme-sœur. Ulysse tapota distraitement de ces doigts sur le vernis du piano, s’efforçant de refouler les émotions qui se mélangeaient dans son esprit. Il se concentra sur Lupin, sur ces mots, surtout, puisqu’il évitait quelque peu son regard.

Il était sincère, dans ces mots et ces questions. Le Bal des Marées était au moins un sujet relativement aisé à aborder. Malgré les mots de Lupin, Ulysse nota une légère raideur dans son bras. Il ne pipa mot et se contenta de l’écouter jouer. Et puis la musique cessa, et une autre mélodie résonna entre les deux printaniers. Une tension particulièrement douloureuse, alors que Lupin posa la question. Pourquoi tu es là ?. La question était un murmure, pourtant Ulysse l’avait entendu comme si son ancien amant l’avait hurlé. Il ne savait pas lui-même pourquoi il était là, alors que pouvait-il répondre ? Il ne pourrait pas expliquer à Lupin qu’il était venu à Cairlond pour le compte des Premiers. A défaut de pouvoir lui avouer cette vérité, il pouvait tout de même se montrer honnête. Un minimum. « Je sais pas, j’ai suivi mon instinct, qui m’a mené là. » avoua-t-il alors. Et l’explication avait mieux sonné dans son esprit que lorsqu’il l’a formulé à voix haute. Il serra les poings, les posa sur le piano et soupira. Il dévia quelque peu son regard des prunelles de Lupin, avant de s’y accrocher de nouveau. « Lupin.. , commença-t-il, cherchant ces mots. Je suis vraiment désolé.. Pour ce qui s’est passé. Pour.. » il s’arrêta, laissa ses mots en suspens. Il était désolé de l’avoir fui, sans explication. Désolé de ne pas avoir eu le courage de lui annoncer ces fiançailles avec Circé. Lupin, qui avait toujours été doux avec lui, honnête. Un refuge calme au milieu d’une tempête. « J’ai été lâche.. » concéda-t-il, portant la honte sur sa peau comme il le ferait d’une cape colorée.